Pas de méthode, mais des chemins… Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

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Emmy jouant
Il est fréquent que l’on m’interroge pour connaître ce que je pense de telle ou telle autre méthode d’éducation pour les jeunes enfants. La dernière fois il s’agissait de la méthode de la chaise pour endormir un enfant. Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit de s’asseoir sur une chaise placée à côté de l’enfant couché dans son lit jusqu’à ce qu’il s’endorme, puis d’éloigner la chaise à chaque nouveau coucher pour que l’enfant s’habitue à nous voir de plus en plus loin jusqu’à ce qu’il soit capable de s’endormir seul, sans la chaise, ou sans personne dessus. S’il pleure à nouveau il est conseillé de rapprocher la chaise et de recommencer ! Cela est exaspérant de constater que nous prenons les bébés pour de vrais petits chiens de Pavlov et qu’il s’agirait de les conditionner pour arriver à nos fins. Nul n’est alors besoin de se demander comment ils ressentent le monde dans lequel ils sont plongés, ce qu’ils en pensent et comment ils l’apprennent. On reste sur l’idée qu’ils n’existent pas vraiment en tant que sujet même s’ils sont devenus des « petites » personnes.

La méthode est la démarche que l’on emploie pour parvenir à un but. Dans l’exemple précédent  le dessein énoncé est de parvenir à endormir l’enfant, sans se demander comment les enfants apprennent à s’endormir et encore moins ce que l’endormissement signifie pour eux. Car si dormir est un besoin, l’enfant apprend à s’endormir selon l’environnement qui lui est proposé. Ainsi il peut apprendre à dormir contre son parent, proche de son parent, dans les bras ou dans un berceau ou un lit, seul si c’est ce qui lui est proposé. Pour apprendre il a besoin de plusieurs conditions :  la répétition des situations identiques pour les comprendre, les intégrer à son raisonnement et leur donner une suite logique (environnements et rituels identiques), voire être en capacité de les anticiper, le bien-être par le vécu avant le coucher comprenant le plaisir du jeu et des relations sociales et affectives et enfin le ressenti du besoin avec les signes annonciateurs que les adultes décryptent.  Il s’agit donc bien d’un ensemble de conditions à réunir et non d’une méthode de conditionnement à mettre en place. De plus penser que tout vient de l’enfant est une erreur. Pas plus que ce dernier décide, en tant que bébé, de ce qu’il veut manger, il choisit les conditions de son endormissement. A cet âge de la vie les adultes portent cette responsabilité pour lui et il doit pouvoir avoir confiance en eux, pour peu que ces derniers soient également rassurés et convaincus. Or, la pression actuelle de la réussite éducative des enfants conduit nombre de parents de bébés à aller au plus vite dans des voies qui ne sont pas les bonnes, bercés par des croyances véhiculées par les réseaux sociaux.

L’éducation d’un bébé est toujours un chemin à prendre et rarement un but à atteindre. La route passe par la nécessaire compréhension de ce que l’enfant nous dit, ce qu’il nous renvoie au travers de ses émotions et de ses comportements. Ainsi, on pourrait prendre un autre exemple : celui du renvoi d’un enfant « mordeur » accueilli dans une crèche sous la pression des professionnels et des parents qui ne  supportent plus cette situation. Encore une fois nous allons au but sans chercher de chemin. Aucune observation n’a été menée à la crèche pour  connaître les conditions et les raisons éventuelles du  comportement de cet enfant. Est-il trop attiré par les autres ? Se défend-t-il  quand on lui prend un objet ? Se sent-il agressé lorsque des enfants l’approchent ?  Subit-il des frustrations qui le mettent dans une colère qui se traduit par des morsures ? Est-il insécure lorsque les professionnels se déplacent ou sont moins présents ? etc.
Comprendre la situation et le comportement de cet enfant nécessite de construire des grilles d’observation professionnelle, pour chercher un chemin qui permettrait de l’aider à faire autrement. Car ici le remède est pire que le mal. Non seulement nous n’avons pas cherché à comprendre ce qui vit cet enfant, mais en plus on lui plaque une image d’être asocial, aux yeux de tous et particulièrement à ceux de ses parents. L’enfant sujet n’est, là encore, pas interrogé, les professionnels sont présentés comme impuissants face au « monstre », les parents des autres enfants sont satisfaits du danger écarté mais peuvent aussi se demander comment cela se passerait si leur enfant se mettait aussi à mordre ?  Si, à l’inverse, le travail  de compréhension avait été fait à la crèche, il aurait permis de réunir les parents pour leur indiquer le chemin pris par l’équipe et les avancées, rendant à cette dernière son vrai rôle éducatif avec la satisfaction de répondre à l’ensemble des missions développées par la Charte Nationale d’accueil du jeune enfant dont le respect est devenu obligatoire.

Quel est ce bébé que nous ne prenons pas le temps de considérer comme un sujet à part entière ? Un petit chien de Pavlov ? Un monstre maléfique ? Un ange lorsqu’il est sage comme une image ou qu’il fait ce qu’on lui demande ? Un clown qui nous fait rire ? N’est-il pas tout simplement un être à comprendre, à aimer et à éduquer ? Sa vulnérabilité et sa dépendance nous obligent à des responsabilités qui nous confèrent un rôle d’autorité. A nous de l’utiliser dans le respect de son développement et de ses apprentissages.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 22 janvier 2024
Mis à jour le 22 janvier 2024