Les éducateurs de jeunes enfants : chefs d’orchestre pédagogique des crèches ? Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Le diplôme d’Etat d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE) forme des spécialistes de l’accompagnement des enfants de moins de sept ans . C’est ce que nous dit la fiche de l’ONISEP. Sur cette dernière il est même indiqué que ces professionnels exercent principalement dans les structures d’accueil de la petite enfance. Mais cela est-il vrai aujourd’hui ?

On peut en douter tant les établissements sont en recherche permanente d’éducateurs de jeunes enfants. Un vrai paradoxe ! En effet les crèches ont longtemps été des lieux de garde dont on se souciait surtout du développement du corps du bébé, de son hygiène de vie et de sa croissance. Les professions sanitaires spécialistes de l’enfant étaient alors à la manœuvre. Et, maintenant que l’éveil, l’éducation des petits, la pédagogie et le soutien parental prennent la tête des missions actuelles des crèches, les vrais spécialistes de ces questions disparaissent ou plutôt n’apparaissent pas ou plus. Nombre de crèches sont bien en difficulté pour recruter des éducateurs de jeunes enfants dont la présence est obligatoire de la petite à la très grande crèche. A l’inverse, il semble plus facile d’en rencontrer dans les lieux où leur présence n’est pas règlementairement exigée. Décidément que se passe-t-il avec cette profession qui ne cesse de chercher sa vraie place ?

Bien que l’histoire de cette profession commence bien avant, on fait souvent remonter la naissance des éducateurs de jeunes enfants à celle des jardins d’enfants créés par Fröebel. Il s’agissait alors de former des jardinières d’enfants ou jardinières éducatrices pour s’occuper des petits accueillis dans ces structures éducatives et sociales. Le jeu de l’enfant et la pratique éducative sont au centre de leurs préoccupations. Petit à petit ces jardinières d’enfants sont employées hors des jardins d’enfants, dans les crèches, les pouponnières, les hôpitaux d’enfants et dans les centres de rééducation et d’accueil d’enfants handicapés. Leurs missions évoluent alors et se diversifient, ce qui amène la profession sur le chemin de la reconnaissance par la création du diplôme d’Etat d’éducateurs de jeunes enfants, en 1973. La dispersion des éducateurs de jeunes enfants dans des structures autres que celle de la crèche n’est donc pas récente et est quasi originelle puisque la crèche n’était pas leur lieu d’exercice premier. Leur absence actuelle ne correspond donc pas à une fuite mais à un manque de plus en plus criant.
La diversité actuelle des lieux d’accueil de la petite enfance, le niveau de formation au rang de la licence et la « concurrence » du récent métier d’accompagnant éducatif petite enfance, conduit les éducateurs de jeunes enfants à occuper de plus en plus des postes à responsabilité, d’organisation, ou d’intervention libérale, qui sont plus éloignés de l’action directe auprès des jeunes enfants. La majorité des éducateurs de jeunes enfants réfléchissent, organisent, conseillent, coordonnent, projettent. Dans les crèches, l’accueil et l’éducation des enfants sont menés par les auxiliaires de puériculture et les accompagnants éducatifs petite enfance. Ce sont les musiciens d’un orchestre dans lequel chacun joue d’un instrument qui peut être différent de celui du collègue. Ils connaissent la partition, ils l’on apprise à l’école ou/et sur le terrain, à force de la jouer chaque jour. Parfois il y a des fausses notes et des désaccords. Mais même lorsque chacun joue son rôle à merveille, le chef d’orchestre est nécessaire. C’est celui qui coordonne les différents musiciens, qui donne le tempo, la mesure, les nuances, qui indique à quel moment chaque professionnel doit jouer sa partie. C’est ce qui fait la cohérence, la concordance et la beauté d’une organisation pédagogique.

Lorsqu’il n’y a pas d’éducateur de jeunes enfants dans une crèche, alors il manque le chef d’orchestre pédagogique. Et même si l’organisation est bien prévue, écrite et détaillée, même si elle relève d’une bonne réflexion d’équipe, il manque tout de même celui ou celle qui dirige cet ensemble au niveau pédagogique, lui donnant tout son sens et sa beauté, permettant à chaque enfant d’être accompagné dans ses premiers apprentissages. Ce travail est difficile, comme celui d’un vrai chef d’orchestre. Il faut être rigoureux, discipliné, ferme, charismatique.

Il faut connaître la pédagogie et le développement de l’enfant sur le bout des doigts. Il faut avoir un vrai sens de l’organisation et une autorité, celle du savoir dénuée d’autoritarisme. Et surtout, il faut que ce poste soit reconnu et valorisé. On ne peut pas diriger un orchestre de professionnels de la petite enfance depuis un bureau ou en faisant des tâches administratives. C’est un travail de terrain qui demande une présence constante auprès des musiciens qui jouent ensemble. Un chef d’orchestre ne remplace jamais un musicien, il réorganise son orchestre pour que le morceau reste possible à jouer et joli à entendre. Il est tourné vers le musicien qu’il dirige bien plus que vers le public qu’il accueille. Enfin, il est indispensable qu’un chef d’orchestre ait les moyens de faire jouer son orchestre, à la fois le théâtre adapté, les musiciens professionnels et les instruments modernes, c’est-à-dire les locaux, l’équipe et le matériel de la crèche.

Le chef d’orchestre est le professionnel qui est le cadre pédagogique indispensable à toute crèche qui souhaite remplir les missions qui lui sont actuellement dévolues. Les éducateurs de jeunes enfants doivent apprendre ce métier pour venir occuper ces postes qu’ils désertent actuellement. Les enfants et les équipes ont cruellement besoin d’eux, tout comme les parents et les gestionnaires de crèches. En crèche, l’éducateur de jeunes enfants est un professionnel de terrain chef d’orchestre. Il peut aussi être un directeur ou un adjoint de direction, mais il ne peut pas faire les deux !