Julie Marty-Pichon EJE et professeure des écoles : « je suis favorable à un grand ministère de l’Enfance et à un système intégré pour les 0-6 ans. »

Julie Marty-Pichon, EJE engagée (elle co-préside la FNEJE) et professeure des écoles depuis quelques années, publie « J’ai mal à ma crèche. Ce que vous devez savoir sur l’accueil des bébés en France ». (1) Un livre concis, efficace et bien documenté. Mais un livre militant : l’auteure est une féministe, femme de gauche et ne s’en cache pas. Elle défend un projet où les politiques publiques seraient au service du bien-être des enfants, auraient des moyens pour mettre en oeuvre un accueil de qualité pour tous les enfants, un accueil  gratuit pour  tous les  parents. Avec en prime de bonnes conditions de travail pour les professionnels. Elle argumente et revendique ce droit à rêver d’un monde meilleur pour la petite enfance !
Les Pros de la Petite Enfance : Votre livre très pédagogique et très documenté s’adresse aux pros mais surtout et aussi au grand public puisqu’il a l’ambition d’expliquer l’accueil du jeune enfant dans les crèches en France. D’en décrypter les rouages, les faiblesses…Vous l’avez écrit à la première personne et mêlez avec habilité votre expérience personnelle d’EJE, de professeur des écoles aujourd’hui, mais aussi de mère de deux jeunes enfants. Pourquoi ce choix ?

Julie Marty Pichon : Ce choix, c’était aussi une façon de montrer qu’on ne devient pas travailleur social par hasard, qu’on ne décide pas de travailler avec des enfants par hasard. Et oui, bien sûr, tout cela résonne avec l’enfant que j’étais et avec la mère que je suis.

Alors, on comprend assez vite qu’aucune de vos filles n’a été à la crèche…

Pour l’aînée, j’avais fait les démarches auprès de la mairie de Toulouse. Finalement je l’ai gardée pendant un an, car je venais de réussir le concours d’EJE, mais j’ai pu obtenir un report de début d’études en raison de ma grossesse. Ensuite, nous avons déménagé à la campagne et avons fait un mixte halte-garderie et assistante maternelle, assistante maternelle qui en l’occurrence était ma tante. Pour la seconde, mon mari a pris un congé parental et cette garde paternelle aussi a été associée à la halte-garderie.

Justement dans votre décryptage des modes d’accueil, vous regrettez la quasi disparition des haltes-garderies qui pour vous présentent de multiples avantages.

Avant 2000, il y avait deux grands modes d’accueil collectif : la halte-garderie traditionnellement réservée aux parents qui ne travaillaient pas, et la crèche destinée aux parents actifs.
Quand, avec l'avènement de la PSU, la Cnaf a créé les multi-accueil, petit à petit au mieux les haltes-garderies se sont transformées en multi-accueil, au pire elles ont fermé. Et dans de rares cas, grâce à l’engagement des collectivités, elles ont perduré.
Un multi-accueil, c’est une crèche classique qui fait un peu d’accueil occasionnel pour « remplir la structure » et « toucher une bonne PSU ».
Avec ce nouveau  système, les professionnels ont dû tant bien que mal s’adapter. Les équipes de crèches ont été déstabilisées par cette façon de travailler avec des enfants qui ne venaient pas régulièrement à la crèche, et celles des haltes-garderies qui avaient l’habitude de gérer des groupes d’enfants différents et de ce fait une grande capacité d’adaptation, ont regretté, elles, d'avoir perdu la façon exigeante mais très intéressante de travailler.
En principe, les haltes-garderies accueillent les enfants par demi-journées et imposent une coupure qu’entre 12 et 14h. Certaines néanmoins font « journée continue » une fois par semaine, ce qui peut arranger bien des parents. Ce fut le cas par exemple, pour mes filles, qui allaient toute la journée du vendredi à la halte-garderie.
Pourquoi les haltes-garderies ont peu à peu disparu ? Parce qu’il est plus rentable de faire des multi-accueil, et par ailleurs on répond mieux à la demande des familles qui travaillent. C’est dommage parce que les haltes-garderies étaient et sont encore pour celles qui subsistent, des lieux de prévention, des lieux qui favorisent le lien social, des petites structures de 20-25 places (ce ne sont pas comme certaines grandes crèches des usines à bébés).

Dans la première partie de votre livre où vous expliquez les modes d’accueil, dans votre top 3 on trouve aussi les crèches familiales. Pourquoi ?

La crèche familiale, c’est un modèle qui a eu le vent en poupe durant 30 ans et qui a été progressivement abandonné car jugé trop couteux. Pourtant, c’est selon moi un véritable mode d'accueil. C’est du collectif à dose homéopathique.
Les enfants y trouvent leur compte. Pour les plus petits, c’est une meilleure réponse à leurs besoins car cela permet un accueil proximal. Les plus grands, eux, ont accès à tous les  avantages du collectif.
Les parents bénéficient des avantages de la tarification PSU et des avantages d’un accueil familial.
L’assistante maternelle, elle, est encadrée par une équipe de professionnels titulaires d’un diplôme supérieur au sien. Elle est accompagnée, elle n’est pas isolée, elle peut prendre du recul sur ses pratiques et c’est un vrai atout de ce dispositif.
Néanmoins, je considère toujours que la formation des assistantes maternelles est trop légère, qu’a minima, elles devraient toutes être titulaires du CAP-AEPE. Mais en fait je suis plus ambitieuse et il faudrait une réforme radicale de la formation. Je pense que tout professionnel de la petite enfance devrait être titulaire d’un diplôme bac +3. Et cela concerne aussi bien les assistantes maternelles que les auxiliaires de puériculture (ndlr : dont la formation dure un peu moins d’un an). On n’a pas cessé d’augmenter le niveau de formation des enseignants pour arriver à un Master, il doit en être de même pour les professionnels de la petite enfance. Les enjeux sont tout aussi importants.

En revanche, vous épinglez les Maisons d’assistantes maternelles (MAM) et les micro-crèches.


Oui et pour des raisons différentes. Les micro-crèches présentent à mes yeux deux problèmes : leur mode de financement quand elles le sont par la Paje (voir ci-dessous) et leur système dérogatoire quant aux taux d’encadrement et la qualification des professionnels. Pour autant, à un moment donné les micro-crèches dans les territoires ruraux ont constitué une opportunité pour créer une offre d’accueil. Mais pourquoi un système dérogatoire ? Il n’y a qu’en France où l’on envisage un service public avec des structures - les micro-crèches - avec une qualité moindre. Pour moi, la taille des micro-crèches est plutôt un atout pédagogique, mais pourquoi ne pas en faire des mini-crèches comme on les appelait avant, des crèches de petite taille répondant aux mêmes exigences et bénéficiant du même système de financement que les EAJE classiques ?
Quant aux Mam, mes positions et celles de la FNEJE que je co-préside sont connues. Le système des MAM est super dérogatoire ou comment faire plus avec moins ! Pour moi, c’est perdre toute la substance de ce qu’est une assistante maternelle. Je suis contre l’exercice en MAM. Pourquoi les politiques et les collectivités l’encouragent ? Tout simplement parce que c’est moins cher. Quatre assistantes maternelles peuvent accueillir jusqu’à 4 enfants  chacune, voire parfois 5… Les Mam sont des mini crèches sans que les pros n’aient les qualifications requises et sans aucune obligation bâtimentaire et de plus sans que l’accessibilité financière aux familles soit garantie. Cela fait beaucoup !

Dans une seconde partie de votre livre, vous faites une charge en bonne et due forme contre ce que vous appelez la marchandisation du secteur ou comment répondre à la demande au moindre coût. Vous y évoquez le financement des modes d’accueil. La Psu, vous le soulignez est juste pour les parents et l’enfer pour les pros. Quelle est la solution ?

Effectivement, la PSU permet aux parents de payer exactement pour le temps d’accueil. Après, mais je prends là ma casquette de militante, je voudrais moi que les modes d’accueil soient gratuits pour les familles. On devrait dans les communes construire des maisons de l’enfant réunissant crèches collectives ou familiales et écoles maternelles en fonction des besoins recensés. On en est loin, je vous le concède. Donc transitoirement, la solution, en tout cas pour les professionnels, serait de revenir au forfait tandis que les parents pourraient continuer à régler juste pour les temps d’accueil réalisés.
Je m’explique : on évalue par exemple à toutes les dépenses nécessaires pour qu’une crèche de 20 places puisse fonctionner et proposer un accueil de qualité. A partir de cette évaluation, on pourrait imaginer que la Cnaf verse une subvention forfaitaire par place qui tienne compte de tous les coûts : entretien des locaux, repas, couches, salaires de professionnels, heures d'analyse de pratique  etc. La crèche fonctionnerait avec ces subventions à la place tandis que les parents continueraient de payer au plus près de la fréquentation du lieu d’accueil par leur enfant. Le différentiel serait alors pris en charge par le gestionnaire.

Dans votre critique de la marchandisation – car vous ne vous en cachez pas, votre livre est celui aussi d’une militante de gauche - vous consacrez quelques pages au système de la délégation de service publique (DSP) pour lesquelles vous accusez le secteur lucratif de concurrence déloyale. Expliquez-nous ?

Les DSP, c’est une manne pour le privé. D’ailleurs, elles se sont largement développées après l’ouverture du secteur au privé lucratif. Avant les collectivités fonctionnaient tout simplement avec des Conventions d’objectifs et de gestion et les associations gestionnaires de crèches négociaient des subventions avec les mairies.
Mais il semble qu’à un moment les collectivités locales ont reçu pour consigne de passer par des DSP ou des Mapa (marché public de procédure adaptée, une sorte de version light des DSP classiques) pour sécuriser les partenariats avec les associations.
Les DSP fonctionnent avec un système de notation : le prix compte par exemple pour 40% de la note, le projet social et éducatif pour 30%, la politique RH pour 20% etc.
Mais dans la réalité, c’est l’argument-prix qui l’emporte toujours et là le privé lucratif est imbattable. Et c’est une forme de concurrence déloyale : le privé lucratif n’a pas de convention collective ou alors une convention collective peu avantageuse pour les professionnels, sa politique sociale n’est pas particulièrement ambitieuse. Bref, pour le privé lucratif, moins ça coûte, mieux c’est.
Et puis, pour remplir un dossier de DSP, il est mieux outillé qu’une petite association, car il faut bien connaitre le code territorial pour répondre. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde. Les grosses associations et les grands réseaux privés lucratifs ont eux des équipes dédiées.
Ce qui est regrettable avec le développement de ces DSP, c’est que les petites associations locales ont fini par disparaître et avec elles une certaine proximité avec la population et ses besoins.
Évidemment, les DSP pour les collectivités locales c’est de la sécurisation. Elles n’ont pas toujours les compétences pour gérer une crèche, par ailleurs avec ce système elles n’ont pas à embaucher de personnel. Bref, on peut les comprendre.

Dans votre troisième partie, vous vous autorisez à rêver un peu et vous militez pour un système intégré 0 à 6 ans… et là on comprend mieux votre choix d’un double parcours : EJE et Professeur des écoles.

Oui, je suis favorable à un grand ministère de l’Enfance et à un système intégré pour les 0-6 ans comme dans certains pays étrangers. Cette coupure à trois ans n’est pas, du point de vue du développement de l’enfant, légitime. Avec cette idée bien ancrée qu’à la crèche on joue et qu’à l’école on apprend ! Comme si la frontière était nette et précise. Et puis bien sûr on a tendance à opposer professionnels de la petite enfance et enseignants.
Il faut considérer les enfants de moins de six ans dans leur globalité, il faut plus de porosité entre crèche et école maternelle (qui elle est gratuite). Un système intégré aurait l’avantage de rassembler des compétences autour de l’enfant et des familles (ce qui manque à l’Éducation nationale) et de pouvoir travailler sur les apprentissages et l’aspect cognitif du développement de l’enfant avant trois ans, ce qui manque à notre accueil collectif en EAJE. Un système intégré, c’est tout simplement deux lieux de la petite enfance qui travaillent ensemble.
Les premiers bénéficiaires de ce système seraient les enfants. Je peux vous donner un exemple. L’école maternelle où j’enseigne jouxte une crèche municipale. D’ailleurs, nous partageons la salle de restauration. J’ai depuis la rentrée dans ma classe une petite fille d’à peine 3 ans qui a un retard de développement. Elle n’a jamais fréquenté un mode d’accueil formel, avant d’être scolarisé. Cette petite fille pleurait dès que sa maman partait. Parce que je suis aussi EJE, j’ai, avec cette maman, organisé la familiarisation comme je le faisais à la crèche. Elle a pu rester dans la classe aussi longtemps que cela a été nécessaire pour que sa fille accepte la séparation. Et on a réussi au bout de 3 mois ! C’est une première étape.
Par ailleurs, comme cette petite fille manque de tonicité, je suis allée à la crèche demander une chaise avec accoudoir… Cela aussi, si je n’avais pas été EJE, je ne l’aurais probablement pas fait.

Militante et engagée à la FNEJE depuis de nombreuses années, vous terminez votre livre par une sorte de manifeste… loin de l’esprit de NORMA que vous critiquez.

En effet, je critique vivement NORMA qui a été une énième réforme de dérégulation du secteur. Quand par exemple vous assenez pendant des mois de concertation que laisser le choix au gestionnaire du taux d’encadrement c’est mettre en danger l’accueil des plus petits dans les sections de bébés. Et qu’on vous répond qu’il faut faire confiance. Et qu’aujourd’hui il est courant de trouver des sections de bébés à 1 adulte pour 6 au lieu d’1 adulte pour 5. Il va falloir m’expliquer en quoi cette réforme est la réforme de la « qualité » que le gouvernement s’est évertuée à marteler.
Alors oui je propose un changement radical de vision qui demande de tout changer et d’engager un investissement massif. De façon générale, le plus important pour moi est de réfléchir collectivement à la place de l’enfant dans notre société et d’en faire véritablement un sujet à part entière dont on ne peut plus bafouer les droits notamment en matière d’éducation sans violences. En ce qui concerne l’accueil de la petite enfance, je crois urgent de travailler à un système intégré 0-6 ans à la française dans l’intérêt des enfants, des familles et de professionnels. Tout cela demande du courage politique et des moyens !



1) Sortie le 11 janvier. Editions Eyrolles. 17,90€

Découvrir ci-dessous un extrait du livre concernant le périmètre du SPPE
Article rédigé par : Catherine Lelièvre
Publié le 18 décembre 2023
Mis à jour le 25 janvier 2024