La compétence est aussi nécessaire pour les intervenants extérieurs dans les crèches. Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure
Pour la babygym, l’intervenante limite le nombre d’enfants à huit, accompagnés d’une professionnelle, afin d’être en mesure de bien les gérer. En effet, elle a des « choses » à leur apprendre et cela nécessite que cela se fasse en tout petit groupe. Pour autant ce qu’ils ont à apprendre n’est pas très clair et n’est pas énoncé d’emblée. Il ne s’agit pas de psychomotricité puisqu’elle n’est pas psychomotricienne, mais ce n’est pas non plus de la gymnastique pour les tout-petits car ils sont trop petits justement. Elle n’est ni professeur de gymnastique, ni professionnelle de la petite enfance ! Elle ne connait pas leur développement, et pas non plus ce qu’ils apprennent et comment ils le font. Elle possède un brevet d’éducateur sportif option trampoline ! Cela tombe bien car il y a un petit trampoline dans la bougeothèque ! Mais cela ne va pas lui suffire pour s’adapter au monde des tout-petits, à ces bébés qui ne sont pas vraiment prêts à recevoir un cours de sport…
En effet elle commence par leur demander de venir s’asseoir en rond, car le rond lui permet de voir tous les enfants et de donner ses consignes. Malheureusement pour elle, les petits de la crèche ne connaissent pas encore ce qu’est un rond et ils n’ont pas envie de s’asseoir, ils ont bien compris que la bougeothèque était le lieu du mouvement, alors ils comptent bien prouver son utilité ! Ils ont d’ailleurs fait des pieds et des mains pour y venir et nombre de leurs congénères pleurent encore derrière la porte car ils n’ont pas été autorisés à participer à cette activité dont l’effectif est réduit. Ce sera leur tour une autre fois, plus tard, la semaine prochaine peut-être leur a-t-on dit…Malheureusement les jeunes enfants n’envisagent pas cette notion temporelle. Ils vivent l’instant présent est sont malheureux de cette situation de rejet : la vie est dure même à deux ans ! Mais, pour le moment, ce n’est pas le problème de l’intervenante qui essaie de contrôler les enfants qui ont la chance d’assister à son cours. Ces derniers finissent par accepter de s’asseoir grâce aux capacités de persuasion de la professionnelle de la crèche qui les accompagne. Vient ensuite le discours de l’intervenante qui demande aux enfants leur prénom : évidemment aucun d’eux ne répond. Ils regardent et sourient à la professionnelle qui finit par les présenter et les nommer afin de venir en aide à cette collègue temporaire qui ignore que les enfants de cet âge ne répondent pas aux questions.
Avec obstination, cette dernière continue son programme. Il est temps de faire l’échauffement ! Toujours sans tenir compte des capacités, cette fois-ci motrices des petits que d’ailleurs elle ignore, elle leur demande de lever leurs bras et leurs jambes dans la position assise. Il s’agit de renforcer leurs abdominaux. Évidemment, aucun enfant ne la suit, ils en sont bien incapables. La professionnelle, bien courageuse, est la seule à faire le mouvement demandé pendant que les enfants s’excitent et se chamaillent. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses : le parcours de motricité. Les enfants doivent suivre le chemin proposé avec de la marche sur une poutre au sol, un quatre pattes à l’intérieur d’un tunnel, puis l’escalade d’une montagne en mousse pour finir par une roulade avant. C’est bien beau tout ça mais clairement les enfants décident de faire différemment que ce que l’intervenante a prévu. Ils courent à côté de la poutre, refusent d’entrer dans le tunnel et sautent de la montagne au lieu de faire la roulade prévue et qu’ils sont incapables d’exécuter…Ils n’en font qu’à leur tête et les deux adultes ont bien du mal à obtenir un semblant de maîtrise d’exécution du parcours tel qu’il a été pensé au préalable.
Voilà ce qui arrive lorsqu’on ne tient pas compte de ce que sont les enfants de cet âge, de leur avis et point de vue sur la question, de la façon dont ils perçoivent cette salle et ce temps prévu pour laisser libre cours à leurs exercices de motricité. Le cours est impossible, seul le jeu compte et chacun invente le sien ou suit l’idée de l’autre enfant. Le ludique prime et l’adulte est souvent démuni car il se place en professeur ou en guide souhaitant que les enfants suivent ses propositions ou consignes. Or les jeunes enfants ont une autre façon de voir les choses. Leur environnement et les objets qu’il contient leurs indiquent comment agir. Ce sont eux les vrais guides. Le travail des adultes est alors de suivre leurs expériences, de donner une valeur ajoutée à ce qu’ils font en les soutenant et en étayant leurs apprentissages issus de leurs essais/erreurs.
Cela demande de se décentrer d’un apprentissage académique de la pratique sportive pour intégrer non seulement les compétences réelles des jeunes enfants, mais aussi la façon dont ils les acquièrent.
Bénéficier d’intervenants extérieurs à la crèche est une chance pour les enfants car tout le monde n'est pas musicien, danseur, conteur, psychomotricien ou comédien et donc en capacité de leur apporter des possibilités d’apprentissages supplémentaires. Mais il est nécessaire que ces personnes soient en adéquation avec le développement de ces enfants, en capacité de s'insérer dans une pédagogie de crèche adaptée aux petits, et soient respectueuses de cette période de leur vie. Il revient aux équipes d'imposer leurs organisations pédagogiques et d'orienter les contenus des interventions provenant de personnes extérieures.
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