La défaillance des crèches par la baisse des compétences professionnelles. Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure
Ces dernières années, les professionnels de niveau 3 (CAP) sont venus peu à peu remplacer ceux de niveau 4 (particulièrement les auxiliaires de puériculture) et de niveau 6 (les éducateurs de jeunes enfants). Si la volonté de substituer des professionnels du domaine éducatif à ceux appartenant au champ sanitaire peut se comprendre pour des métiers où il s’agit de s’occuper d’enfants sains, en revanche, c’est bien le niveau de recrutement et le contenu de la formation qui ne sont pas à la hauteur de ce que les crèches ont connu par le passé, et de ce que les enfants de cet âge méritent.
C’est sans doute une des raisons de la fuite des cadres intermédiaires, comme les EJE qui, dès leurs premiers stages, comprennent qu’ils ne souhaitent pas travailler en crèche. Avec le soutien des gouvernements successifs, les centres de formation ont développé à marche forcée des programmes en vue de l’obtention rapide, et pour tous, du CAP petite enfance dénommé ensuite CAP Accompagnant éducatif petite enfance. Une aubaine pour leurs finances, mais une catastrophe pour les crèches. Le recrutement des personnes souhaitant préparer ce diplôme n’a pas été pensé, tant il a été important de faire entrer en formation des candidats largement subventionnés par l’État. Le niveau de la formation délivrée est resté très faible, en correspondance avec une histoire tournée vers l’école et la prise en charge des petits par les ATSEM sur le plan de l’hygiène et de la garde, et non vers les bébés de la crèche qui supposent des niveaux de connaissances plus approfondis, notamment sur leur développement, l’accueil de leurs parents, et les particularités éducatives à mettre en place en équipe pédagogique.
Les responsables de crèches ont vu arriver de jeunes professionnels non seulement ignorants du développement et des soins à donner aux bébés, car n’ayant jamais eu l’occasion d’apprendre, mais aussi arrogants, revendicateurs et parfois incultes ou non éduqués eux-mêmes. Il s’agit le plus souvent de jeunes filles en échec scolaire, n’ayant pas d’autre voie possible et dont le but de leur vie est plutôt de ressembler à leurs modèles youtubeuses qu’à une éducatrice de la petite enfance. Elles sont habillées de manière non appropriée et peu confortable pour se mettre au sol avec les enfants. Elles ont les ongles longs comme des griffes et tellement vernis qu’on ne sait pas s’ils sont propres. Leurs cheveux lissés tombent immanquablement sur les visages des petits, leur maquillage est ostentatoire, leurs tatouages et leur nombril bien visibles. Elles avouent sans détours ne pas être intéressées par ce travail trop harassant, mais disent qu’elles n’ont pas le choix. Elles baillent lors des réunions en journée pédagogique et ne comprennent pas vraiment ce qu’elles font là, puisqu’elles savent déjà changer des couches et qu’un bébé ce n’est pas compliqué car il suffit de lui donner à manger et de le coucher. Elles sont le plus souvent hostiles à des organisations pédagogiques différentes de ce qu’elles connaissent, c’est à dire l’école, les groupes et les enfants obéissant à des consignes.
Les bébés sont dans leurs mains des poupées à manipuler (habillage, déshabillage, change,) à nourrir et à coucher, avec, si elles en ont le temps, un petit câlin parfois, mais pas trop long, pour ne pas lui donner de mauvaises habitudes ! Entre autres perles bien réelles, cela ne les choque pas de donner une dose-poids de 15kg de doliprane à un enfant de 6 mois, car elles n’ont pas fait correctement la tare de la balance et ne savent pas combien peut peser un enfant de cet âge. Cela ne les embête pas non plus de dire à un parent le soir que leur enfant a été infernal ou qu’il a refusé de boire alors qu’il fait 30 degrés dans la crèche en plein été. Elles font fi des marques de respect concernant leurs supérieurs ou leurs ainés qu’elles insultes dès qu’il leur est demandé de changer d’horaire ou de mieux parler aux enfants. Elles font d’ailleurs une faute de français à chaque phrase et n’ont parfois aucune difficulté à dire qu’elles préfèrent ne pas lire de livres puisqu’elles ne comprennent pas ce qui y est écrit ou que le texte est toujours le même ! Certaines n’ont jamais tenu de bébé dans leurs bras avant d’arriver dans la crèche, leur formation s’étant déroulée à distance comme les organismes qui en font la publicité savent le proposer. Ces centres leur font espérer devenir « auxiliaire de crèche », un métier qui n’existe pourtant pas mais qui, sans doute, aurait vocation à remplacer les vraies auxiliaires de puériculture.
Mal payées, mal considérées, mal dans leur peau et dans leur vie, c’est souvent toute une équipe qui subit leurs difficultés et pallie leurs absences, leurs déficiences et leurs incompétences. Ces intervenants sont recrutés dans les crèches pour boucher les trous liés au manque de professionnels diplômés d’État. Ils le sont aussi dès que la législation n’oblige pas la présence de ces personnels diplômés. Ces recrutements présentent l’avantage de résorber le chômage de jeunes sans diplôme et donc de trouver à certains des emplois, tout en permettant à des entreprises de se développer à moindre frais, en payant de bas salaires.
Les raisons sociales à la présence de ces personnels peu et mal formés sont diverses, mais on oublie qu’on leur confie des bébés dépendants et fragiles, ayant besoin de personnes avec de grandes compétences pour les comprendre, prendre soins d’eux et en capacité d’étayer leurs apprentissages. De plus, l’effet pervers est que les autres professionnels se sentent disqualifiées et s’en vont, les cadres ne veulent plus assumer des responsabilités présentant des risques qu’ils ne peuvent pas éviter et partent aussi. L’augmentation du nombre de places de crèche n’a pas été accompagnée par une réflexion sur la filière professionnelle et encore moins sur la qualité de la formation des professionnels des crèches.
Une raison plus profonde est que la représentation des crèches, vues comme des modes de gardes, des modes d’accueil ou des lieux de services rendus aux familles, ne rend pas compte du fait que les professionnels y font un travail de soins et d’éducation qui nécessite une solide formation. Cette mauvaise définition, associée à une formation trop indigente et inappropriée, dans laquelle tout le monde obtient son diplôme, sauf ceux qui ne se présentent pas à l’examen, conduit à des catastrophes, bien que nombre de ces professionnels sont aussi des personnes formidables qui aiment leur métier et le font très bien.
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