Les failles réglementaires des modes d’accueil collectif. Par Géraldine Chapurlat

Juriste, formatrice petite enfance

David ADEMAS
bébé à plat ventre
Alors qu’une commission d’enquête parlementaire est chargée d’investiguer sur le modèle économique des crèches et leurs conditions de fonctionnement et mettre en évidence des failles réglementaires,  des arrêtés qui devraient permettre la pleine effectivité de la réforme de la petite Enfance initiée par l’Ordonnance du 19 Mai 2021 ne sont toujours pas publiés.Cette absence de publication constitue à mon sens un très mauvais signal envoyé par les pouvoirs publics sur leur réelle volonté de réguler le secteur de la petite enfance.

Rechercher les failles réglementaires à la marchandisation de la petite enfance...
Le secteur de la petite enfance relève du secteur marchand depuis la transposition en 2010 de la directive Bolkestein dans  le droit Français. Il y a fort à parier que les profits générés par les acteurs privés du secteur ne résultent pas d’une faille règlementaire mais découlent de la stricte application des règles du marché.
Je doute fort que les axes d’investigation de la commission parlementaire sur le modèle économique des crèches soient porteurs d’avancées significatives et permette à la petite enfance de sortir la tête de l’eau : en quantifiant le taux de profitabilité et la contribution des financeurs publics à cette profitabilité, je crains que l’on ne peine à mettre en évidence d’éventuels montages financiers frauduleux et les failles de la règlementation qui permettent son existence.

Des délégations de service public : un choix à questionner et des modalités de contrôle à améliorer
Les délégations de service public ont fortement accentué la marchandisation du secteur de la petite enfance. Or, les critères de choix des opérateurs et les modalités de contrôle des marchés ont rarement été questionnés.
L’abandon de la gestion directe de la petite enfance par les collectivités territoriales en déléguant le fonctionnement de leurs structures dans le cadre de marchés publics a pour but annoncé de « rationaliser » les dépenses. Soyons clair, cette rationalisation s’est le plus souvent traduite dans le choix de prestataire qui propose le prix le plus bas. Il faudrait être naïf à penser que le choix du moins disant opéré par la collectivité territoriale n’ait pas d’incidence sur les conditions d’accueil des enfants et de travail des professionnels. Il faudrait donc peut être responsabiliser les collectivités qui délèguent en leur permettant d’avoir un droit de regard plus précis sur les modalités d’accueil des structures qu’elles font fonctionner en délégation de service public.
Mais en amont, les collectivités peuvent également questionner leur choix de déléguer l’accueil de la petite enfance à chaque renouvellement de marché. Au-delà des critères de choix des opérateurs et des modalités de contrôle de la délégation c’est aussi le principe même de la délégation qui pourrait être questionné. Dans le secteur de l’eau et du gaz, de nombreuses collectivités sont revenues en arrière en reprenant en gestion directe leur service. Est-il utopique de penser que l’ampleur de la crise de la petite enfance puisse influer sur ces choix politiques ?

Se donner les moyens d’imposer le cadre légal au secteur de la petite enfance
Ne nous leurrons pas, les maux de la petite enfance ne concernent pas uniquement le secteur privé et l’application des règles marchandes à ce secteur. Le rapport de l’IGAS l’indique, les dysfonctionnements concernent également le service public et l’associatif.
Les difficultés de recrutement touchent l’ensemble du monde de la petite enfance. Ces difficultés à recruter impactent les conditions d’accueil des enfants et de travail des professionnels. En effet faute de recruter des professionnels en nombre suffisant, des gestionnaires se retrouvent à accueillir des enfants sans respecter le taux d’encadrement ni la présence de professionnel.les diplômé.es en nombre suffisant auprès des enfants. Les arrêtés manquants devraient simplement imposer à chaque structure de disposer d’indicateurs attestant du respect du taux d’encadrement et de la répartition des qualifications professionnelles encadrant les enfants. Cette absence de publication constitue en soi une faille réglementaire de taille et introduit un véritable doute sur une volonté réelle des pouvoirs publics à réguler les abus de la petite enfance.  
Rappelons que le respect du taux d’encadrement et la présence de professionnel.les diplômés en nombre suffisant sont essentiels pour garantir la prise en compte des besoins fondamentaux des enfants accueillis. En effet dans un contexte où la réforme de la petite enfance a considérablement assoupli les conditions de recrutement des personnels de direction  et a élargi les possibilités de recrutement de la part des professionnels qualifiés qui n’ont pas de connaissances spécifiques à la petite enfance, il parait essentiel à minima de fonctionner en respectant ces ratios.
Rappelons enfin que le renforcement du contrôle de moralité initié par la loi  réformant la protection de l’enfance dite loi Taquet n’est toujours pas effectif faute d’arrêté d’application.
Ces arrêtés d’application relèvent de la compétence de cabinets ministériels qui sont certainement très impactés dans leur fonctionnement par les changements de gouvernements successifs. Peut-on espérer que la commission parlementaire influe pour  que ces textes soient enfin adoptés et que le réforme de la petite enfance puisse avoir sa pleine effectivité?


 
Article rédigé par : Géraldine Chapurlat
Publié le 25 janvier 2024
Mis à jour le 31 juillet 2024