Cécile Herrou, fondatrice de l’APATE : « Quand on s’occupe de parents et d’enfants, on puise sur nos propres expériences, voire nos drames »
Cécile Herrou : Dans le cadre de mes études, j’avais traité la question de l’institution et du traitement social des jeunes enfants handicapés et je savais combien c’était difficile pour des parents d’enfants handicapés de quémander une place. Quand j’ai fondé l’APATE en 1990, je travaillais comme assistante sociale dans un centre d'action médico-sociale précoce (CAMSP). À l’époque, l’association était présidée par la fondatrice du premier CAMSP Jeanine Lévy et j’avais carte blanche pour mettre en place un lieu d’accueil qui mélange les enfants en situation de handicap avec les autres enfants. Quand on crée quelque chose, on invente tout. C’est objectivement plus facile mais ça reste difficile de « déconditionner » les professionnels. Sans surprise, je me suis heurtée à beaucoup de résistance.
Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous êtes confrontée ?
Il y en a eu plusieurs mais celles qui me viennent spontanément à l’esprit sont les difficultés relationnelles constatées entre les professionnelles et les parents parfois perçus comme « responsables » de confier un enfant « hors normes », mais aussi entre les équipes du secteur sanitaire ou médico-social et celles du secteur social. Les unes considéraient les autres comme des superviseurs venant faire la leçon et les contrôler, ce ressenti étant nourri par des postures jugeantes. Or, pour qu’un véritable accueil sans conditions puisse avoir lieu, les deux équipes doivent être complémentaires et partenaires. Les enfants trisomiques ne sont pas tous pareils encore moins les enfants autistes. Pourtant, le diagnostic est identique. Il faut donc revenir à l’enfant pour le comprendre et, le quotidien de l’enfant, ce sont les professionnelles du secteur social qui le partagent, pas les spécialistes dont le rôle est de soigner l’enfant. Très vite s’est donc posée la question : comment travailler ensemble et valoriser l’accueil de chaque famille, d’enfants handicapés ou non, en réhabilitant la notion d’hospitalité ?
Comment avez-vous procédé pour réunir les conditions adéquates et répondre à cette question ?
Une de mes préoccupations premières a d’abord été de proposer des modes de travail inédits en responsabilisant toutes les professionnelles quelles que soient leurs fonctions pour qu’elles participent pleinement à l’aventure et, surtout, en arrêtant d’opposer les tâches nobles aux tâches subalternes. Tout le monde fait tout mais personne ne fait n’importe quoi. Cette méthode tient en deux mots : décloisonnement et dé-hiérarchisation. Bien sûr, j’ai eu droit à des : « Oui, mais c’est à toi de décider ». Et en tant que directrice, c’est effectivement à moi de prendre la décision finale et j’en suis seule responsable mais, pour la prendre, j’ai besoin de tous les avis et d’en discuter. Là aussi, il y a eu des résistances, mais quand ces résistances tombent, il y a aussi beaucoup de plaisirs à se sentir écoutés.
Cette méthode porte un nom. La psychothérapie institutionnelle, issue de la psychanalyse, est le socle du fonctionnement des structures de l’APATE…
Pour moi, la psychothérapie institutionnelle, c’est la clef ! Mais attention, la psychothérapie institutionnelle, ce n’est pas tout le monde en analyse ! La psychologie institutionnelle utilise les ressorts inconscients entre les personnes consciemment. Ça ne veut pas dire que l’on comprend tout mais ça veut dire que l’on sait que chacun possède un arrière-pays, comme le désigne le psychiatre Jean Oury. Quand on s’occupe de parents et d’enfants, on puise sur nos propres expériences, voire nos drames. C’est ce qui nous aide aussi à comprendre la souffrance de l’autre. Les relations transférentielles entre les gens sont très utiles pour les soutenir et les accompagner. Pour moi c’est une évidence. Quand on s’occupe des enfants, handicapés ou non, on s’occupe aussi de leurs parents. Mais à l’époque, on me le reprochait. Aujourd’hui, le soutien à la parentalité est devenu très tendance et c’est tant mieux.
Depuis 2005, l’inclusion devrait être une réalité dans tous les lieux d’accueil… Toutes les professionnelles sont-elles capables d’accueillir tous les enfants sans condition ?
Oui à condition que la dynamique collective existe et que l’ambiance soit au rendez-vous. Pour inventer, il faut laisser les personnes inventer. Mais ça marche uniquement que si on ne pense pas qu’il y a des supposés savoirs et des réputés ignorants. Quand on arrive à créer cette ambiance souple, c’est-à-dire en laissant un espace d’autonomie dans les prises de décision pour régler les problèmes, les professionnelles arrivent elles-mêmes à trouver les solutions les plus adaptées aux enfants sans intervention de la hiérarchie, alors qu’elles pouvaient ne pas être toutes d’accord sur la façon de faire au départ ! Ce métier, pour être rigoureux, exige beaucoup de souplesse. En France, il y a certainement des structures qui fonctionnent de façon similaire à la nôtre. Mais il faudrait les identifier et davantage les valoriser. Ce qui est sûr en revanche, c’est que leur fonctionnement est incompatible avec une organisation marchande, verticale et rigide.
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