Le travail d’accueil des jeunes enfants est pénible ! La preuve…Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
D’autres évolutions notables apparaissent : ainsi les assistantes maternelles qui se caractérisaient, au sein du groupe professionnel des employés de service, par le fait d’être plus fréquemment en couple, avec enfants, et propriétaires de leur logement, ont un profil qui se diversifie sous cet angle ces dernières années : « En effet, le pourcentage d’assistantes maternelles en couple avec enfant est passé de 74 % en 2003 à 56 % en 2019. À l’inverse, les femmes en couple sans enfant sont passées de 17 % à 27 % et les femmes seules ou en situation de monoparentalité représentent 15 % des professionnelles en 2019 contre 6 % en 2003. »
Venons en maintenant aux enseignements qui motivent le titre de cette chronique. On observe ainsi une montée en formation des assistants maternels au gré des nouvelles générations professionnelles : « La part des sans diplôme a diminué de 18 points, passant de 40 % à 22 % entre 2003 et 2019 selon l’enquête Emploi. » Parallèlement, les assistants maternels s’inscrivent de plus en plus fréquemment dans des démarches de formation continue et indiquent « (…) également plus fréquemment « apprendre au cours de leur travail » en 2019 (74 %) qu’en 2005 (60 %). En comparaison, la hausse pour l’ensemble des salariés n’a été que de 2 points (76 % à 78 %) sur la même période. »
Parallèlement, les assistants maternels se conçoivent, de plus en plus fréquemment, comme des éducateurs de la petite enfance et non pas comme des acteurs de services domestiques ou familiaux. Ainsi « Alors qu’en 2005, 48 % des assistantes maternelles considéraient leur activité comme une fonction « d’enseignement, de soins aux autres », ce taux atteint 59 % en 2019. À l’inverse, la fonction d’« entretien, nettoyage, gardiennage » chute de 18 % à 6 %. » Retenons ces premières évolutions : une montée en formation initiale, en formation continue, un sentiment plus fréquent de « feed back » d’apprentissage dans l’activité et une activité plus fréquemment conçue comme étant de nature éducative.
Parallèlement à cela, on observe une augmentation des pénibilités ressenties dans le métier au point que la situation des assistants maternels par rapport aux autres métiers de services s’inverse : ils déclarent plus fréquemment effectuer des mouvements douloureux ou porter des charges lourdes. Alors que ce n’était pas le cas auparavant. Comment expliquer cela ? « Cela renvoie à deux phénomènes : une forme d’intensification du travail (liée notamment à l’augmentation du nombre d’enfants gardés) et une prise de conscience de la pénibilité de certains aspects de l’activité professionnelle. Le sentiment d’avoir une activité morcelée et de devoir s’interrompre dans une tâche s’est fortement accru, bien plus que dans les autres métiers de service. »
Effectivement, j’ai eu l’occasion de l’aborder dans d’autres chroniques dans ces mêmes colonnes, le nombre d’enfants accueillis par les assistants maternels a augmenté avec l’extension de leur agrément au cours de différentes réformes, et leur activité s’est recentrée nettement sur l’accueil des enfants de moins de trois ans au détriment de l’accueil des enfants d’âge préscolaire. Mais, comme les auteurs de cette recherche, je suis tenté de penser que ces évolutions n’expliquent pas entièrement cette augmentation de la pénibilité.
En effet « la prise de conscience de la pénibilité de certains aspects de l’activité professionnelle » me semble essentielle. Je serai même tenté de penser (ce que les auteurs de l’étude ne disent pas, ce sont mes suppositions) que cette prise de conscience est corrélative d’une part du sentiment plus fréquent de faire un travail éducatif et non pas d’entretien et, d’autre part, du fait que les assistants maternels sont tendanciellement plus formés aujourd’hui et donc d’autant plus sensibles à la nature relationnelle de leur activité. Si cette hypothèse est juste (elle demande encore à être confirmée) alors l’évolution des assistants maternels nous donnerait à voir, comme une sorte d’expérience en grandeur nature, que la pénibilité ressentie du travail d’accueil des jeunes enfants augmente – au moins pour partie – à mesure que ce travail est conçu comme étant plus particulièrement de nature relationnelle et éducative.
Ce qui voudrait alors dire, pour l’ensemble des professionnels de l’accueil du jeune enfant individuel comme collectif, que plus l’on va mettre l’accent (ce qui semble être fort heureusement l’orientation aujourd’hui) sur cette nature relationnelle et éducative de l’accueil, plus les professionnels vont être amenés à ressentir ce poids, cette charge de l’engagement affectif, la difficulté de devoir interrompre le cours d’une relation avec un enfant pour répondre à une autre interpellation ou nécessité.
Autrement dit encore, plus l’on va reconnaître cette nature relationnelle et éducative de l’accueil en accompagnant les professionnels de la sortie d’un paradigme sanitaire (pour l’accueil collectif) et maternalo-domestique (pour l’accueil individuel), et plus ces professionnels vont faire état d’un accomplissement, d’un enrichissement de leur vécu professionnel et d’une intensification de la pénibilité au travail.
Et donc, pour conclure, oui le travail d’accueil des jeunes enfants est pénible à mesure qu’il est exigeant humainement, relationnellement, profondément. Et l’ambition de le reconnaître ce travail pour ce qu’il est doit donc s’accompagner de l’exigence de doter les professionnels des moyens de faire face à cette pénibilité. Une pénibilité qui ne signifie pas que ce travail est désagréable, mais terriblement et superbement exigeant.
Connectez-vous pour déposer un commentaire.