Le rapport IGAS : mesure d’une dégradation ou d’une amélioration de l’accueil en crèche ? Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
A la lecture de ce travail, j’ai d’abord eu une question : est-ce que ce qui est observé est le résultat d’une amélioration ou d’une dégradation du travail en crèche ? La question pourra paraître obscène et décalée au regard des faits évoqués mais réfléchissons : qu’est ce qui nous fait dire que ce qui est observé est le résultat d’une dégradation ? Les effets délétères de la PSU (surtout sur le travail de direction) que les inspecteurs détaillent, la pénurie de professionnels aujourd’hui bien renseignée, l’arrivée de professionnels peu ou pas formés dans les équipes du fait des accommodements réglementaires destinés à répondre à cette pénurie, l’essor des micro-crèches privées qui sont les lieux souvent évoqués dans le rapport de restrictions de moyens humains et matériels délétères pour les enfants accueillis…
La liste est longue d’accord, mais qu’est ce qui est dégradé ?
Ce qui est dégradé ce sont des conditions d’accueil collectif qui, les inspecteurs le soulignent également, sont encadrées par des normes insuffisantes d’encadrement (ils préconisent de se rapprocher du ratio d’un adulte pour cinq enfants). Mais ce qui est dégradé ce sont également les modes de fonctionnement d’un univers d’accueil qui est marqué par son histoire, une histoire sanitaire qui s’incarne dans les professions traditionnelles du domaine (puéricultrice et auxiliaire de puériculture), une histoire encore présente à travers une conception de l’enfant comme objet de soin, ainsi, les auteurs le soulignent page 18 du rapport : « l’enjeu reste néanmoins pour cet accueil de se défaire du modèle hygiéniste de prise en charge de l’enfant malade, dont le système français ne semble qu’en partie sorti. » Ce qui est dégradé ce sont les conditions d’exercice de professionnels dont les formations professionnelles laissent trop peu de places à la question de l’accueil de l’enfant et de sa bientraitance dans ce contexte (ainsi les inspecteurs préconisent que la formation des auxiliaires de puériculture prévoit – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – un stage en EAJE), ainsi qu’au travail en équipe pluri professionnelle. Ce qui est dégradé, donc, c’est un modèle d’accueil daté et dépassé.
Et c’est là que l’on peut, peut-être, parler d’amélioration. En effet, l’enquête de l’IGAS aurait eu lieu dix ans ou vingt ans plus tôt, qu’aurait-on observé ? Peut être encore plus de situations de négligences, d’enfants laissés à pleurer, punis ou exclus, à qui on s’adresse rudement… Parce que cela aurait paru normal ou, du moins, incontournable à des professionnels bien intentionnés mais dépassés par la vie concrète de l’accueil collectif de jeunes enfants, parce que ce sont des professionnels d’abord du soin physique. Et, ce qui est peut- être encore pire, c’est que l’on aurait peut- être alors eu moins de signalements de négligences et de maltraitances de la part des professionnels eux-mêmes. En effet, ces pleurs, ces attentes, ces négligences, ces rudoiements auraient été plus fréquemment perçus comme les à côté inévitables de l’accueil collectif et de sa « socialisation » et donc comme ne relevant pas de la « mal » traitance.
Donc, les résultats de l’enquête IGAS peuvent être les manifestations d’une amélioration - à travers le fait qu’un quart des professionnels interrogés signalent avoir déjà travaillé dans un établissement qu’ils estiment maltraitant à l’égard des enfants - parce qu’ils traduisent aussi une sensibilisation croissante des professionnels (même peu ou pas formés) au bien-être et au développement du jeune enfant. Une sensibilisation croissante qui ne veut pas dire qu’elle est suffisante par rapport à tout ce que l’on sait du jeune enfant, de sa sensibilité et de ses capacités aujourd’hui. Et, j’en fais l’hypothèse, cette sensibilisation croissante peut avoir déjà été source d’améliorations à travers les efforts désespérés de professionnels tentant de faire quelque chose dans d’une part un cadre d’action décalé (la conception datée de l’accueil collectif) et, d’autre part, un contexte d’action dégradé (la pression actuelle à l’accueil et le manque de moyens).
Des professionnels qui, ainsi, développent de plus en plus souvent une mauvaise conscience voire un désespoir qui peuvent expliquer la pénurie actuelle du recrutement dans l’accueil collectif. Et c’est cette amélioration (la diffusion d’une compréhension plus fine est sensible du jeune enfant) qui rend encore plus impardonnables et criminels les arrangements réglementaires à l’économie de ces dernières décennies destinées à augmenter le nombre de places d’accueil collectif. Mais c’est cette même amélioration qui fait penser que l’on ne doit pas sauver l’accueil collectif tel qu’il a existé jusqu’aujourd’hui dans notre pays, mais le réinventer sur de nouvelles bases.
Connectez-vous pour déposer un commentaire.