Savoir observer pour coéduquer. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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disputes bébés
Dans ma précédente chronique, j’ai abordé la coéducation sous l’angle de la définition d’un « bien commun » dans l’espace d’accueil de l’enfant. Plus clairement dit, j’ai insisté sur le fait que coéduquer avec les parents ne veut pas forcément dire être d’accord avec eux en tout point (ou le plus possible). Cela implique plutôt de pouvoir s’articuler avec eux au nom de valeurs explicites, des valeurs qui sont difficilement refusables parce qu’elles sont démocratiques.
Mais la question de la coéducation ne se pose pas uniquement face aux demandes des parents. Les professionnels peuvent également avoir le sentiment de coéduquer quand ils font appel aux parents pour les aider à comprendre ou à résoudre une situation qu’ils rencontrent avec leur enfant. Un petit exemple pour illustrer ceci.

Dans cet exemple, un petit garçon d’un peu plus d’un an mord à plusieurs reprises d’autres enfants de son groupe. Face à cette situation (stressante, il faut expliquer aux parents des enfants mordus que cela n’est pas grave, que cela arrive…), les professionnels demandent aux parents de l’enfant mordeur s’ils comprennent ce qui se passe, de voir ce qu’ils peuvent faire… Rien que de la coéducation pourrait-on dire. On fait appel au regard, aux compétences, au rôle des parents pour résoudre ensemble un problème que rencontre l’enfant. Sauf que non. Pas du tout.
Premièrement, les parents n’arrivent pas à répondre aux questions de l’équipe : ils ne constatent rien de particulier dans leur relation et leur vécu avec leur enfant et ils peuvent aussi douter que de simples remontrances, le soir, à un enfant d’à peine plus d’un an, plusieurs heures après les faits puissent avoir une quelconque efficacité. Et deuxièmement, en se tournant vers les parents, les professionnels oublient de se tourner vers ce qu’ils ont sous les yeux : c’est à dire le vécu de l’enfant dans l’espace d’accueil.

Néanmoins, face au maintien de la situation, les professionnels finissent par mettre bout à bout leurs observations et là, un autre tableau apparaît. Le petit garçon mordeur a, avec d’autres enfants, une référente qui – à ce moment-là de l’année doit également faire plusieurs adaptations. Ce qui l’amène à devoir quitter les enfants qu’elle a en référence pour certains moments et les retrouver après. Quand elle les retrouve, les enfants se précipitent vers elle sauf… Sauf ce petit garçon mordeur qui marche moins bien que les autres, arrive un peu après et tout à sa frustration mord le ou la petite camarade qui passe à sa portée. Ayant observé cela, les professionnels conviennent de porter une attention particulière à cet enfant dans ce moment particulier et la situation se résout rapidement, l’enfant cesse de mordre parce qu’on ne le laisse plus dans une situation de frustration.

Que dit cet exemple ? Que les professionnels ont cru (de bonne foi) que coéduquer c’était aussi (et parfois surtout) mettre les parents en position de responsabilité, y compris pour ce qui se passe durant l’accueil. Mais que finalement la solution ne se trouvait pas forcément au domicile des parents mais aussi dans ce que l’enfant vivait dans la structure d’accueil. A mes yeux, cela rappelle utilement une base de la coéducation. Coéduquer c’est – pour les parents et professionnels – s’interpeller et s’articuler avec ce que chacun perçoit de l’enfant et souhaite pour l’enfant. Ce n’est qu’en observant et en étant capable d’analyser et de transmettre ce que l’on observe que l’on peut mettre l’autre en position de s’articuler avec soi autour de l’enfant. C’est à dire de coéduquer.




 
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 06 mars 2018
Mis à jour le 06 mars 2018