Coéducation et bien commun. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

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dialogue maman et professionnel de la petite enfance
Cela fait maintenant longtemps que je travaille sur la notion de coéducation, sur la question des rapports parents-professionnels. Ces deux sujets posent problème à nombre de professionnels et de services petite enfance du fait d’un dilemme que l’on peut résumer ainsi : dans la nouvelle donne des relations parents-professionnels, nous sommes sensés faire avec les parents, co-construire, co-éduquer avec eux. Nous recueillons leur avis, leur assentiment, nous faisons attention à leurs divers besoins. Mais est-il encore possible de garder des valeurs et des orientations propres au lieu d’accueil alors que nous sommes sensés nous accorder avec les parents ?
Coéduquer contre, sur et sans les parents… c’est possible. J’ai déjà eu l’occasion de me prononcer à ce sujet en affirmant que l’on peut coéduquer contre, sur et sans les parents. Le co de coéduquer ne renvoie pas pour moi à un accord entre professionnels et parents, mais à l’attention mutuelle que parents et professionnels portent à la circulation de l’enfant entre leur deux espaces de vie et d’accueil. Je ne développe pas plus ici ce sujet, peut-être y reviendrai-je dans une prochaine chronique. Je souhaiterai m’attarder sur un élément dont j’ai mieux compris l’importance pour la coéducation récemment, notamment à travers mes chroniques antérieures sur la qualité d’accueil chez les assistants maternels : le fait qu’un espace d’accueil des enfants se construit toujours sur une définition du bien commun.

Cela semble terriblement abstrait, passons par un exemple qui m'a été donné par une professionnelle de l'accompagnement des équipes d'EAJE. "Dans une crèche, un auxiliaire de puériculture homme travaille. Des parents le remarquent et demandent à ce que ce professionnel ne s'occupe jamais des changes de leur fille au titre que cela ne se fait pas dans leur culture. Cela heurte leurs valeurs et façon de faire. Malaise de l'équipe face à cette demande. La direction décide de reprendre la situation avec les parents et leur dit, dans un premier temps "Oui, nous entendons votre demande et nous ferons en sorte que ce professionnel ne change pas votre petite fille...." Et, juste à la suite : "Mais au fait, si un parent nous demande à ce qu'un professionnel noir ne touche pas leur enfant parce que cela les heurte... nous devrons alors l'accepter également?" Se faisant, les responsables de l'établissement ont décalé la demande des parents en la mettant en scène dans un espace d'accueil qui se réfère au bien commun : ce qui est une valeur "acceptable" dans un espace privé, ne peut être acceptée en tant que telle dans un espace se référant au bien commun.

En effet, ce qui permet la coéducation, ce n’est pas de répondre à toutes les demandes des parents. C’est de les écouter et de les « décaler » dans un espace d’accueil qui se réfère à des valeurs qui peuvent être communes (et donc des valeurs qui ne sont pas excluantes). Un espace d’accueil n’est pas la collection ou la synthèse malaisée des désirs et demandes de l’ensemble des parents ; c’est un espace commun étayé par des valeurs démocratiques. Et, selon moi, tous les espaces d’accueil, toutes les professionnalités de l’accueil reposent sur cette base. C’est ce que je pointais à la fin de ma dernière chronique concernant les assistantes maternelles : celles-ci veillent à ce que les relations entre enfants reflètent certaines valeurs : bienveillance, empathie, émulation. Leur cadre d’accueil a beau être familial, il définit entre les différents enfants et parents accueillis, un espace et un bien commun, démocratique.
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 03 février 2018
Mis à jour le 12 février 2018