Réarmement démagogique. Par Pierre Moisset

Sociologue, consultant petite enfance

Parents et enfant
Le 16 janvier dernier, lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron a, quelque peu, surpris, en parlant de « réarmement démographique ». Et ce, au regard des plus récents chiffres fournis par l'INSEE (1). Chiffres indiquant que l'indicateur conjoncturel de fécondité était tombé, en 2023, à 1,68 enfant par femme et que « seuls » 678000 enfants étaient nés cette année-là. Cela a été l'occasion, pour le chef de l'état, d'entonner un couplet patriote et nataliste « Notre France sera aussi plus forte par la relance de sa natalité. Nous étions jusqu’à récemment un pays dont c’était la force. (…) C’est moins vrai depuis quelques années ». Un couplet familier à notre pays, marqué depuis au moins un bon siècle par des angoisses récurrentes de dénatalité, et par ce qui fut un puissant mouvement nataliste et familialiste : « La France faisant figure d’exception en Europe par la vitalité de ce mouvement nataliste et familial, inexistant ou larvaire ailleurs (Pedersen, 1993), il s’agit « d’inventer » des dispositifs de natures diverses mais fondés sur le même principe : la famille, cellule de base de la société, garante de l’ordre social et de la puissance démographique de la Nation, doit être protégée et encouragée. » (2) Un couplet familier donc mais également connoté, connoté avec ce que l'on peut rapidement appeler, une vision traditionnelle voire traditionnalisante de la société que le président de la République et des membres de son gouvernement ont déjà eu l'occasion de manifester, par exemple suite aux émeutes de juin 2023 en appelant à la responsabilité des parents pour la reprise en main des jeunes émeutiers.     

La France doit donc reprendre appui sur ses familles, pouvoir compter sur les parents pour procréer et tenir les enfants à venir... Tout un programme. Les réactions à ce discours ont été nombreuses. Et déjà, comme le fait très bien par exemple le magazine Alternatives Economiques (3), pour relativiser cette angoisse démographique qui semble servir de véhicule à des envolées conservatrices. Plusieurs constats sont rappelés. Déjà le fait que le nombre de naissances total diminue parce que le nombre de femmes en âge optimum de procréer (entre 20 et 40 ans) diminue lui-même. Passé ce premier facteur, il est difficile de dire si la baisse du nombre de naissances est liée à une baisse du nombre d'enfants nés ou à naître par femme. En effet, l'indicateur conjoncturel de fécondité est, comme le rappelle le Centre d'Observation de la Société (4), bien plus à interpréter comme une « espérance de fécondité » pour les femmes une année donnée que comme une mesure réaliste de leur descendance finale. Et cela va avec le constat, rappelé par ce Centre, que « la fécondité est stable en France depuis 40 ans ». Autrement dit on observerait peut-être plus avec cette récente baisse de la natalité dans notre pays, déjà une évolution commune à l'ensemble des pays du monde avec une baisse de l'indice conjoncturel de fécondité à cette échelle et une tendance à la convergence des natalités au sein des pays européens ces dernières années (les pays avec une natalité basse la voyant augmenter et les pays avec une natalité haute la voyant baisser). On observerait également un report des naissances face à la conjoncture défavorable (conflit en Ukraine, inflation élevée). Notre pays ne serait donc, primo, pas touché par un malheur particulier avec cette baisse récente de la natalité et, secundo, les ménages y font peut-être juste preuve d'une prudence de bon aloi dans le contexte actuel.     

Aussi, est-il pertinent face à cela d'en appeler à une réforme du congé parental en congé de naissance, plus court (les six mois suivant la naissance) et mieux rémunéré ? (5) Peut-être, cela dépend également des conditions d'accès à cette prestation (pour rappel, la réforme précédente de la Prépare avait augmenté le nombre de mois d'activité nécessaire pour prétendre à la prestation, ce qui avait causé une chute du recours à cette dernière). Plus loin, il semblerait que les incitations financières et fiscales en faveur des naissances auraient surtout pour effet d'augmenter sur le moment le nombre de naissances (effet d'aubaine) sans forcément augmenter la descendance finale des ménages. Bref, que faire ?...

Déjà sortir d'une mythologie familialiste (faire de nombreux enfants, c'est bien !) et parentaliste (parents, vous êtes les premiers éducateurs de vos enfants !) pour s'intéresser au sort concret des parents et des enfants dans notre société. Sort concret dont on peut imaginer qu'il joue sur le nombre de naissances. Commençons par un rappel, la France, même si elle a fait figure d'exception jusque-là avec son taux de natalité élevé, l'a aussi « obtenu » du fait d'une politique volontariste de conciliation de la vie familiale et professionnelle. Comme le rappel l'article précédemment cité du Centre d'Observation de la Société : « La France est l’un des pays occidentaux où conjuguer maternité et vie professionnelle est à la fois moins difficile en pratique et le plus valorisé. Les pays où la fécondité est la plus élevée (la France, mais aussi la Suède ou le Royaume-Uni par exemple) sont ceux où les rôles hommes-femmes se sont rééquilibrés et où les normes traditionnelles de la famille (les femmes doivent s’arrêter de travailler pour élever leurs enfants) sont les moins prégnantes. » C'est très bien, néanmoins du travail reste à faire à ce sujet. J'ai pu, à mon échelle, le mesurer lors d'une démarche récente dans le Morbihan à l'instigation du P'tit Club. Nous avons fait passer, fin 2022, auprès des parents de jeunes enfants du Morbihan, un questionnaire sur leurs vécus et leurs attentes en matière de conciliation vie familiale/professionnelle. Ayant reçu près de 700 réponses, nous avons, déjà, pu mesurer à quel point les discriminations vécues suite à l'annonce d'une grossesse étaient fréquentes : près d'un tiers des répondants dit avoir connu des mises à l'écart de certains projets professionnels, une inégalité de traitement salarial ou un climat de travail dégradé. Et ces discriminations étaient plus fréquemment ressenties dans les très petites entreprises (moins de 5 salariés). De même, seuls 18% des répondants nous indiquaient que leur entreprise actuelle les avait informés, clairement ou succinctement, de mesures prises en faveur de la parentalité au travail. Pour le reste (soit l'écrasante majorité), soit ils n'avaient perçu que quelques très vagues informations, soit rien ne leur avait été indiqué quant à des mesures en faveur des parents. Là encore, les petites entreprises, le secteur privé sont plus particulièrement décevants sur ce point. Ce n'est qu'un exemple qui ne saurait valoir pour la France entière, mais il me semble donner la mesure du fait que favoriser les naissances passe bien plus par une réforme du monde du travail et du management dans notre pays que par une (nécessaire mais non suffisante) réforme des congés parentaux.     

On peut ajouter à ce premier point une interrogation sur le sort fait aux jeunes enfants dans notre pays. Le récent rapport IGAS a secoué le secteur de l'accueil de la petite enfance en révélant la fréquence des négligences et maltraitances dans les établissements d'accueil. Cette secousse est venue s'ajouter aux tensions d'un secteur qui s'estime, à juste titre et depuis longtemps, peu reconnu. En effet, notre pays s'enorgueillit de sa natalité et de sa riche politique d'accueil du jeune enfant, toutes deux bien réelles ; mais cette politique subit le poids de son passé sanitaire et d'une conception naturalisante des compétences d'accueil (des femmes qui accueillent des jeunes enfants, c'est bien !). Ce qui fait qu'elle peine à se mettre au diapason d'une conception bien plus exigeante de l'éducation des jeunes enfants et qu'elle peine à avoir les moyens (en termes de reconnaissance, de rémunération, de formation continue) pour ce faire. Différents chantiers sont actuellement en cours pour améliorer la qualité d'accueil des jeunes enfants dans notre pays et mieux traiter les professionnels de cet accueil, il s'agirait déjà de les mener à bien.  

Pour conclure, on pourrait dire que, pour avoir envie d'avoir des enfants dans un monde dont l'horizon est bien compromis (nous galopons en pleine crise écologique !), il faudrait déjà pouvoir être rassuré sur son sort en tant que parent et sur le sort de ses enfants à proche et moyen terme... Il faudrait également éviter que l'on nous serve des salades passéistes (retrouvons la grandeur de notre pays et de l'autorité parentale !) et que l'on nous permette d'envisager avec humilité mais aussi enthousiasme la tâche d'élever nos enfants à l'incertain qui vient. 

1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7750004
2. De Luca Barrusse, V. (2015). Premiers jalons d’une politique familiale. Informations sociales, 189, 21-28. https://doi.org/10.3917/inso.189.0021
3. https://www.alternatives-economiques.fr/baisse-de-natalite-4-bonnes-raisons-de-ne-paniquer/00109650
4. https://www.observationsociete.fr/structures-familiales/familles/evolution-de-la-fecondite/
5. Un pourcentage du salaire antérieur avec un plafond mensuel à 1800 euros pour ce que l'on en sait...
6. https://www.ptitclub.fr/
Article rédigé par : Pierre Moisset
Publié le 11 mars 2024
Mis à jour le 12 juin 2024