Toujours chercher ce que la crèche peut apporter à chaque enfant. Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure
Par exemple, une équipe s’étonne du comportement d’un enfant qui ne fait que pleurer. Il ne joue pas et se déplace dans la salle de jeux sans cesser de pleurer. Il dort très peu, pas plus de 20 minutes, se réveille en pleurant et ne demande rien de particulier. Il pleure, c’est tout.
L’explication retenue par l’équipe est que cet enfant, encore nourri au sein, est beaucoup porté (trop à leur goût sans doute) et donc ne saurait pas encore jouer. Mais lorsqu’on demande s’il se calme dans les bras, cela ne semble pas être le cas, pas vraiment ou pas longtemps…De plus, il se déplace très bien à quatre pattes, fait qui confirme qu’il a passé assez de temps au sol pour apprendre à le faire. Le portage parental, ou maternel ici du fait de l’allaitement, si facile à incriminer, est un coupable bien idéal, mais qui ne s’appuie sur aucune réalité. A quoi peut-il servir de trouver une explication qui, le plus souvent, renvoie à des actions parentales négatives ou sources de difficultés pour les enfants lorsqu’ils sont à la crèche ? Cela n’a pas de sens. La crèche et les parents offrent aux enfants des environnement bien différents qui ne sont ni continus, ni substituables. Ce qui se passe dans l’un et l’autre peut être complémentaire, opposé ou tout simplement autre. Les équipes se trompent lorsqu’elles demandent aux parents de décrire comment la journée se passe à la maison, afin de poursuivre la même organisation à la crèche. C’est le plus souvent impossible et cela conduit fréquemment aux mécontentements des parents à qui l’on a vendu cet idéal rassurant pour eux, mais improbable et inintéressant pour l’enfant.
Au contraire, la crèche peut inventer pour chaque enfant ce qui lui convient au moment où il est présent avec ses propres besoins, difficultés ou attentes. Il suffit pour cela de bien l’observer, de comprendre ce qui cloche pour lui et de connaitre les théories du développement des enfants. Cet enfant qui pleure et erre dans la salle n’est pas encore suffisamment sécurisé pour partir à l’aventure du jeu. Il doit en premier trouver le moyen de créer une réassurance lui permettant de se libérer de ce stress qui occupe son cerveau et prend toute la place. Lorsqu’une équipe est en capacité de se rendre compte de cette situation, alors elle désigne une personne en capacité de rassurer l’enfant par sa présence plus continue et permanente auprès de lui. C’est elle qui le console, le nourrit, l’accompagne au sommeil et change sa couche, jusqu’à ce qu’il comprenne ce qu’elle représente pour lui, ce qu’elle lui apporte afin qu’il puisse commencer à créer des liens d’attachement avec elle. Ce n’est que lorsque l’enfant est enfin rassuré avec cette personne, lorsqu’il est capable de jouer en sa présence, que les autres professionnels commence à intervenir auprès de lui. La crèche fait alors son vrai travail, celui qui consiste à se demander ce que l’équipe peut et doit faire pour que cet enfant se sente mieux et soit en capacité de profiter de ce que cet environnement peut lui offrir.
Il serait nécessaire de modifier les représentations et les paradigmes sur lesquels les professionnels s’appuient. Travailler avec les parents ne signifie pas de faire des liens permanents entre ce que l’enfant vit avec eux et ce qui se passe à la crèche. Il n’est pas utile de rechercher des liens de causes à effets entre les pratiques éducatives parentales et celles mises en place à la crèche. Chaque enfant sait faire la différence entre la langue parentale et celle de la crèche qu’il fréquente. Il sait que ce langage est différent et qu’il est en mesure de l’apprendre. Il faut juste lui en donner la possibilité et le temps. Ce n’est pas parce qu’un enfant dort dans un cosy chez lui qu’il doit le faire à la crèche. Cette dernière peut justement lui offrir un autre environnement lui permettant d’apprendre à dormir dans un lit. Cela va prendre un peu de temps. Peut-être faudra-t-il au début que le lit soit installé dans la salle de jeu. Peut-être faudra-t-il l’accompagner longuement au sommeil en le berçant. Qu’à cela ne tienne, c’est bien là le travail des accompagnants et des éducateurs de bébés.
Il faut toujours chercher et trouver ce que la crèche peut apporter à chaque enfant pour améliorer son bien-être. Non pas la continuité d’une pratique éducative, mais bien celle qui permet à l’enfant de se développer plus harmonieusement, d’être plus serein, mieux dans son corps et dans son esprit.
Cela ne veut pas dire qu’il faut oublier les parents. Il est en effet indispensable de les inclure dans toutes les décisions concernant leur enfant à la crèche. Ce qui signifie de leur dire les tenants et les aboutissants. Pourquoi l’équipe désigne un professionnel pour s’occuper plus particulièrement de leur enfant et en quoi cela devrait l’aider, pourquoi l’équipe met au point une stratégie pour permettre à leur enfant d’apprendre à dormir allongé dans un lit et en quoi cela sera mieux pour lui. Tout doit être dit et argumenté aux parents. Ce qu’ils font à la maison ne doit pas être commenté et encore moins jugé. C’est à eux de prendre l’initiative éventuelle d’en faire part à l’équipe. De la même façon, la pratique de la crèche n’a pas vocation à être reproduite à la maison.
Au contraire, cela doit être pris comme une chance pour l’enfant de rencontrer d’autres situations liées à d’autres environnements, d’autres apprentissages, comme une richesse supplémentaire le faisant accéder à un monde plus large et plus complexe. Chaque parent est libre de faire ses choix éducatifs, chaque crèche est libre de développer son projet pédagogique. Si le choix du parent est de confier son enfant à la crèche, il doit être informé de ce que la crèche peut lui offrir et de comment elle fonctionne, des choix qu’elle fait de façon générale et aussi des capacités qu’elle possède pour résoudre les difficultés qui se présentent. L’objectif de la crèche reste toujours de trouver ce qu’elle peut faire pour chaque enfant. Alors chaque fois qu’un problème se présente, il convient de se demander non pas d’où il vient, non pas ce que les parents ont pu faire pour en arriver là, mais comment on va pouvoir aider cet enfant ici et maintenant, à la crèche.
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