Après les robots et les chiens, des bébés pour distraire les personnes âgées ! Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure
Voici une idée qui ne peut que nous faire réagir lorsqu’il s’agit de porter le regard du côté des petits et non des personnes âgées. En effet, les bébés seraient-ils encore perçus comme de drôles de petits personnages, sorte de monstres ou de chérubins de cirque, capables de faire rire les adultes de tout âge ? Cette maison de retraite serrait une mise en scène de « mignonneries », comme au 17ème et 18ème siècle, à une époque où l’on n’avait pas encore conscience et connaissance des capacités des bébés à percevoir et à comprendre leur environnement. Ils sont là pour amuser la galerie et susciter le mignotage oublié des personnes âgées.
Ce n’est pas une nouveauté. Les dames patronnesses du 19ème siècle, qui s’occupaient de financer les premières crèches, avaient eu cette même idée de distraction non pas « pour » mais « par » les bébés. Elles mettaient un point d’honneur à venir se balader chaque jour dans les crèches, comme dans des zoos, afin d’admirer ces petits d’hommes, si mignons, mais pas vraiment humains. Il est clair que le bébé est devenu une personne tardivement, à la fin du 20ème siècle seulement. Il aura fallu inventer sa culture, la puériculture, pour le sauver, bien le faire pousser, comme une belle plante bien grasse ou un petit cochon bien dodu, avant de découvrir qu’il était capable de sensations et de sentiments.
Pour autant, des faits comme celui de la maison de retraite japonaise, nous rappellent que le bébé, même s’il est une personne, n’est pas devenu un sujet de droit. Il peut encore être utilisé pour le plaisir des adultes, car il continue de faire rire, ou de faire vendre.
Il existe moult publicités faisant intervenir des bébés auxquels on invente une parole inadaptée, et qui provoquent l’émotion des adultes, plus enclins alors à faire l’achat du produit venté. Ces bébés prescripteurs sont tout autant utilisés que ceux qui interviennent dans la maison de retraite du Japon. Ils ne sont pas reconnus pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils provoquent chez les adultes. Et ils font gagner de l’argent à des adultes, qu’ils soient leurs parents ou pas. Cela choque peu, tant la vraie place sociale des bébés reste floue, indéterminée. Petits êtres appartenant à leurs parents ou la société plus qu’à eux-mêmes, on peut alors les utiliser pour rire d’eux ou pour vendre quelque chose sans arrière-pensée, tant qu’on ne leur fait pas de mal et que c’est drôle…
Aujourd’hui beaucoup de professionnels s’insurgent contre des entreprises de crèches privées, n’acceptant pas qu’elles fassent des bénéfices, alors qu’elles proposent un réel service d’accueil et d’éducation à destination des bébés. Ils appellent cela faire de l’argent sur le dos des bébés. Certes, il faut parfois rappeler aux gestionnaires que le plus important dans l’histoire est de créer l’environnement le plus adapté pour le bébé et non le plus rentable, mais l’idée est bien d’offrir un lieu pour les petits et de prévoir des professionnels capables de bien les accompagner dans leurs apprentissages. La question est de savoir si ce sont ces mêmes professionnels qui passent du temps à déguiser des bébés ou à les photographier dans des poses ou attitudes grotesques pour en rire avec leurs parents ? Sont-ce aussi ces mêmes professionnels qui cherchent par tous les moments à se valoriser en utilisant des bébés soi-disant capables de produire des objets de décoration pour les fêtes ? Sont-ce aussi ces mêmes professionnels qui cherchent bien plus à faire plaisir aux parents qu’à respecter le développement des bébés ? Il n’est pas facile de respecter les uns et les autres, mais certains ont plus de poids que d’autres…
Le Japon est loin, mais les mêmes situations d’utilisation des bébés se produisent partout sans que nous nous en apercevions, tant cela fait partie de notre vie quotidienne. Nous regardons et critiquons ce qui est étrange, mais avons du mal à voir nos propres erreurs. Les bébés auront-ils un jour la place de sujet de droit et de respect dans l’ensemble des sociétés humaines ? Seront-ils un jour acceptés pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils peuvent nous offrir ou même en prévision de ce qu’ils doivent devenir ? Il importe pour eux d’être vus, entendus et acceptés tels qu’ils sont eux-mêmes, ici et maintenant, puisque c’est ainsi qu’ils perçoivent le monde dans lequel ils vivent. Cela nous demande de décentrer notre regard et de le porter à leur niveau. Non pas plus bas, comme le dirait Janusz Korczak, mais à la hauteur de leurs sentiments.
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