Ne nous précipitons pas ! Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Freepick
bébé pluere dans son lit
Lorsqu’un bébé se réveille, pleure, appelle, la tendance naturelle actuelle des professionnels est de se précipiter pour le lever, répondant en cela au nom du sacro-saint : « on ne laisse surtout pas un bébé pleurer ». Ainsi, séance tenante, les professionnels cessent les activités en cours avec d’autres enfants, quittent les univers ludiques dans lesquels ils font office de phare et port d’attache de ceux qu’ils accompagnent, afin de « sauver » ce bébé qui pleure dans son lit. Ils laissent les autres (parfois nombreux), seuls, pour un enfant seul qui pleure dans la chambre. A ce moment-là tout se désorganise. Les enfants ne jouent plus, ils s’agressent éventuellement, pleurent à leur tour. La belle harmonie des enfants jouant tranquillement autour d’un adulte attentif à leurs actions disparait aussitôt, et le professionnel doit revenir en urgence tenter de calmer tout ce monde. C’est un gros effort à fournir. Cela en vaut-il la peine et n’est-il pas possible de faire autrement ?

Si nous arrivons à comprendre comment cela se passe du point du vue du bébé nous pouvons alors laisser de côté à la fois le dogme qui consiste à penser qu’un bébé ne doit pas pleurer et particulièrement pas dans son lit.
Les bébés expriment leur malaise (faim, froid, douleur, solitude, etc.) par leurs pleurs. C’est pour eux une stratégie de survie face à leur grande dépendance à ceux qui prennent soin d’eux. Pour autant, pour un professionnel,  l’enjeu ne devrait pas être de faire cesser les pleurs d’un petit au plus vite, mais de comprendre ce qui se passe pour lui. Lorsque le bébé pleure, il active une sorte d’alarme de détresse, signifiant « cela ne va pas pour moi ». Ce signal ne s’éteint généralement qu’à l’arrivée de l’adulte venu répondre à sa détresse. L’important pour l’enfant est qu’il apprenne, par la répétition des situations, qu’il va être « sauvé ». Mais le laps de temps (raisonnable évidement) entre ses pleurs et son « sauvetage », importe peu. Et, plus important, c’est cet écart entre son ressenti de malaise et l’arrivée de celui ou celle qui est en mesure d’éteindre son signal d’alarme, qui lui permet de comprendre qu’il n’est pas seul. A force d’intervention, cette personne devient pour lui une figure potentielle d’attachement.

Lorsque les bébés étaient « abandonnés » dans leur lit ou que l’on considérait qu’ils pleuraient pour se faire les poumons, nous ne savions pas encore que cela occasionnait chez eux un stress délétère. A force ils s’épuisaient et comprenaient qu’ils ne pouvaient pas compter sur l’adulte. Cette période est heureusement terminée. Mais il s’agit aujourd’hui de mettre le curseur au bon niveau. Si l’enfant n’a pas le temps de pleurer car nous agissons dès ses premiers cris, alors comment fait-il pour comprendre et  apprendre que nous sommes là pour le « sauver » ? Il n’en a pas le temps.  

Actuellement, les professionnels ont tendance à tout faire pour éviter que les bébés pleurent, cela devient alors l’objectif de la journée. Or, les petits pleurent de plus en plus, ont du mal à dormir et à se calmer. En fait, les bébés apprennent le monde dans lequel il leur est donné d’évoluer. Si le laps de temps est trop court entre leurs pleurs et l’intervention de l’adulte, ils n’ont pas le temps de comprendre ce qui se passe. S’ils sentent que le comportement de l’adulte est de faire cesser leurs pleurs, ils se conforment à la demande et pleurent de plus belle. Si, au contraire l’adulte prend le temps, rassure et cherche plutôt les raisons des pleurs que la méthode pour les faire cesser, alors les bébés pleurent moins et uniquement avec raison.

Ainsi, lorsqu’un bébé pleure dans son lit, il convient de ne pas désorganiser l’univers ludique dans lequel le professionnel assure l’accompagnement des enfants, et d’attendre que sa collègue, celle qui n’est à aucun univers ludique, soit en mesure d’aller prendre soin de lui, même si cela se fait après le change de la couche d’un autre enfant. Il n’y a pas lieu de se précipiter et dans les 10 ou 15 minutes suivantes nous sommes certains qu’un professionnel de l’équipe sera en mesure de répondre à l’appel de l’enfant….A moins qu’il se soit rendormis entre temps ?  En effet, les petits pleurent fréquemment entre deux phases de sommeil et parfois cela leur sert à se rendormir. Encore une fois si nous ne leur laissons pas cette possibilité, ils ne peuvent pas l’expérimenter et savoir qu’ils en sont capables.

Le propos n’est pas ici de dire qu’il faut laisser les enfants pleurer, mais bien d’insister sur le fait de ne pas désorganiser le fonctionnement de la crèche pour intervenir trop tôt auprès d’un enfant qui pleure. Un travail d’équipe se met alors en œuvre pour savoir qui fait quoi et pouvoir compter sur les collègues.  Ce travail permet en plus de ne pas éprouver la culpabilité éventuelle du « mauvais professionnel » qui laisse l’enfant pleurer.  Le fond : apprendre à connaitre l’enfant et chercher les raisons de ses pleurs, et la forme : organiser le fonctionnement de la crèche pour permettre des interventions raisonnées sans déséquilibre, mais en toute fluidité, sont ici liés.

 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 06 juin 2022
Mis à jour le 20 juin 2022