Les propositions ludiques à la vraie hauteur des tout-petits . Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

petit garçon jeu de construction
En pédagogie, faut-il emmener les enfants dans nos propositions ou les suivre dans les leurs ? C’est une question que l’on peut se poser. Ou dit autrement : nos propositions et nos choix pédagogiques sont-ils prioritaires sur les idées des jeunes enfants ? Est-il mieux de les emmener à poursuivre nos représentations du monde ou convient-il mieux de les rejoindre dans leurs propres expériences perceptuelles ?  A la réflexion, beaucoup de professionnels ne se posent pas la question tant ils sont assurés que leur travail repose sur une conception qui les amène à se placer comme les guides de ces petits. Que seraient-ils donc sinon ? A quoi serviraient-ils ? Comment pourraient-ils être reconnus comme professionnels et évaluer en tant que tel ? Mais ils doivent faire face à un obstacle de taille : ils ne sont plus des bébés et ne peuvent plus penser comme eux. De ce fait, en choisissant cette option, celle du berger qui mène le « troupeau », ils s’éloignent d’eux, n’arrivent plus à les considérer à leur bonne hauteur et donc à les accompagner comme il se doit, c’est-à-dire à prendre le même chemin qu’eux. Ils les emmènent sur un autre chemin tout tracé, moins intéressant et les transforment bien trop vite de papillon à chenille.

Partons d’un exemple : une équipe de crèche organise une journée « hiver » pour les enfants. Elle prévoit une activité avec des glaçons, une autre avec des bonnets, de la fausse neige en papier et une histoire de moufle en kamishibaï. Seulement voilà : il s’agit d’une idée d’adulte concernant ce qu’est la saison hivernale, du froid qui l’habite habituellement, et de comment la représenter par des symboles. Les jeunes enfants n’ont, eux, aucune idée sur le sujet, ne se posent d’ailleurs pas ce genre de question, et n’ont pas encore accès à la pensée symbolique ! Quel est donc l’intérêt de cette organisation pour eux et comment voient-ils les choses ? Pourquoi serait-il nécessaire de devoir « apprendre » ce qu’est l’hiver quand on est un bébé et qu’on en est à l’éprouver ? Car c’est bien à ce niveau que l’erreur se produit.

Pris de façon unitaire, les univers ludiques proposés sont intéressants. Qu’en font les enfants quand l’objectif de l’adulte est de les mener à comprendre qu’il s’agit d’une journée à thème sur le froid, alors qu’ils sont des bébés et non des enfants d’âge scolaire ? Quelles sont les actions qu’ils vont mener et les découvertes qu’ils peuvent faire, pour peu que les adultes les y autorisent et glissent leurs propres idées sous leur mouchoir ?  Peut-être vont-ils collectionner des bouts de papiers qui, pour eux, ne représentent rien d’autres que de petits objets à manipuler afin d’obtenir les renseignements nécessaires à la compréhension de leurs propres caractéristiques physiques : sont-ils lourds, sont-ils tous pareils, peuvent-ils être lancés, déchirés, introduits dans des fentes, agglomérés dans des contenants, etc. ? Percevoir leur environnement et tenter d’en comprendre les contours est déjà tellement important pour les tout-petits ! Les symboles, la météo, les saisons, tout ce qui est moins concret et moins immédiat viendra ensuite. Et si un enfant qui revient de vacances à la montagne (ou pas) décide qu’il fait de la neige en laissant tomber les petits papiers blancs, c’est à ce moment-là, que les professionnels pourront s’étonner, s’émerveiller : « mais oui tu as raison, il neige à la crèche ! ». N’est-ce pas merveilleux ce métier lorsqu’on laisse les enfants nous le montrer ? Et avec les bonnets alors ? Peut-être vont-ils les mettre sur leurs pieds nus ou jouer à les lancer en l’air, voire tenter d’en arracher les pompons ? Mais cette action sera sans doute interdite…Les autres aussi peut-être, à la réflexion…Un bonnet n’est-il pas fait pour couvrir la tête quand il fait froid ? Mais il ne fait pas froid à la crèche ! Les bonnets sont ici des symboles avec une fonction, alors que les enfants découvrent les objets par leurs caractéristiques physiques et non par leurs fonctions, en encore moins par les symboles d’une fonction.

Reconnaissons ici que les jeunes enfants sont parfois embarqués dans de drôles d’idées d’adultes ! Certains professionnels peuvent penser que ce n’est pas si grave, que l’important est d’être assez souple dans les propositions pour que les enfants jouent tout de même. C’est vrai ! Mais le risque se trouve ailleurs.  En faisant ainsi on occulte les propres intérêts des enfants, comme s’ils ne comptaient pas et que l’idée de l’adulte est celle qui importe. Elle donne la direction, le but, l’objectif du jeu. C’est oublier que les jeux des petits n’ont justement aucun objectif autre que celui de leur propre plaisir et de leur intérêt : la découverte du monde des objets :  quelles possibilités, quelles actions, quelles réactions ?

Il faut donc prendre les choses autrement, créer une autre organisation, dans laquelle c’est l’environnement qui est proposé, sans attente de représentation ou d’idée d’adultes. Proposons des glaçons et regardons ce que les enfants en font, sans projet d’hiver ou de froid. Pourquoi mettre des bonnets à l’intérieur si ce n’est pour proposer un environnement avec des vêtements ou des déguisements en tout genre que les enfants peuvent avoir envie d’enfiler eux-mêmes ou de mettre à leurs poupées ou de ranger dans des cartons, ou autre chose même, car ils ne sont pas à cours d’idées, ces petits ? Installer le monde des possibles et regarder ce que les enfants nous indiquent est tellement plus intéressant comme travail !    



 
Article rédigé par : Laurence Rameau
Publié le 09 mars 2022
Mis à jour le 09 mars 2022