Professionnels de crèche : les pratiques pour bien accompagner les parents
Des questions sur lesquelles se sont positionnés les 5 intervenants présents. Frédéric Groux, ancien EJE devenu psychologue en crèche et en hôpital ; Florence Bouillet, responsable qualité petite enfance de Ma Place en Crèche, Jérôme Dumortier, EJE directeur de la crèche associative Les Souriceaux à Villeneuve d’Ascq et fondateur de CO et JD, un organisme destiné à former et accompagner les professionnels et les parents ; Pierre Moisset, sociologue, formateur, consultant petite enfance ; Thierry Alexandre Schmitt, parent de jeunes enfants et créateur de l’application Kidizz, qui vise à faciliter les échanges entre parents et professionnels de crèche.
Définir la co-éducation
Mettre en place des relations saines avec les parents des enfants accueillis demande de savoir ce qu’on entend par co-éducation. « La co-éducation, explique Pierre Moisset, ce n’est pas être d’accord, mais c’est être au moins suffisamment clair pour être d’accord sur le point de désaccord. » Et c'est mettre l'enfant au centre. Florence Bouillet parle elle d’un « bon équilibre entre parents, professionnels et enfants », quand Jérôme Dumortier précise que c’est « faire au mieux dans le respect de chacun ». Un terme finalement difficile à définir et qui ne sous-entend pas les mêmes choses pour tous les professionnels et parents. En tout cas selon Frédéric Groux, « pour arriver à la co-éducation dont on entend parler dans les livres, il va falloir à un moment donné que l’on arrive à se rapprocher. »
Un premier entretien approfondi
Quand une famille découvre une structure, et donc que des professionnels rencontrent de nouveaux parents, le premier contact est toujours très important. C’est pourquoi, en général, les responsables de crèche prévoient un premier long rendez-vous.
Aux Souriceaux, il dure environ une heure et demi. Un échange au cours duquel Jérôme Dumortier explique en détail le fonctionnement et les principes pédagogiques de la structure, auxquels les parents choisissent ou non d’adhérer. Car explique-t-il, il reçoit potentiellement une centaine de parents par an et chacun a reçu une éducation propre. « Je ne peux pas me plier aux exigences de tous les parents, du plus laxiste au plus autoritaire. » Il propose donc aux parents le projet éducatif de la crèche, fondé sur la bienveillance et qui tend à la bien-traitance, puis leur laisse 3 jours pour réfléchir si cela leur convient ou s’ils préfèreront se tourner vers une autre structure.
Quand Florence Bouillet était directrice de crèche, elle avait une toute approche. L’entretien, d’une heure demi également, était l’occasion de « mettre les pieds dans le plat », c’est-à-dire de parler de tout ce qui peut fâcher. Puis de laisser un cadre très souple aux familles. Ses différentes expériences ont changé son regard et elle considère qu’à chaque famille, il faut réinventer un accompagnement. Le premier contact était donc fait pour demander aux familles qui elles sont et comment la structure pourra faire en sorte de répondre à leurs besoins.
Des méthodes qui semblent opposées et qui pourtant se rejoignent dans l’idée de tout évoquer pour se mettre d’accord dès le départ.
Communiquer le plus possible
Une fois l’enfant intégré à la structure, les parents vont attendre de la part des professionnels des informations - plus ou moins fournies selon chacun - et les professionnels de la part des parents une implication, que ce soit seulement le temps des transmissions, la participation à des activités ou simplement le respect du règlement. Or ce n’est pas toujours évident pour le parent de tout mémoriser et de se dégager du temps, surtout pendant les premiers mois d’un premier enfant où fatigue et ingestion d’informations se mélangent.
C’est de ces constats qu’est née dans l’esprit de Thierry Alexandre Schmitt l’idée de l’application Kidizz, qui permet aux professionnels de transmettre en temps réel une info, une photo aux parents - quotidienne, hebdomadaire, mensuelle… Chaque lieu d’accueil et chaque famille utilise librement l’outil. Après l’avoir testé à Shanghaï, Thierry Alexandre Schmitt a commencé à le déployer en France. Un concept qui a eu de très bons retours, comme en d’ailleurs témoigné une participante à la table ronde qui l’utilise dans sa crèche et en est très satisfaite.
Dans celle de Jérôme Dumortier, faciliter la communication passe par plusieurs supports : un livret qui rappelle tout le fonctionnement et le règlement de la structure, un cadre numérique sur lequel défilent quotidiennement les photos de la vie des enfants à la crèche… « Il n’y a rien de mieux pour les parents qu’un visuel », assure-t-il. Pour Florence Bouillet, les professionnels se doivent d’être eux-mêmes des outils pour les parents, c’est-à-dire leur donner des clés dont ils ont la liberté de se saisir ou non. Elle proposait par exemple avec ses collègues des petits jeux à réaliser au moment de venir amener ou rechercher son enfant, un mur avec la photo de chaque parent sur son lieu de travail…
S’arrêtant sur les transmissions, Pierre Moisset a soulevé l’épineuse question de définir ce qu’on doit dire aux parents, ce qui reste dans l’espace de la crèche, ce qui fait une information pertinente… Aujourd’hui les informations physiologiques ne suffisent plus et les professionnels sont nombreux à privilégier les anecdotes se rapportant à chaque enfant. « Mais il me semble qu’il y a une sorte de piège de l’information individuelle », explique-t-il. Certes elle est chère aux parents, mais il est tout important de raconter comment l’enfant se situe dans le groupe social, et comment se passe la vie de ce groupe. Afin que le parent puisse imaginer concrètement son enfant dans cet autre espace de vie qu’est la crèche.
Organiser des temps festifs
Mais les temps de rencontre et d’échanges restent importants. C’est pourquoi de nombreuses crèches organisent des temps de festivités ouverts aux parents. La crèche de Florence Bouillet avait ainsi à cœur de célébrer toutes les fêtes car explique-t-elle, « on peut tirer profit de la diversité de toutes les familles que l’on reçoit. » De son côté, celle de Jérôme Dumortier a fait le choix de n’en fêter aucune, car selon lui elles n’ont pas forcément de sens pour les enfants, mais chaque dernier vendredi du mois les parents sont invités à passer du temps avec les professionnels, les enfants et les autres parents.
Entretenir l’individualité de chaque famille
Les parents sont donc devenus des membres à part entière de la structure d’accueil et les professionnels ont un travail d’adaptation à faire d’une famille à l’autre. Pour Frédéric Groux, il est important de prendre en compte le fait que le parent est aussi fragile que son bébé (surtout quand c’est le premier) pendant les premiers mois. « C’est très complexe de travailler en crèche car on est dans l’intime, souligne-t-il. Parfois, des demandes qui semblent farfelues ou capricieuses viennent en fait de cette intimité. Il faut laisser aux parents le temps de verbaliser, mettre des mots dessus. »
Pour entretenir un contact de proximité avec eux, Jérôme Dumortier a instauré depuis deux ans le tutoiement pour tous. « On voulait faire tomber les barrières et le vouvoiement en faisait partie. » Une pratique non imposée bien sûr, mais qui a finalement séduit tout le monde. « Ce n’est pas pour autant qu’il y a moins de respect, assure-t-il, mais ça ouvre énormément de choses. »
Comprendre d’où vient chaque tension
Evidemment, malgré toute la bonne volonté et les actions des professionnels, des conflits peuvent survenir. Il faut alors d’essayer de comprendre l’origine de ces tensions. Elles peuvent venir du comportement de l’enfant, de celui d’un parent ou encore d’un professionnel en particulier. « Il faut prendre chaque détail l’un après l’autre », explique Frédéric Groux. La plupart du temps, les problèmes viennent des non-dits, des malentendus, des incompréhensions, ou parfois de petites « guerres de contrôle » quand un adulte pense savoir mieux qu’un autre ou que l’enfant lui-même. « On a besoin de plus de créativité dans les crèches pour dénouer toutes ces relations », affirme-t-il. Pourquoi pas notamment développer les questionnaires de satisfaction. Thierry Alexandre Schmitt souligne lui aussi qu’un rien peut changer la donne. « Si on a peu d’informations, on arrive vite aux conflits. Alors que des images, des mots permettent d’expliquer les choses et en éviter beaucoup. »
Et les parents sont tous différents, comme le souligne Pierre Moisset, qui observe trois types de tempérament. Les « parents-élèves » qui entretiennent des relations basées sur l’affectif et la complicité, n’expriment pas leurs frustrations et risquent d’exploser à un moment donné. Les « parents exigeants » qui ont besoin de garder le contrôle via la distance et le contrat ont plutôt des rapports rigides. Et enfin les « parents autonomes » qui acceptent facilement l’évolution des choses. Contrairement aux autres parents qui sont tournés davantage sur le rôle parental, ceux-ci sont centrées sur l’enfant. Pour le sociologue, il est primordial d’avoir du tact.
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