Réforme des modes d’accueil : Adrien Taquet donne le top départ
Un héritage assumé
Mais cette saga de l’article 50 puis 36 montre bien que tout est prêt. L’ordonnance et les décrets étaient rédigés. Adrien Taquet a donc eu, à moins de tout reprendre à zéro, peu de marge de manœuvre. Même si, entre temps, il avait reçu le rapport des 1000 premiers jours qui propose un volet modes d’accueil et reçu la plupart des acteurs du secteur… Mais aucun dépit ou regret chez lui. « Je n’ai aucune frustration assure-t-il. Pour moi ce sujet fait partie intégrante de notre ambition des 1000 premiers jours. Donc bien avant ma prise de poste sur ce Ministère élargi, en pleine coopération et coordination avec Christelle Dubos qui menait ce projet j’ai suivi les avancées de cette réforme qui était connectée du projet 1000 jours que mon ministère portait. Cette réforme s'inscrit aussi dans la continuité du rapport Giampino, de la Charte nationale d’accueil du jeune enfant, du guide ministériel des EAJE et j’assume et j’endosse même cette continuité-là ».
Les arbitrages d’Adrien Taquet : taux d’encadrement et analyse de pratique
Le Secrétaire d’État a donc confirmé pour la plupart les décisions de Christelle Dubos. D’ailleurs rappelle-t -il « il y a consensus sur 90% du contenu de la future réforme ». Donc ses derniers arbitrages ont porté sur peu de mesures mais des mesures symboliques.
Le taux d’encadrement d’abord et la qualification des professionnels : deux points de tension entre gestionnaires et pros de terrain. En tout cas ceux représentés par Pas de bébés à la Consigne qui appelle les pros à se manifester le 3 décembre. La précédente Secrétaire d’Etat avait opté pour le statu quo qui semblait finalement au vu des oppositions « contenter » tout le monde ou du moins ne fâcher personne : un professionnel pour 5 enfants qui ne marchent pas et un pour 8 qui marchent. Adrien Taquet confirme mais va plus loin en ouvrant un droit d’option à la main des gestionnaires qui le souhaitent en proposant : un pro pour 6 quel que soit l’âge des enfants. Une option qui pourrait avoir les faveurs des crèches associatives notamment et en général de celles qui soit ont peu de bébés soit travaillent en sections d’âges mélangés. Elle se rapproche des recommandations du rapport de la Commission des 1000 jours et des revendications de Pas de bébés à la Consigne qui met le curseur à un pro pour 5 enfants quel que soit leur âge.
La qualification des professionnels et le ratio 60/40 – 60% de personnels qualifiés, 40% de personnels diplômés ? Le Secrétaire d’État n’y touche pas. Ni dans un sens ni dans l’autre. Pas plus qu’il ne touche à la juste des personnels qualifiés et diplômés qui était une demande notamment de la FFEC.
Dans la première version des décrets, des temps d’analyse de pratique étaient prévus pour les professionnels des EAJE à titre expérimental (ce que regrettait notamment Pas de bébés à la Consigne). Aujourd’hui explique Adrien Taquet « ces heures d’analyse de pratique sont prévues (et inscrites dans le dur) pour les professionnels de tous les EAJE. Et elles sont étendues, à titre expérimental, aux assistantes maternels. Cela va donc dans le sens de la qualité d’accueil dont certains craignent qu’elle ne soit abîmée. Et plus généralement cela correspond à une volonté de ma part de proposer la même qualité d’accueil quel que soit le mode d’accueil choisi par les familles. C’est une des conditions pour garantir une vraie liberté de choix aux parents. Car je suis partisan de la liberté de choix. Il n’y a pas un mode d’accueil meilleur qu’un autre. Chaque enfant a des besoins différents et ses besoins changent en fonction de son âge ».
Enfin, et n’oublions pas qu’Adrien Taquet fut le Secrétaire d’État à la protection de l’enfance (et qu’il a d’ailleurs toujours cette casquette dans son ministère élargi), il est une mesure qui lui tient particulièrement à cœur, celle du contrôle des antécédents judiciaires des professionnels de la petite enfance qu’il a renforcé d’ailleurs en l’étendant aux gardes d’enfants à domicile.
Rappel de quelques mesures-clefs
Sans revenir sur tous les articles de l’ordonnance ou les projets de décrets que nous avions publiés en début d’année, voici un rappel de quelques mesures phares. Dont bien sûr aucune ne sera rétroactive.
• La Charte nationale d’accueil du jeune enfant aura force de loi. Ce sera spécifié dans l’ordonnance. Tous les modes d’accueil – collectif et individuel- partageront donc désormais les 10 principes qu’elle édicte.
• Un référentiel bâtimentaire national et opposable. Pas de changement sur les m² : 7m² par enfant en zones d’accueil. Et 5,5m² dans les zones dites « tendues ». Avec un espace extérieur ou une salle de motricité d’au moins 20m². Ce référentiel s’appliquera donc partout en France et dès lors que les normes comprises dans ce référentiel seront présumées remplies aucune PMI ne pourra imposer des prescriptions supplémentaires. L’idée étant de faciliter la vie des gestionnaires, ce référentiel qui est prêt ne s’appliquera pas aux projets en cours d’instruction.
• La possibilité pour les professionnels de la petite enfance d’administrer des médicaments dans un cadre précis. Cette mesure va donc faciliter l’accueil des enfants atteints de maladie chronique ou en situation de handicap. Pour les assistants maternels, ce cadre (pas de gestes complexes, nécessité d’une ordonnance médicale et de tenir un registre) sera précisé dans un décret.
• Un accompagnement en santé du jeune enfant pour tous les EAJE (référent santé pouvant être une infirmière-puéricultrice et accompagnant santé au sein de l’établissement) et à titre expérimental pour les assistants maternels
• Capacité d’accueil des micro-crèches portée de 10 à 12 enfants. Avec toujours la possibilité à titre dérogatoire d’un accueil en surnombre (115%)
• L’expérimentation de guichets administratifs uniques pour les porteurs de projets et du transfert de compétence de la PMI vers la Cnaf pour les autorisations d’ouverture d’EAJE.
• A titre dérogatoire, avant 8h et après 18h, les EAJE sont autorisés à ce qu’un seul professionnel puisse accueillir jusqu’à 3 enfants. L’idée étant de favoriser les établissements à horaires atypiques. Pour rappel jusqu’à présent deux professionnels doivent être présents dès le premier enfant accueilli. Le but de cette mesure est de favoriser l’accueil en horaires atypiques.
• Possibilité pour les assistants maternels d’accueillir un enfant supplémentaire 50h par mois. Cette mesure devrait faciliter le remplacement entre assistants maternels qu’ils exercent à domicile ou en MAM et leur permettre de partir en formation plus facilement. Cet accueil d’un enfant supplémentaire pourra se faire sur simple déclaration alors qu’auparavant il devait préalablement recueillir l'avis du président du Conseil Départemental.
• Clarification aussi pour les assistantes maternelles d’un point qui est sujet à interprétation parfois à leur désavantage : l’accueil de 6 enfants maximum. Faut-il compter dans ces 6 enfants ses propres enfants quel que soit leur âge ? La rédaction de l’article 421-4 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) sera sans ambiguïté : elle ne pourra accueillir plus de 6 mineurs simultanément sous sa responsabilité exclusive, dont 4 au maximum en qualité d’assistante maternelle et pas plus de 4 enfants de moins de trois ans au total. Lorsque ses propres enfants sont dans leur établissement scolaire, ou lorsque le conjoint est présent au domicile, ils ne sont pas comptés, car pas sous sa responsabilité exclusive.
Attention, la disposition est encore en consultation jusqu’au 30 novembre, elle peut encore bouger.
• Les assistants maternels auront accès à la médecine du travail.
• Le non-respect des obligations vaccinales par les parents sera reconnu comme un motif de démission légitime pour les assistants maternels qui donc pourront toucher les allocations chômage.
• Les Éducateurs de Jeunes Enfants (EJE) pourront diriger tout type d’EAJE : plus d’obligation d’expérience professionnelle de terrain préalable, aucune restriction liée à la taille de l’établissement. Et ce quel que soit le gestionnaire de l’établissement et le statut du professionnel.
• Création de comités départementaux de services aux familles.
A qui profite cette réforme ?
Alors pour qui est cette réforme ? A qui profite-t-elle le plus ? Aux gestionnaires qui l’attendent avec impatience, eux qui réclamaient depuis longtemps une clarification des normes qui évite toute divergence d’interopérations selon les PMI et les départements pour pouvoir sereinement créer de nouvelles structures et ouvrir de nouvelles places d’accueil ? Que vont y gagner - ou y perdre- les pros de terrains ? Les assistants maternels sont-ils oubliés ou au contraire leur situation est-elle considérée ? Est-elle en mesure de répondre aux attentes des parents ? Et les enfants dans tout ça ?
La réponse d’Adrien Taquet est claire : « C’est une réforme bénéfique pour tout le monde explique-t-il. A l’enfant d’abord qui bénéficiera partout de la même qualité d’accueil parce que tous les professionnels appliqueront des principes qui répondent à ses besoins fondamentaux, ceux établis par la Charte nationale désormais inscrite dans la loi. Aux parents qui pourront être rassurés, en ayant par exemple la garantie du contrôle des antécédents judiciaires de l’ensemble des adultes chargés de l’accueil des enfants.
Aux gestionnaires qui auront des règles claires et lisibles. Aux professionnels de terrain aussi bien sûr : par exemple EJE et puéricultrices auront des perspectives d’évolution professionnelle supplémentaires. Et aux assistants maternels avec l’accès à la médecine du travail notamment, mais aussi le soutien des REP et cette possibilité d’accueil supplémentaire de 50h par mois. Je sais qu’elles ont souvent le sentiment d’être laissées pour compte mais, je l’ai dit, l’accueil individuel et ses professionnels sont pleinement légitimes, cette réforme s’adresse aussi à elles et propose de réelles avancées. »
Question de méthode : les expérimentations
Faut-il y voir de la prudence ou un manque de moyens pour les mettre en œuvre ? Adrien Taquet les justifie ainsi : « De nombreuses mesures sont structurelles et structurantes, il faut donc être prudent car les conséquences ne sont neutres ni pour les enfants ni pour les professionnels. Nous devons nous assurer que certaines expérimentations (notamment le guichet unique ou les autorisations d’ouverture des EAJE) vont dans le bon sens avant de les généraliser. Par sagesse, on teste d’abord.
Pour d’autres (accompagnement santé des assistantes maternelles par exemple), il faut s’assurer que les droits nouveaux que l’on a créés sont bien réels. Et donc vérifier que les ressources nécessaires sont localement disponibles ».
Un calendrier qui s’étend sur le premier semestre 2021
Le calendrier prévu encore en octobre ne sera pas tenu mais tout sera bouclé au premier semestre 2021 (l'habilitation ASAP est pour 6 mois). Après la promulgation d’ASAP, le Secrétaire d’État fera un dernier point avec tous les partenaires ayant pris part à la concertation et présentera le projet de réforme au HCFEA, à la Cnaf etc. Mi-décembre, le Conseil national de l’évaluation des normes sera consulté pour avis. Qu’il rendra mi-janvier. Dès lors, après avis du Conseil d’ Etat, les textes (ordonnance et décrets) pourront être publiés et entrer en vigueur avant l’été 2021. Avec ce timing, la réforme aura donc du mal à donner un petit coup aux objectifs de la COG dont on sait déjà qu’ils ne seront pas atteints.
Et après ? Des projets dans la continuité de la réforme
Pour le Secrétaire d’État à l’Enfance et aux Familles, cette réforme n’est pas un aboutissement. Il reste encore beaucoup de chantiers, dans la continuité de cette réforme, pour poursuivre la mue du secteur. Travailler sur les parcours professionnels, réfléchir au soutien financier public, anticiper la prochaine COG… « La priorité est de travailler sur l’unicité du secteur, le rapprochement des modes d’accueil sans gommer leurs spécificités (collectif et individuel), les modes de financement (réfléchir au Reste à Charge pour les familles selon le mode d’accueil choisi), les processus de décision. En résumé, il faut mener une réflexion structurelle. Et pour cela, partir de ce qui unifie les modes d’accueil : les besoins des enfants et des parents ».
Bonjour, Je travaille dans un multi accueil dans un département faiblement peuplé et je peux vous dire que nous sommes loin des 7m2 par enfant ! On est a environ 4 m2 par enfant ! Alors quand je lis que les normes sont inchangées... Depuis une dizaine d'années, nous accueillons de plus en plus d'enfants et dès qu'un est absent, il faut appeler les familles pour en faire venir un autre. A la reprise après le 1° confinement nous en avons accueillis moins et là, c'était super, les enfants étaient plus calmes et moins agressifs entre eux... du bonheur pour tous.