Les copains. Par Jean-Robert Appell
Educateur de jeunes enfants, formateur à L'association Pikler-Loczy
Comme toujours, tout est question de représentations. Le mot « copain » nous vient directement du moyen-âge : partager le pain, d’un temps sans assiettes où les nobles mangeaient leurs viandes sur une large tranche de pain rassis, il y avait une tranche pour deux. A partir de deux, on devient « copain », au-delà on peut devenir une bande, encore un peu plus loin, pourquoi pas « camarades ». La symbolique du partage du pain est très forte, le pain était, sous l’ancien régime l’aliment principal dans nos contrées, lorsque nous partageons, nous sommes copains, sinon, « t’es plus mon copain ! », comme disent les enfants plus grands lors d’un conflit.
L’enfance est un continent que nous cherchons à redécouvrir, dans une volonté de le comprendre, le décrire, l’interpréter. C’est souvent pour les adultes un continent perdu, nous en avons perdu la mémoire consciente, ce qui renforce son mystère, nous pouvons le redécouvrir mais nous ne pouvons pas le reconquérir : on s’en éloigne inexorablement; le temps fait son œuvre. De fait, il est porteur de tous les fantasmes, de tous les espoirs et de toute les nostalgies, l’amour, la tendresse, la douceur, etc. Tout cela supposé, vécu ou… manqué.
Le « copain », c’est une représentation de tout cela, la nostalgie d’un monde idéal où tout le monde s’aime et ne se fait pas de mal, un monde en rose et bleu. C’est une projection des adultes sur le monde des enfants, « vous devez vous aimer », c’est une injonction, « vous êtes copains que vous le vouliez ou non. ». « Va voir ton copain », « fais un bisou à ton copain » (situation hautement paradoxale lorsqu’ils sont en conflit). C’est toujours compliqué pour les enfants lorsque l’écart est trop important entre la réalité vécue et l’image qui leur est renvoyée.
C’est aussi une facilité de langage dans la gestion du groupe d’enfants et la préoccupation pour les adultes que l’enfant trouve sa place dans la société, qu’il ne soit pas isolé.
Pour qu’il y ait « copain », il est nécessaire que l’autre existe, qu’il y ait un « je » et un « tu ». En lien avec le processus d’individuation, environ trois années sont nécessaires pour que l’enfant puisse dire « moi je » et « toi tu ». Donc les copains avant trois ans… Et pour qu’il y ait « copain », il faut expérimenter son contraire, il faut du conflit. N’en déplaise, le monde des enfants n’est pas un monde « sage » sans agressivité.
Alors oui, c’est important de ne pas faire de tous les enfants des « copains », de leur permettre dans leur construction sociale de décider qui sera leur copain, de leur permettre de différencier les relations. Ne plus s’adresser à eux en groupe mais en individu avec des prénoms, en tant que « sujet », favoriser les relations intersubjectives. Cela commence aux moments du change et du repas dans des relations individualisées avec l’adulte, le bébé reconnu par celui-ci comme un sujet digne d’intérêt dans une relation de partage et de respect.
Mettons tout en place dans nos institutions pour que les enfants puissent développer cette capacité à se faire des « amis » comme dit Montaigne parlant de La Boétie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
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