Est-ce que jouer est professionnel ?

« A l’ère de la professionnalisation des métiers de la petite enfance, où la posture professionnelle est travaillée intensément afin de garantir une qualité d’accueil et une image digne du secteur, n’oublions pas l’essence même de nos métiers : JOUER ». C’est ce que rappelle dans ce texte Sandrine Moreira, psychologue clinicienne et formatrice petite enfance qui signe là un véritable plaidoyer pour le « jouer avec ».
« Amusez-vous bien, bonne journée ! » Quel professionnel n’a jamais entendu cette phrase, anodine et bienveillante ? Les professionnels du secteur de la petite enfance souffrent pour la plupart d’un manque de reconnaissance de leurs métiers, variés et complémentaires. Ce secteur est fréquenté à 98 % par des femmes et n’est ni valorisé par le niveau d’étude, ni par les salaires. C’est un métier de femme, pour les femmes et rien que pour elles, entend-on encore aujourd’hui. « En même temps c’est facile, elles ont l’instinct maternel, c’est inné chez elles ! ». La petite enfance souffre malheureusement d’une image rétrograde et non valorisante. Or, il n’en est rien, car ces métiers sont d’une richesse infinie !

Plus de dignité… moins de fantaisie ?
Notons, tout de même, une avancée remarquable depuis quelques années sur la volonté d’améliorer la formation initiale des professionnels et de favoriser leur formation continue. Les recherches en neurosciences nourrissent nos réflexions et nos mises à jour, apportant leur lot de savoir-faire et de savoir-être avec les tous petits.

Mais, il semblerait que cette professionnalisation des métiers ait aussi apporté avec elle, une posture professionnelle qui paraitrait plus « digne » et plus « sage ».  Le jeu et la douce fantaisie ont disparu des pratiques professionnelles chez la plupart des acteurs de la petite enfance. Où sont donc passées les professionnelles qui jouent avec les enfants ? Où est passée cette fantaisie ? L’enfant a besoin d’adultes protecteurs, garant de sa sécurité physique et affective, d’adultes avec qui il peut créer des liens d’attachement, qui prodiguent des soins avec douceur et bienveillance, d’adulte de confiance. Certes ! Mais il a aussi besoin d’adultes qui rient, qui explorent, qui dansent, qui chantent, qui courent... Qui jouent !

Jouer, c’est communiquer
Jouer n’est pas un manque de professionnalisme, jouer n’est pas signe d’une mauvaise posture professionnelle. Jouer est signe d’un investissement, d’un plaisir et d’un enthousiasme présent et bénéfique à l’enfant. Bien sûr, il ne s’agit pas de devenir l’acteur principal du jeu de l’enfant, la juste posture revient à collaborer avec lui dans son jeu. S’autoriser à jouer, c’est communiquer et interagir.

Le jeu est vecteur de joie et éveille la sécrétion des hormones du bonheur, l’ocytocine. Le centre de la mémoire est le même que le centre émotionnel, c’est pourquoi ces moments partagés se stockent, chargés de plaisir, dans la mémoire de chacun. Cela contribue au bonheur des enfants mais aussi au bien-être des professionnels. Les journées sont plus douces et cela réactive l’enthousiasme des professionnels. (voir l' article « Renouer avec l’enthousiasme en petite enfance » )

Jouer, c’est gai
Parmi toutes les missions des professionnels de la petite enfance se trouve celle du “Jouer Avec”. Cela signifie donc que les adultes ont cette légitimité et peuvent s’autoriser cette fantaisie. J’utilise souvent le mot « fantaisie » car il représente toute la joie et la bonne humeur relative au jeu partagé, avec un petit soupçon de créativité et de malice cher à la petite enfance. Nous créons des liens encore plus solides avec l’autre lorsque nos joies se sont rencontrées et nos rires entremêlés.

Nous avons la chance de pratiquer des métiers du vivant, de la relation où les enfants ne nous jugent pas lorsque l’on se permet de jouer, de rire, de chanter... Alors la prochaine fois que vous entendrez « Amusez-vous bien », gardez à l’esprit que cela fait aussi partie de nos missions et savourez !

 
Article rédigé par : Sandrine Moreira
Publié le 19 août 2024
Mis à jour le 12 septembre 2024