Arnaud Deroo, formateur : « Le chemin reste long à parcourir pour que l’accueil de la petite enfance rime avec bientraitance »
Arnaud Deroo : C’est vrai que les rapporteurs auraient pu s’en servir (rire). En tout cas, les professionnels de la petite enfance ne doivent pas être surpris du contenu de ce rapport. Ça fait longtemps qu’ils tirent la sonnette d’alarme. Ce document officiel reconnaît enfin leurs paroles. Maintenant, que va faire le gouvernement ? S’il s’agit de créer plus de 200 000 places et de renforcer la surveillance comme l’a annoncé Olivier Véran le lendemain de la publication, je pense qu’il n’a rien compris…
Pourtant, il y a urgence quand on lit vos nouvelles chroniques plus graves que celles rassemblées dans votre premier recueil…
Elles sont sans doute moins légères que celles publiées dans L’ Accueil de la petite enfance. Certaines prennent parfois même une tournure politique. Elles sont surtout le résultat de mes observations sur le terrain et illustrent le chemin qui reste à parcourir pour que l’accueil de la petite enfance rime avec bientraitance. La bientraitance - qui n’est pas le recto verso de la maltraitance reconnue par un texte de loi - c’est une façon d’être à l’enfant, à l’autre, à soi et avec tous les partenaires qui accompagnent le jeune enfant pour l’accueillir au mieux. Ce n’est pas lutter contre la maltraitance mais d’être sur ce chemin de qualité en tenant compte des connaissances d’aujourd’hui. Malheureusement, au fil de mes interventions, je constate que le niveau de l’accueil a tendance à baisser.
Comment agir pour inverser la tendance ?
Selon moi, ça passe, entre autres, par le niveau de formation. Dernièrement, je suis intervenu dans une micro-crèche auprès de jeunes salariées qui venaient d’être diplômées du CAP Petite enfance mais elles n’avaient jamais entendu parler de la théorie de l’attachement et de l’impact sur la relation. Certaines écoles fonctionnent encore comme il y a vingt ans ! Est-ce qu’un CAP suffit pour assimiler toutes les connaissances nécessaires pour un accueil de qualité ? On ne peut pas être professionnel et se référer uniquement à l’éducation reçue par ses parents, ce n’est pas possible. Toute la formation initiale est à revoir. Heureusement, la formation en interne se développe un peu et c’est une bonne chose. Deux à trois journées par an, des équipes suivent une même formation au sein de leur crèche. Tous entendent le même discours en même temps et avancent tous ensemble. Mais ce type de formation est plus compliqué à mettre en place dans les petites structures.
Vous dénoncez aussi à travers vos chroniques la violence institutionnelle, notamment liée aux normes d’encadrement…
La qualification en baisse, les normes d’encadrement, la prestation de service unique (PSU)…Tout se complique aujourd’hui et les professionnels de la petite enfance, qui n’ont pas les moyens de penser l’accueil, vont mal. Lors d’une analyse de pratique dans une crèche municipale, j’ai entendu l’impuissance, le ras-le-bol, la fatigue d’une équipe en charge du groupe bébé qui s’était retrouvée à 1 adulte pour 6 bébés car il manquait une salariée. Six bébés pour un adulte, c’est impensable ! Quand on est dans une violence institutionnelle, comment être dans la bientraitance ? RTT, congés, difficultés de recrutement… Il faudrait au moins 1, voire 2 adultes, en plus dans chaque crèche, au moins dans les grandes structures. Le rapport des 1 000 jours préconisait 1 adulte pour 3 enfants non marchant et 1 pour 5 marchant. Pourquoi ça n’a pas été mis en place ? On a le sentiment de répéter toujours la même chose sans que rien ne bouge.
Que faire pour que la bientraitance devienne la norme et rime avec petite enfance ?
Il faudrait que toute la société change son regard sur les enfants pour se mettre à leur hauteur. Parents, professionnels, politiques… Chacun de nous a un travail à faire sur lui-même car nous sommes tous rattrapés par l’éducation que l’on a reçue. Y compris moi. Je donne souvent l’exemple d’un enfant de 7 ans qui, parce que je lui avais dit « non », s’est mis à jeter les livres de la bibliothèque. Il a fallu que je lutte contre moi-même pour ne pas réagir au quart de tour mais, au contraire, faire le nécessaire pour revenir dans la relation avec cet enfant, tout en instaurant un cadre sécurisant.
Il reste encore du chemin à parcourir donc… Restez-vous optimiste malgré tout ?
Bien sûr, que je suis optimiste. C’est dans ma nature d’être enthousiaste et de ne pas baisser les bras. Je compte bien continuer à semer des petites graines en formation, en consultation et en écrivant des chroniques. Même si ces dernières sont moins légères, j’espère que les professionnels de la petite enfance, qui sont sur le chemin de la bientraitance, pourront y puiser de l’énergie pour défendre leur projet et leurs positions au quotidien.
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