A propos des univers ludiques. Par Laurence Rameau

Puéricultrice, formatrice, auteure

Les termes professionnels que nous employons sont les reflets de nos visions et de nos pratiques. Ils donnent le ton et renvoient aux paradigmes en place, ceux qui définissent les contours et les objectifs de notre travail d’accueil et d’éducation des jeunes enfants.

Le terme « salle de jeux » a par exemple disparu de notre langage professionnel lorsque nous avons mis en place des salles dans lesquelles les enfants de la même année (je n’ose dire du même âge tant la différence entre un bébé de 4 mois et un autre de 10 mois est énorme) ont été enfermés pour y passer l’entièreté de leur journée. Le mot « salle de vie » est alors apparu, les enfants dormant, mangeant, se lavant et jouant, dans le même lieu avec, éventuellement, des locaux spécifiques adjacents, comme des dortoirs ou les salles de change. La salle de vie des bébés, celle des moyens, celle des grands, ont remplacé la section ou l’unité d’accueil tout en officiant de la même manière. Le jeu disparait alors derrière les moments de la vie quotidienne, il n’est plus mis en avant. Il n’existe plus vraiment, ou fait partie d’un décors appelé « jeu libre », sans que cela ait un sens.

C’est alors que sont créés des « ateliers » de jeu. Plus ou moins communs aux différents enfants des différentes salles de vie, ils ont pour objectif de répondre aux différents besoins cognitifs des enfants. Le terme est clairement est énoncé : il s’agit de faire « travailler » les enfants dans des organisations ponctuelles leur permettant d’acquérir des compétences prévues à l’avance. Ainsi l’atelier de jeux d’eau permet le transvasement, l’atelier de peinture la création artistique, l’atelier de duplos la construction, et l’atelier de dinette l’imitation des adultes. Ces derniers organisent les ateliers selon leurs possibilités, sur un temps donné, pour des enfants choisis, ou qui réussissent à s’imposer.

Que sont les univers ludiques ? Les univers ludiques sont tout autres. Le terme ne renvoie pas au travail de l’enfant mais à son jeu et à la connaissance en générale, à la fois large, vaste, et partiellement inconnue, de l’adulte lui-même. L’univers ludique n’a aucun autre objectif que celui du plaisir que l’enfant va trouver dans le jeu et qui correspond à la définition même du jeu. Un univers autour de l’eau, de la dinette, des cubes ou de la peinture est investi par l’enfant selon sa propre idée du jeu, sa propre recherche d’apprentissage et sa propre notion du temps. Il y accède s’il en est capable physiquement, reste autant de temps que cela lui est nécessaire, part et revient autant de fois que cela lui plait, joue selon ses propres intentions, transporte les objets dans un autre univers ou dans un autre espace si cela est autorisé. Les matières salissantes ou l’eau ne sont évidemment pas permises au transport hors des espaces prévus pour des raisons de sécurité et de respect des lieux.

Quelle différence existe-t-il entre un espace et un univers ludique ? Un univers ludique est un espace accueillant à la fois des objets ludiques formant l’univers et un professionnel dont le travail est d’accompagner les jeunes enfants dans leurs jeux. Les contours de cet espace accueillant l’univers ludique sont indiqués de manière visible et accessible aux enfants en une sorte de frontière ouverte mais marquée. L’espace correspond au reste de la salle de jeu dans laquelle d’autres univers sont installés par d’autres professionnels si la salle n’est pas, elle-même, un seul et même univers ludique. Lorsqu’il n’y a aucun univers ludique, c’est-à-dire ni objets ludiques ni adulte, il s’agit d’un espace qui peut rester accessible aux enfants, selon la configuration de la crèche. Lorsqu’il y a des objets ludiques mais pas de professionnel présent, il ne s’agit pas d’un univers ludique non plus, mais d’un espace dans lequel les enfants jouent.

A quoi sert l’univers ludique ? Le propre de l’univers ludique est de permettre à chaque enfant de développer les jeux qui l’intéressent tout en étant accompagné sur le plan affectif, cognitif, social et émotionnel par un professionnel. L’adulte présent assure la sécurité affective de l’enfant en faisant office de port d’attache où ce dernier peut se réfugier à l’envi, est attendu, est nommé, est apprécié. Pour cela le professionnel doit être très présent et affectueux. Il accompagne également l’enfant au niveau cognitif en s’intéressant, étayant et potentialisant ses recherches, tel un phare éclairant. Pour cela le professionnel doit être très présent et observateur. Il accompagne aussi l’apprentissage des relations sociales et émotionnelles des jeunes enfants entre eux par la mise en acte et en parole des interactions, tel un sauveteur en mer lançant les bouées nécessaires. Pour cela le professionnel doit être très présent et facilitateur.

Comment organiser les univers ludiques ? Les univers ludiques ne s’organisent pas en dehors de l’organisation en Itinérance Ludique dont ils sont issus et dont ils représentent le cœur et la raison d’être. Cette pédagogie est une organisation d’équipe au sein de laquelle les univers ludiques sont pensés, conçus et déterminés à l’avance par une équipe, selon un planning établi permettant à la fois leur concordance et leur concomitance. Ils existent tout au long de la journée même s’ils ne sont forcément pas les mêmes matin et après-midi. Ils se mettent en place non seulement avec une possibilité de recherches ludiques importantes, alliant les contenants et les contenus, les associations et les oppositions, les complémentarités et les différences, et aussi avec des éventuels enrichissements, selon leur place dans la programmation d’ouverture des univers ludiques. Leur attrait tient de l’équilibre entier de cette programmation d’univers ludiques et d’un savant mélange de régularité et de nouveauté offrant aux enfants de quoi se sécuriser et s’aventurer.
Des univers ludiques à la pédagogie C’est ainsi que la pédagogie devient un art, c’est-à-dire un ensemble de règles et de pratiques, de procédés, de savoir-faire conduisant à créer un environnement riche d’actions ludiques possibles des jeunes enfants, même si elles ne sont pas déterminées à l’avance. Ce sont ces jeux qui sont les seuls vecteurs connus des apprentissages des très jeunes enfants et qui occupent le plus clair de leur temps dans les établissements d’accueil du jeune enfant. Les organiser au mieux est alors notre mission prioritaire.