Colloque : la qualité de vie au travail, une affaire de management… et de locaux
Dans son introduction, Claire Grolleau a aussi rappelé que l'étude menée avait mis en évidence les « leviers pour améliorer la qualité de vie au travail : le management, la qualité des bâtiments et locaux et le sentiment de faire du bon travail. ». Ce sont ces trois points qui ont été déclinés au cours de la journée.
Le management, l’angle mort de la petite enfance ?
L’étude, a expliqué Pierre Moisset qui en avait la responsabilité, a mis en évidence la corrélation entre disponibilité de management et qualité de vie au travail. Pour les pros, un bon management, c’est une direction qui est présente pour aider à gérer les conflits avec les parents, les conflits d’équipe et accompagner l’évolution des compétences. Globalement, les pros du privé lucratif sont les plus critiques par rapport au ressenti de leur management.
Et ce sont aussi globalement les auxiliaires de puériculture qui sont les plus pessimistes quant à la disponibilité de leur direction. Enfin, le fait que la structure soit engagée dans un label améliorerait plutôt les relations pros/direction, voire aurait un impact positif sur les absences.
À partir de ce constat, plusieurs interventions. Celle du responsable et d’une formatrice de l’IFRASS de Toulouse, Jérémie Pilette et Elodie Biré, qui ont expliqué avoir mené une enquête pour comprendre ce que les directrices de crèche en poste entendaient par « compétences managériales », elles qui disent être peu préparées à ces responsabilités tant leur formation initiale propose peu de modules dédiés au management. Elles aussi, qui trouvent que ce qui leur est enseigné sur ce sujet est trop théorique comme déconnecté finalement des réalités de leur métier. Elles signalent enfin qu’elles éprouvent des difficultés dans ce rôle notamment concernant la gestion des conflits et la gestion d’équipe. 77 % d’entre elles donc, lors de cette enquête, ont dit manquer de formation sur le management. 60 % souhaitent des formations complémentaires axées sur l’accompagnement au changement, la prise de recul et la gestion des conflits.
L’intervenante suivante, à en croire les réactions, a fait rêver l’assistance. Claire Girard, EJE au multi-accueil Les Lucioles (Communauté de commune de Parthenay Gâtines), labellisé AVIP, a décrit un mode de management original où un trio est en continuité de direction : 2 EJE pour la référence pédagogique et une puéricultrice pour la référence sanitaire. Ces trois personnes sont par ailleurs en charge d’une section, donc sur le terrain. Et cerise sur le gâteau : une assistante administrative qui gère ce qui est souvent considéré comme très chronophage par les directrices d’EAJE. Cette organisation semble porter ses fruits. La direction est soulagée de nombreuses tâches administratives et proche des équipes au quotidien. Les problèmes de remplacement n’en sont pas un ! Et finalement le pourcentage d’absentéisme est plutôt bas car tout s’organise autour du bien-être des professionnels. Avec une contrainte cependant : avoir un planning trimestriel bien ficelé. Et, par ailleurs, la structure depuis plus de 10 ans a fait le choix de miser sur les formations et les séances d’analyse de pratique avant même qu’elles ne soient rendues obligatoires par la réforme. Des temps de formation individuelle et des temps de formation collective - importante pour la cohésion d’équipe - de deux jours durant lesquels la crèche est fermée. Mais là encore tout aura, sans stress, été anticipé et préparé.
Précision supplémentaire : 25 personnes (pas toutes à temps plein) travaillent sur la structure. Outre l’assistance administrative, la cuisine et le ménage sont confiés à des agents engagés pour cela.
Après cette intervention sur le mode « un peu de rêve cela fait du bien », a suivi celle de Marie-Hélène Hurtig, puéricultrice, formatrice Petite Enfance, quelque peu plus réaliste et assez décapante. Son propos : pourquoi les pros ne se sentent-ils pas bien dans leur travail ? Tout simplement parce qu’ils s’ennuient ! Et d’expliquer que dans toutes les formations qu’elle anime, un même leitmotiv : on s’ennuie, on veut du nouveau qui nous rebooste, nous donne du peps et de l’envie. Et d’expliquer qu’elles ont le sentiment d’étouffer, de manquer d’air. Et que du coup, elles se mettent en mode « pilote automatique ». Ce qui avouons-le n’est pas l’idéal pour offrir un accueil de qualité aux enfants ! Mais, remarque Marie-Hélène Hurtig (car rappelons-le, ces interventions se déroulaient dans le cadre d’une table ronde intitulée : Le management et les relations d’équipe comme supports à la qualité de vie au travail), les routines parfois mortifères pour les pros sont en revanche nécessaires et sécurisantes pour les enfants. Que peut faire le management pour atténuer cette opposition ? Proposer des projets qui donnent du sens aux équipes, permettre aux équipes d’être créatives et innovantes afin de casser l’aspect trop enfermant du cadre donné (cadre nécessaire mais qui ne doit pas se résumer à un ensemble de règles et de procédures). Il faut, explique Marie-Hélène Hurtig (reprenant ainsi la charte nationale d’accueil du jeune enfant), un « risque mesuré » donc des mesures sécuritaires oui, mais point trop ! Aux directions aussi, insiste-t-elle, de « valoriser les initiatives ». Néanmoins, attention il faut aussi répondre aux besoins de rituels des petits. Un équilibre donc à trouver pour sécuriser les enfants et garder intacte la capacité d’émerveillement des pros. Un savant dosage entre nouveauté et routines-rituels. Pour Marie-Hélène Hurtig, cet équilibre se trouve « en laissant entrer la fantaisie et l’inattendu dans les structures ». Pour les enfants un joli effet de surprise, pour les adultes une pointe de plaisir qui fait du bien. Et de citer quelques exemples : des journées sans horloges, l’invitation d’artistes qui osent et font sortir les pros des codes etc. Et puis, assène-t-elle : « il faut aussi sortir hors de la structure ». Cela fait du bien aux petits comme aux grands !
Claude Thüler, anciennement Cheffe du secteur Préscolaire de Lausanne, elle aussi, a eu son petit succès. Les professionnels présents, à l’issue de sa prise de parole, se seraient bien tous expatriés en Suisse ! Elle a expliqué comment à partir d’une question posée aux professionnels de terrain de son secteur : c’est quoi une bonne directrice ? Elle a avec son service mené tout un travail pour mieux les accompagner.
Qu’ont dit les pros interrogés ? Une bonne directrice, c’est quelqu’un qui fait preuve d’équité et de proximité, de responsabilité (capable de prendre du recul), de complicité et "professionnalité". En fait, leurs réponses disaient : une bonne directrice vis-à-vis de l’équipe, c’est se comporter comme nous, éducatrices vis-à-vis des enfants. Elle doit être au service de l’équipe et apporter de la cohérence. Mais elle doit aussi être ouverte et faire preuve de créativité. Le mouton à 5 pattes ?
En tout cas, à partir de ces réponses, des journées, sous forme de grands jeux de rôle, ont été organisées et ont permis de libérer la parole et de débloquer nombre de situations. Claude Thüler a expliqué que la créativité demandait du temps et de la réflexion et a expliqué qu’en Suisse les pros travaillent 40h par semaine mais disposent de 4h chaque semaine hors de la présence des enfants pour réfléchir…
Laure Le Bihan, Directrice de la crèche familiale Les Septimousses (Lyon), a terminé cette séquence en racontant comment le projet de labellisation Ecolo Crèche, éminemment participatif, a permis à l’équipe « de se souder autour d’un projet commun ». Quelle que soit sa place dans l’équipe. Chaque professionnel est embarqué, se sent responsable à son niveau et peut donner des idées parfois reprises par l’ensemble de l’équipe. Ce qui est très valorisant.
Le bâtimentaire, un rôle majeur dans le bien-être des pros… et des enfants
Pierre Moisset a donc rappelé les enseignements de l’étude sur ce thème du bâtimentaire pour introduire cette deuxième table ronde de la journée intitulée : Repenser la qualité du bâtiment pour une meilleure qualité de vie au travail et qualité d’accueil des jeunes enfants. Si le bâtiment, les locaux ne font pas tout, ils peuvent faciliter le travail des pros et donc améliorer leurs conditions de travail. Principaux reproches ou attentes envers les locaux : l’isolation thermique ou phonique.
Dans ce domaine, les micro-crèches tirent leur épingle du jeu. L’agencement des locaux et la qualité bâtimentaire sont plutôt appréciés. Il faut dire qu’elles sont comme les crèches du secteur marchand plus récentes et donc plus modernes contrairement aux EAJE publics ou associatifs souvent plus vieillissants.
Francine Baudon-Brûlé, Adjointe au Maire Enfance et Petite Enfance du Mans, a ouvert la séquence « bâtimentaire » en rapportant l’histoire de « l'Île aux enfants » (70 berceaux) dans un quartier politique de la ville (QPV). Elle aussi a vendu du rêve aux participants en racontant comment est née et a été financée cette structure destinée à remplacer une vieille crèche construite il y a plus de 40 ans et qui n’était plus aux normes. Dans ce QPV, la volonté de la municipalité a été d’offrir aux habitants « du beau » : « d’avoir, un bel équipement qui valorise le quartier, un bel équipement digne des habitants et en phase avec la démarche environnementale de la ville », a expliqué l’élue. Avec en plus un enjeu de prévention puisque l’EAJE est en lien avec deux écoles et un pôle de restauration scolaire.
La crèche est belle, « écolo » et fonctionnelle. L’architecte a travaillé avec les habitants du quartier et les professionnels : ossature bois, isolation en laine de bois, plancher chauffant, isolation acoustique etc. C’est une crèche de plain-pied qui a coûté 2,460 millions d’€ HT et qui a été subventionnée à 95 % par la Caf, l’État, l’ANRU et l’Union européenne. Au total est resté à la charge de la ville 112 000 €. Pour les pros, c’est une crèche où il fait bon travailler : 4 groupes dispatchés dans 4 espaces donnant chacun sur un jardin et dotés de plafonds anti-bruit.
Changement d’échelle avec l’intervention suivante. Patricia Roulat, une entrepreneure née, fondatrice de la micro-crèche Mini-Montessori à Pantin, labellisée Ecolo crèche. Pour créer cette structure, tout a été mis en œuvre pour construire une crèche bien sous tous rapports, éco-conçue (peintures dépolluantes, mobilier en bois sans vernis notamment) et axée sur le bien-être des professionnels (isolation acoustique au top, salle de pause avec salon, cuisine et douche… mais oui !).
Après un passage vers les Charentes-Maritimes, la rénovation des EAJE du département financée par le fonds de modernisation de la Caf et la halte-garderie itinérante de Saintonge (où les équipes doivent s’adapter aux locaux mais où leur proposer des équipements ergonomiques est possible), Lydie Gouttefarde, chargée de mission petite enfance à la DGCS, est revenue sur les objectifs et points forts du référentiel bâtimentaire national publié l'an dernier dans le cadre de la réforme des services aux familles et devant entrer en application progressivement.
Agnès Blondeau, conseillère enfance et jeunesse de la FEHAP, a dans la foulée présenté l’outil mis au point avec son groupe de travail petite enfance pour permettre aux EAJE très vite de savoir où ils en sont par rapport aux normes de ce référentiel national et anticiper les travaux à faire pour se mettre en conformité avec les nouvelles exigences pour pouvoir en prévoir le financement (voir la Lettre Hebdo 49-50).
Hélène Dessauvages, Conseillère technique et Responsable de la section Accueil Jeune Enfant et Parentalité à la PMI des Alpes-Maritimes, a donné une autre image des PMI, souvent accusées d’être trop rigides, axées sécurité… et peu enclines aux innovations surtout quand elles concernent la nature, la terre, la vraie herbe, les terrains en dur voire un peu en pente etc. Elle a expliqué que le département des Alpes-Maritimes était engagé dans un « green deal » et que les EAJE n’en étaient pas exclus. Au contraire. Et pouvaient donc compter sur son soutien.
La dernière intervention a été celle de Steven Vasselin, élu petite enfance de Lyon, il a présenté ses 4 projets de crèches en plein air dont la première devrait ouvrir début 2024. Et qui donnent lieu à de vives discussions avec la PMI. Pour lui, ces crèches en plein air (et non en semi plein air) sont vraiment une plongée totale dans la nature. Peu de bâti (une roulotte, un chalet, une tiny house), aucune artificialisation du sol. Elles accueilleront entre 20 à 25 berceaux pour un coût n’excédant pas 500 000 € (ce qui constitue un autre avantage). Le projet « plein air » concerne deux crèches et deux haltes-garderies. Et Steven Vasselin a présenté ces projets en expliquant que « ce sera un standard de développement pour les futures crèches de la ville. ». L’élu a rappelé les bienfaits pour les enfants : meilleur sommeil, meilleures défenses immunitaires, activités en extérieur intéressantes pour la motricité globale et la motricité fine, mixité des jeux, baisse de l’agressivité. Mais aussi pour les professionnels : moins d’absences, plus de sens donné au métier. Et ces projets enfin favoriseraient selon lui la mixité des équipes, car l’extérieur attire les hommes…
Que c’est difficile de parler des enfants !
La dernière table ronde devait être consacrée à la qualité d’accueil perçue par les professionnels. La qualité d’accueil des enfants. Et finalement les différentes interventions ont parlé des équipes de pros plus que des bébés accueillis. Il faut dire que la question de départ était : avez-vous le sentiment de faire du bon travail ? En filigrane, on devinait parfois que les pratiques professionnelles décrites devaient forcément être bénéfiques aux enfants. Ainsi l’intervention notamment de Vincent Rouaud, coordinateur Petite Enfance à Saint-Sébastien-sur-Loire expliquant laisser aux équipes des structures petite enfance la possibilité « d’expérimenter de nouvelles pratiques d’accueil, de leur laisser avoir de la créativité, de la spontanéité et de l’émerveillement. » Et a loué « ces petites idées qui viennent des pros de terrain » et qui deviennent un axe commun à tous les projets. Les projets de Saint-Sébastien-sur-Loire c’est : « Sortir, aller dehors. ». Et de noter que de tels projets sont un plus pour recruter, car ils donnent du sens aux professionnels. Et bien-sûr font du bien aux enfants ! ■
Cet article a été publié pour la première fois dans La Lettre Hebdo 78
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