Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance du HCFEA : « Le rapport de l’IGAS vient de fermer le portillon du silence et des malfaçons »
Sylviane Giampino : L’accélération des publications, rapports et ouvrages peut être interprétée comme prometteur d’évolutions, en tous cas sur l’accueil du jeune enfant. Si l’on prend quelques repères historiques, en 1983, il y a eu un décret sur la PMI et, en 1986, un projet de décret sur les crèches qui constituait une grande première. Ensuite, à part un début de professionnalisation des assistants maternels, il s’est passé relativement peu de choses jusqu’aux années 2000. Là le décret relatif à la transformation des crèches en multi-accueil amorçait un virage majeur vers un changement d’échelle de l’offre et sa rationalisation budgétaire, confirmés par le fameux « décret Morano »* qui a suscité une mobilisation inédite notamment des professionnels de la petite enfance et des syndicats, pour alerter sur les problèmes à venir. Le collectif pas de bébé à la consigne s’est créé. Un début de prise de conscience a eu lieu un projet de plan métiers s’est ébauché. C’est dans ce cadre que le gouvernement m’a confié la mission de piloter une consultation scientifique et publique et de rédiger un rapport sur l’accueil du jeune enfant. Pour la première fois un ministre cherchait à améliorer l’accueil du jeune enfant autour d’un axe clairement précisé dans la lettre « pour le meilleur développement et épanouissement de l’enfant ». Le rapport dit « rapport Giampino » que j’ai remis à Laurence Rossignol en mai 2016 est le fruit d’un travail collectif d’un an, impliquant 130 personnes représentant toutes les parties prenantes de l’accueil du jeune enfant en France. Ont répondu présents : les gestionnaires publics, associatifs non lucratifs, privés ; tous les métiers, les organismes de formation, les régions, les départements, les caisses de sécurité sociale (la Cnaf, la MSA). Se sont également impliqués les universitaires et spécialistes des disciplines nécessaires pour penser l’accueil du jeune enfant, médecine, psychologie, la psychiatrie, orthophonie, psychomotricité, haptonomie, ergonomie et les sciences humaines (philosophie, sciences de l’éducation, sociologie, ethnologie, économie). En mai 2016, la ministre s’est emparée des 146 recommandation du rapport, et en a dégagé une feuille de route pour une politique de la petite enfance. Dans cette feuille de route, tout y est placé : les pratiques en réponse aux besoins du développement de l’enfant, les modalités de liens avec les familles, et un bilan des qualifications, métiers et conditions nécessaires pour y parvenir, ainsi qu’un meilleur équilibre entre l’accueil individuel et l’accueil collectif…
Tout le monde s’accorde à dire qu’à partir du rapport de 2016 « Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des Professionnels », quelque chose s’est déclenché et accéléré. De plus, lors du changement de gouvernement, la feuille de route petite enfance Rossignol a été poursuivie par Agnès Buzyn. Deux femmes ministres qui se succèdent mais qui, bien que politiquement opposées, maintiennent le cap. Nous tenions en 2018 un projet de politique de la petite enfance cohérent. Des projets de réformes ont mobilisé des consultations de tous les acteurs et des transformations rapides semblaient à portée de main en 2019. Puis plus rien.
A ce point de notre échange permettez-moi de citer Pérec « Le problème n'est pas tellement de savoir comment on en est arrivé là » et il complète en disant qu’il n’y a pas un bel espace autour de nous, mais plein de petits bouts d'espace. C’est mon sentiment. Pérec décrit aussi l’espace invivable comme est un espace « de pensée étriquée ».
Aujourd’hui, on a une concomitance de mobilisation d’expertises parmi lesquels les différents rapports du HCFEA**, les avis du CESE, le séminaire Premiers Pas et la commission des 1000 jours, les rapports de l’IGAS) qui vont toutes dans le même sens. Auxquelles s’ajoutent celles des professionnels eux-mêmes. Pas de bébés à la consigne ne s’était pas trompé quand il prévoyait que le décret Morano induisait une dégradation qualitative des modes d’accueil, sans permettre une réponse quantitative aux besoins de places. Avec des artifices, comme par exemple d’augmenter le nombre d’enfants pour un assistant maternel de 3 à 4, du jour au lendemain, d’autoriser l’accueil en surnombre dans les crèches, et de faciliter financièrement l’implication d’acteurs gestionnaires privés lucratifs dans l’offre d’accueil.
L’ouverture au privé lucratif permise par la Directive européenne sur les Services, dit directive Bolkestein, a-t-elle été une erreur selon vous ?
La Directive européenne sur les Services qui fixait des règles de libre concurrence pour les services marchands entre les pays membres - dite Directive Bolkestein- adoptée en 2006 devait être transposée fin 2009 en droit français. Or les pays avaient le choix d’extraire certains services d’intérêt général et d’utilité sociale de cette directive. La France, contrairement à d’autres pays, l’Allemagne par exemple, n’a pas sorti les modes d’accueil de cette directive. Ce qui signifie que le gouvernement de l’époque n’a pas considéré l’accueil des jeunes enfants comme un service pour lesquels il fallait garantir en priorité l’intérêt général et l’utilité sociale. A l’heure des bilans sur les écarts entre l’offre et les besoins, sur les finances publiques et sur la qualité d’un accueil bien-traitant des enfants, ce biais de régulation pèse sur le passage à un service véritablement public de la petite enfance.
Vous parlez d’une d’une « concomitance de mobilisation d’expertises qui vont toutes dans le même sens », dans le sens de la qualité d’accueil. Et pourtant 7 ans après votre rapport, le rapport de l’IGAS dresse un constat plus qu’alarmant…
Je ne suis pas surprise. En politique les paradoxes et les contradictions sont permanentes. Parfois involontaires parfois pas. D’un côté, des avancées : 2017 le protocole sur l’éveil artistique et culturel, le texte cadre national de l’accueil du jeune enfant, 2018, le projet de révision des normes, pour plus de qualité, d’inclusion, de place à l’éveil, dé-sanitariser. 2019 la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté qui insiste sur l’égalité dès la petite enfance et dans les modes d’accueil, mais des mesures qui peinent à voir le jour. Et la Covid qui s’invite parmi les ralentisseurs. Puis des constats utiles, nous avons plus d’études fines, celle de l’IGAS en est une remarquable. De l’autre, des décisions politiques hésitantes, une technicité bureaucratique qui a besoin de données, des arbitrages financiers peu propices aux grands projets. Face à ça, du jamais vu : la fermeture de places de crèches faute de professionnels pour s’occuper des enfants. Tout ce qu’on savait sur le terrain saute aux yeux des pilotes statistiques. Et tout ce temps perdu depuis 2015, sur les métiers de l’enfance, du médicosocial, de l’éducation, de la protection, du social.
A titre d’exemple, prenons le rapport 2019 que le HCFEA a dédié à la qualité d’accueil. Le Conseil y décline comment mettre en œuvre la Charte nationale pour l’accueil du jeune enfant article par article et comment piloter la montée en qualité des modes d’accueil à travers des actions au niveau de l’Etat, des collectivités territoriales… Cela a permis d’officialiser la charte nationale d’accueil du jeune enfant. C’est un levier qualitatif fort. Mais peu d’autres propositions ont été retenues. Or il est aujourd’hui en plein dans l’actualité, dans la mesure où un projet de service public de la petite enfance se devra théoriquement de garantir une égalité de l’accès à tous les enfants, et celui de la qualité.
Pour quelle raison a-t-on tant de mal à mettre en priorité la qualité pour la petite enfance ?
C’est un mécanisme de déni. Le déni de compétence nécessaire pour s’occuper des bébés a depuis toujours accompagné les politiques petite enfance. Comme si le bébé merveilleux et charmant ne peut pas être aussi considéré dans son dénuement et sa vulnérabilité. Ce déni s’origine aussi de stéréotypes de genre. Ce sont des femmes qui s’occupent des enfants, qui sont élues sur ces dossiers. Ce déni aujourd’hui confine à la passion du non-savoir. Il va falloir que ça change.
Ce changement à venir que vous percevez, il est lié au drame de Lyon ?
Il y a, incontestablement, un avant et un après de la mort de cette petite fille à Lyon. Bien qu’elle ne soit sûrement pas la première enfant sacrifiée sur l’autel du déni. Déni à la fois de la vulnérabilité et de la dépendance des tout petits enfants, et à la fois déni de la charge affective, émotionnelle et physique que représente pour les professionnels de s’en occuper. Le point de bascule tient plus au changement d’attitudes des médias qu’au drame de Lyon. Les médias ont depuis toujours collaboré à l’absentification de la question de la petite enfance dans le débat public. La bascule a pu s’opérer à l’occasion de ce malheur parce ce que nous avions préparé le terrain d’une prise de conscience sur les enjeux du développement de l’enfant, des droits de l’enfant, et de l’égalité avant l’école : Rapport Giampino, rapports du HCFEA, du défenseur des droits, séminaire Premiers Pas... Des années de mobilisation des connaissances sur lesquelles on ne pourra plus revenir en arrière parce que le rapport de l’IGAS vient de fermer le portillon du silence et des malfaçons. En donnant la parole à la fois aux responsables de structures, aux professionnels de première ligne et aux familles. Mais il n’a pas seulement donné la parole, il a aussi fait un travail d’analyse et de propositions pour que cette parole cesse d’être inaudible. Depuis 2010, les professionnels au travers de Pas de bébé à la consigne, des syndicats professionnels, de publication des chercheurs rien n’y faisait.
Vous saluez donc le rapport de l’IGAS…
Je salue non seulement la qualité du rapport mais également la rigueur avec laquelle les inspecteurs ont transcrit les réalités qu’ils se sont donnés les moyens de constater. Ce rapport de l’IGAS ressort du « parler vrai » de Françoise Dolto. Il produit un effet de révélation collective d’une « parole vraie » énoncée par celui qui est en place légitime de le faire. L’institution a fait son travail, certes. Mais ce qui frappe c’est la finesse de la posture, d’observation, cherchant l’équilibre dans l’écoute équidistante des responsables, des professionnels auprès des enfants, et des familles, et sans jamais céder sur la focale de l’intérêt de l’enfant. Un tel travail ne peut se faire sans un courage personnel pour aller au bout et d’un courage institutionnel pour le rendre public.
Parmi les constats de ce rapport, celui du manque de la qualité d’accueil d’un point de vue systémique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Cela ne m’étonne pas. La dimension systémique, c’est l’air que respirent les professionnels et les enfants. S’il est pollué, tout le monde s’asphyxie insidieusement. Ma carrière entière dans le domaine de l’enfance, en tant que psychologue clinicienne a été dédiée à l’amélioration de qualité des services qui s’occupent d’enfants et leurs environnements. Mes articles, mes livres aussi. L’ambivalence des institutions envers les enfants génère des systèmes qui dysfonctionnent. Il faut des guetteurs de la santé mentale des structures. C’est le rôle des équipes pluridisciplinaires. C’est cet enjeu-là qui me guide depuis la place que j’occupe aujourd’hui au HCFEA, car cet enjeu de la qualité pour le développement et l’épanouissement de l’enfant, comme priorité des mesures, des politiques pour tous les enfants, c’est aussi l’objectif du Conseil de l’enfance et de l’adolescence.
Cette qualité, vous l’avez-vu se dégrader ?
Oui. Rien dans ce rapport ne me surprend. Il donne raison à tous ceux qui dénonçaient la détérioration des conditions d’accueil des enfants, et qui affirmaient que les modes d’accueil devaient être un service pour les enfants et pas seulement pour les familles, parce qu’il ne peut y avoir d’incompatibilité entre s’occuper bien des enfants et répondre aux nécessités de ses parents.
Mécaniquement, si l’on pose le développement de l’enfant comme objectif de l’accueil du jeune enfant on soutient la relation parent/enfant, la conciliation vie familiale/vie professionnelle pour les parents qui travaillent, mais on doit aller plus loin. On doit s’organiser pour offrir aussi aux enfants dont les parents ne travaillent pas des expériences de découvertes, ludiques, récréatives, artistiques... en milieu extra-familial avant l’entrée à l’école. Ce qui est aussi un pas en avant vers plus d’égalité dès la petite enfance. Créer un parc de modes d’accueils flexibles, pour offrir un accueil ajusté à tous les enfants est la contribution majeure du rapport d’avril 2023 du conseil de l’enfance du HCFEA au SPPE.
C’est de suivre le fil des besoins du développement de l’enfant, depuis le rapport Giampino, les rapports HCFEA, dont celui sur la qualité affective, éducative et sociale de 2019, sur la pauvreté, sur l’accueil des enfants en situation de handicap, le séminaire premiers pas, l’avis du Cese.
Dans son rapport, l’IGAS a émis 39 recommandations, dont plusieurs déjà portées par votre rapport de 2016 « Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des Professionnels », comme le socle de compétences commun à tous les métiers de la petite enfance mais aussi avec d’autres rapports comme celui des 1000 premiers jours de 2020. Comment se fait-il, selon vous, que rien n’ait bougé ?
Cela a bougé, des choses avancent dans l’accueil du jeune enfant. Mais les réformes ne sont encore pas à la hauteur des enjeux de l’avenir d’une génération en train de naître. Peut-être parce que les rapports de force dont les décideurs ont l’habitude se déroulent avec des centrales syndicales, des lobbys, des groupes de pression. Or le monde de la petite enfance n’est pas structuré de cette manière-là. Par exemple, au fil des années, plusieurs tentatives de créer un syndicat de parents de crèches ont échoué. Ils sont parents d’enfants en crèches sur des durées courtes et au moment où ils sont déjà très pris entre des jeunes enfants au foyer et leur travail... L’implication solidaire ne prend que peu cette forme. C’est pour cela que les groupes de force ont été des collectifs largement portés par des professionnels eux-mêmes. Des organisations réunies des collectifs comme Pas de bébés à la consigne, la plateforme PMI... pour défendre les conditions de qualité d’accueil, et alerter sur les risques d’accidents, de maltraitances au vu de la dégradation des taux d’encadrement. Pourtant, aujourd’hui, le bilan de la situation des professionnels de la petite enfance est sans appel. Il aura fallu pour cela un bébé mort, et qu’on en arrive à fermer des places de crèche faute de professionnels pour s’occuper des enfants. Malgré tous les accommodements : des personnels moins qualifiés pour s’occuper des enfants, l’augmentation depuis des années du nombre d’enfants accueillis par adultes présents, les divers essais de rationalisation. Le décret de 2000, qui a transformé les crèches en multi-accueil était un virage. Il aurait pu être une opportunité pour la qualité d’accueil. Mais la Psu, la tarification à l’heure, les taux d’occupation… tout a été biaisé. Et le plan métiers n’a pas suivi.
Une campagne de valorisation des métiers vient d’être lancée pour tenter d’enrayer la crise de recrutement que connaît le secteur de la petite enfance. C’est une bonne initiative selon vous ?
Je suis complètement favorable à cette campagne, qui est tout à fait nécessaire. Il faut valoriser les métiers de la petite enfance aux yeux des familles, des gestionnaires, des élus et puis les valoriser aux yeux des jeunes, des lycéens, des étudiants. Mais la communication n’a d’utilité que si elle motive et s’accompagne d’une cohérence sur l’accès et la qualité des formations qualifiantes et à la formation continue. Dans le rapport de 2016, tout un chapitre est consacré à la constitution et à la valorisation d’une identité métier de la petite enfance. Nous proposions une journée annuelle des professionnels de la petite enfance pour qu’il y ait un rendez-vous entre tous les métiers impliqués avec des partages d’expérience, des conférences scientifiques de haut niveau et pour qu’ils se reconnaissent entre eux une identité métier commune.
J’espère que cette campagne du gouvernement de valorisation des métiers ne va pas faire le lit des assauts commerciaux, de formations low cost à distance, qui dispensent des savoirs appauvrissants, standardisés, saucissonnées par thèmes, avec un télé guidage de soi-disant bonnes pratiques en 6h de cours.
Nous avons à expliquer que ce sont des métiers qui exigent une manière de penser l’enfant singulier et en lien avec sa famille, les autres, les lieux, les ambiances relationnelles. Des métiers qui exigent aussi une ascèse de la réflexion partagée entre pairs sur ses propres attitudes autant que ses mouvements intérieurs. La proximité corporelle, affective est dense, l’intensité vulnérable et pulsionnelle des états du petit enfant met en jeu des résonances dans la sensibilité des professionnels. Des résonances qui peuvent fragiliser, émouvoir auxquelles s’ajoutent le lien à tisser et la juste place à trouver avec les familles des enfants et les collègues de travail. Ce sont donc des métiers complexes de la sensibilité et de l’intellectualité, où doivent se relancer le sens et l’énergie pour combiner avec plaisir le soin, la créativité, l’organisation, et l’improvisation !
Les micro-crèches Paje sont notamment pointées du doigt dans le rapport de l’IGAS (« des dérives inacceptables, guidées par de simples logiques financières » même si les auteurs du rapport indiquent qu’il y a aussi « des projets de grande qualité »). Dans votre rapport de 2016 déjà, vous vous questionniez à leur sujet. Rappelons que, outre la question du financement, c’est aussi le système dérogatoire dont elles bénéficient concernant le taux d’encadrement qui est souvent critiqué. Pensez-vous qu’elles ne permettent pas de garantir la qualité d’accueil ?
Je sais qu’on peut trouver des enfants bien accueillis dans tous les types d’accueil et inversement. La variété des structures n’est pas en soi un problème. Beaucoup de parents sont rassurés de confier leur enfant à des petites structures. Comment de leur place analyser les écarts entre le fond et la forme ? Repérer les dysfonctionnements systémiques, la difficulté des services de tutelles à garantir la qualité, les restrictions budgétaires ici, et les enjeux de profit ailleurs ? Pour rappel, le rapport « Vers un service public de la petite enfance » du Conseil de la famille du HCFEA a pris position sur les micro-crèches Paje. Selon lui, elles ne doivent pas faire partie du service public de la petite enfance. Une position partagée par le Conseil de l’enfance et de l’adolescence. Les deux problèmes des micro-crèches Paje sont d’une part le schéma micro-crèche porté par des grands groupes de gestion lucrative, et d’autre part leurs tarifs libres.
Selon le rapport du Conseil de l’enfance « Un SPPE favorable au développement de tous les enfants avant 3 ans : qualité, flexibilité, égalité » adopté mardi 18 avril, un accueil est de qualité quand il offre les conditions favorables au développement de l’enfant et donc quand il permet une expérience de socialisation avant l’entrée à l’école. Et c’est pour permettre cette socialisation qu’il convient de développer les accueils flexibles ?
Oui tout à fait. La logique est simple. On a mis l’accent sur le développement des modes d’accueil formel pour répondre à la conciliation vie familiale/vie professionnelle et on a, dans le même temps, pensé qu’il pouvait être utile, à la marge, d’offrir des accueils parents-enfants là où les collectivités territoriales en avaient envie et jugeaient que cela pouvait rendre service. Autrement dit, des associations, des psychologues et psychanalystes qui travaillaient sur le soutien à la parentalité, à la relation parent-bébé, la prévention des troubles des séparations précoces mal préparées et qui travaillaient aussi sur les bénéfices pour les bébés et les tout-petits de vivre des situations nouvelles, des expériences élargies au-delà du cadre intrafamilial, ont impulsé la création de maisons vertes dans les années 70. Progressivement, elles se sont élargies aux lieux d’accueil enfants-parents sous des formats multiples et variés avec des offres d’une grande diversité. Cet ensemble-là s’est mis à exister sous l’égide du soutien à la parentalité, dans les dispositifs, les modes de financement et le montage des partenariats pour faire exister ces offres. Parallèlement, s’est développé le constat des effets bénéfiques des rencontres entre les enfants entre eux, entre les parents entre eux, médiatisés par l’éveil artistique et culturel, le jeu, la gymnastique du bébé… et toute autre sorte d’invitation à l’adresse des mères et de leurs jeunes enfants, quand bien même les enfants n’auraient pas besoin d’être confiés pour des raisons professionnelles. Or les preuves sont là que tout cet ensemble est porteur de plaisir, de découverte, d’apprentissage, d’accompagnement des mécanismes d’individuation, de séparation et socialisation psychologique des enfants. Si ces processus peuvent se dérouler avant le grand saut du passage au statut d’élève, c’est un projet d’utilité sociale que de promouvoir une nouvelle catégorie de mode d’accueil que le HCFEA Enfance a choisi de nommer les accueils flexibles parce qu’ils répondent à ces besoins-là des enfants mais aussi à des enjeux de prime éducation qui recouvrent un objectif de meilleur justice sociale entre tous les enfants. L’orientation du Conseil de l’enfance est qu’un service public de la petite enfance doit être un service qui accueille tous les enfants de moins de trois ans dont les parents le souhaitent.
Quelles familles souhaitez-vous toucher en particulier avec les accueils flexibles ?
Nous souhaitons toucher, avec les accueils flexibles, les familles qui ne confient pas leurs enfants à un mode d’accueil formel. Il faut rappeler qu’il y a beaucoup d’argent public investi dans l’accueil formel des jeunes enfants et que près de 4 enfants sur 10 en sont privés. Parmi eux, certains parents ne sont pas en activité professionnelle soit par choix ou soit parce que cela leur est imposé par les circonstances de la vie. Or il n’y a pas de raison qu’ils n’aillent pas jouer avec les autres enfants, qu’ils n’aillent pas découvrir le jeu, la nature, la collectivité…. Il n’y a pas de raison que les pères et mères ne posent pas un autre regard sur leur enfant en le voyant évoluer dans un autre environnement. La flexibilité attendue de cette catégorie que nous voulons voir entrer dans les modes d’accueil dits formels doit pouvoir reposer sur de la créativité, des simplifications administratives et doit s’ingénier à lever tous les obstacles qui freinent les familles à sortir de chez elles avec leurs enfants, à rencontrer les autres. C’est un aussi l’occasion pour certaines familles d’entrer en contact avec des professionnels dans un climat de confiance. Derrière cela, il y a un projet social, une exigence de qualité, de créativité, de disponibilité… d’ouverture au monde.
Les enjeux sont forts autour du futur service public de la petite enfance. Quels sont les risques s’il ne répond pas aux attentes ?
Si les promesses gouvernementales de la création d’un véritable service public de la petite enfance ne sont pas tenues, le risque est grand d’une déstabilisation très profonde du pacte social entre les familles et les institutions. Je m’explique. Si l’on parle d’un service public de la petite enfance, cela veut dire que l’on promet d’accueillir la nouvelle génération en train de naître. Et si on ne tient pas cette promesse après que tout le monde s'est ému de la mort d’une enfant, après que toutes les forces en présence se sont mobilisées ces dix dernières années, ce sera le signe que la politique a renoncé à penser l’avenir et qu’elle se cantonne à une gestion de l’ici et maintenant. D’autres interlocuteurs viendront pour lesquels il nous faudra trouver de nouveaux moyens de convaincre, d’expliquer, et de continuer à faire avancer la cause des enfants, les petits et les grands.
* Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans. NOR : MTSA1014681D
**Voir tous les rapports du Conseil de l’enfance et de l’adolescence et tous ceux du Conseil de la famille
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