Déconfinement des modes d'accueil. Pour Sylviane Giampino : « ne rien lâcher mais trouver un juste équilibre »
Syviane Giampino : Il ne me revient pas en tant que Présidente de ce conseil d’émettre un avis sur ce guide dans la mesure où l’administration n’a pas sollicité l’avis du conseil.
Alors en tant qu’auteure du rapport « Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels », plus connu sous le nom de rapport Giampino, que pensez-vous de ce guide et plus généralement de la situation dans laquelle se trouve actuellement nombre de professionnels de l’accueil du jeune enfant ?
Je ne suis pas étonnée du contenu de ce guide, il est fidèle avec la conduite sanitaire de la crise du Covid-19 par le gouvernement, où, légitimement la dimension médicale a cadré l’ensemble des décisions publiques. Le guide livre donc des consignes au service de la protection sanitaire des enfants, des familles et des professionnels. La question est que l’application de certaines des consignes sanitaires sont contradictoires avec une autre priorité incontournable à savoir les besoins développementaux du jeune enfant. Il y a un équilibre à trouver entre la protection de la santé sanitaire et la protection de la santé mentale des tout-petits, présente et future. Le guide d’ailleurs tente de ménager quelques interstices de souplesse. Les professionnels doivent s’en saisir pour travailler en personnalisant, et au cas par cas.
Comprenez - vous qu’il puisse déstabiliser les professionnels de l’accueil collectif comme de l’accueil individuel ?
Oui, car la décision de déconfinement a laissé espérer un recul d’un mode de pensée urgentiste basé sur la peur. Et puis on ne peut pas prendre le risque de maintenir trop longtemps toute une génération de bébés dans un bain d’anxiété relationnelle familiale et collective. Ces dernières années, les instances politiques ont pris conscience et connaissance des enjeux de la première enfance, et du fait que les modes d’accueils doivent répondre aux besoins affectifs, éducatifs et sociaux des enfants en soignant la qualité des liens avec les familles. Tous les champs des connaissances concernés, et les synthèses internationales disent la même chose : l’intelligence professionnelle des modes d’accueils réside en un équilibre entre la santé, l’éveil, la sécurisation et la liberté des tout petits. D’ailleurs dans ce guide on voit que l’administration a essayé de prendre en compte qu’après deux mois d’absence, les enfants aient besoin de retrouver leurs repères de lieux, de liens, de rythmes. Mais ça se télescope avec les consignes de port du masque, de distanciations sociales, séparation des enfants, gestion des locaux collectifs et de l’habitation des assistants maternels... C’est le bazar. Heureusement un peu partout on invente des solutions qui ménagent dans ce cadre réglementaire, de subtiles précautions humanistes.
Craignez-vous comme beaucoup un retour à l’hygiénisme des années 60-70 ?
C’est un risque. D’autant que ça servirait le fantasme fou d’un monde aseptisé où nos enfants seraient à l’abri de tout. On a mis 50 ans à faire sortir les modes d’accueil des ravages carentiels des conduites hygiénistes pour en faire des espaces de vie, d’ouverture, de culture. On ne peut pas au nom de l’angoisse collective suscitée par la pandémie, faire régresser les modes d’accueil dans la froideur des pouponnières sanitaires des années 60, des crèches qui laissaient les parents sur le pas de la porte et les lavaient à l’entrée. Il y a un consensus mondial sur les bonnes conditions dans lesquelles on doit accueillir un jeune enfant pour qu’il ne soit pas abîmé par un mode d’accueil non familial.
Je mesure mes mots, mais je considère que c’est justement parce qu’il y a danger qu’il doit y avoir un partage éclairé du courage entre les instances politiques, les services et les familles. Souvenons-nous que le Ministère a édité un texte-cadre national pour l’accueil du jeune enfant et a déclaré les modes d’accueil comme outil prioritaire de prévention et d’égalité des chances pour l’avenir des enfants. C’est dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Ça s’appelle la qualité de l’accueil, c’est un projet de société et une digue qui protège.
Alors on n’a pas le choix, aujourd’hui, on n’arbitre pas entre précaution sanitaire ou développement harmonieux des enfants, on invente des modalités de prudence sanitaires qui prennent soin des besoins relationnels, affectifs, et de déploiements corporel et intellectuels des enfants en incluant les parents dans l’aventure.
Comment les professionnels - souvent en plein désarroi face à des demandes paradoxales - peuvent-ils procéder à ce rééquilibrage que vous évoquez ?
Mais ce n’est pas tant le guide qui est en question, c’est la précipitation. Certaines consignes s’avèrent inapplicables pour telle famille, telle structure, tel enfant ? Mais c’est toujours comme ça avec les protocoles !
Non, ce qui butte, encore et toujours c’est le déni du temps nécessaire à la réflexivité professionnelle. Du temps pour se parler et penser, à plusieurs, ce qu’on fait quand on doit s’occuper d’enfants. Pas seulement comment on s’organise, mais comment on se réorganise mentalement. Et comment on repositionne le sens de cette organisation pour apaiser les craintes et le transmettre aux parents et aux enfants.
Le délai entre l’annonce du déconfinement, la parution du guide et l’accueil des enfants a été trop court. Il faut prendre acte que la diffusion du guide a généré de l’insécurité chez les professionnels qui avaient besoin d’un étayage mais je pense qu’il a manqué ce temps intermédiaire nécessaire au démarrage plus progressif des structures et des assistants maternels afin de permettre aux professionnels de métisser les expériences récentes - celles des crèches réquisitionnées pour l’accueil des soignants notamment- et leurs savoir-faire d’avant covid 19.
Peut-on se passer d’un accueil personnalisé et progressif, compte tenu des impératifs de la lutte contre le Covid-19 ?
On ne peut pas s’en passer plus il est jeune, plus l’enfant est psycho-corporel. Il somatise face à ce qui lui fait peur ou violence.
Les parents doivent se préparer psychologiquement à se séparer à nouveau de leurs enfants, et sans avoir trop peur de la contamination. Heureusement de nombreuses structures ou assistants maternels ont maintenu le lien avec les familles pendant le confinement. Les communications à distances peuvent aider, mais pas remplacer. Le bienfait pour un enfant des relations entre ses parents et la personne à qui on le confie n’est pas de même nature. Et puis, quelle violence de déposer son tout petit comme ça, à une personne masquée dans un couloir vite fait, parce que les autres font la queue. Comment peut- on imaginer qu’un enfant n’ait pas besoin de reprendre ses marques, et les plus petits de retrouvailles poly sensorielles avec ceux qui vont s’occuper de lui, de voir leur au moins un peu leur visage, passer plus de temps auprès d’eux.
Il y a beaucoup de discussions autour de l’impact des masques sur les jeunes enfants par exemple. Il va falloir un temps de re-familiarisation des professionnels avec leurs propres pratiques et que les enfants se familiarisent avec ces transformations. Sur le terrain certains professionnels sont tétanisés, ont l’impression de ne plus savoir travailler, d’autres, mieux formés, entourés ou expérimentés se sont déjà réorganisés. Ils s’appuient sur les prises de positions rationnelles des pédiatres mais aussi sur leurs outils de référence, sur des plateformes, et sur texte-cadre national de l’accueil du jeune enfant, ou les référentiels sur la qualité, affective, éducative et sociale de l’accueil du jeune enfant.
Il nous faut concéder une marge nécessaire d’initiative aux professionnels car les personnes accueillant les jeunes enfants, quels que soient leur métier, ne sont pas des exécutants de consignes et protocoles, ce sont des adultes responsables. Il s’agit de ne rien lâcher dans la qualité de l’accueil, de trouver un juste équilibre entre précaution sanitaire nécessaire et humanisme professionnel indispensable.
Passe le temps de la surprise et de la sidération…Nous revenons peu a peu a un comportement plus rationnelle qui nous rappelle que notre métier consiste a construire un accueil sécurisant pour les enfants mais aussi pour les familles.
Ma micro est reste ouverte durant toute la durée du confinement accueillant les enfants de ceux qui ont œuvres au quotidien pour nous ! Nous n’avons pas eu cet effet retour, nous avons juste traversé la période
Concernant l’accueil nous avons misé sur la ventilation extérieur naturelle, laissant ouvert les espaces de circulation (distanciation), rotation par caisse a la journée des jeux (le virus ne tient pas plus de 5 jours sur les surfaces), division du groupe en 2..etc
Nous avons tout de même en tète quelques notions de bon sens :
Nettoyage avec de produit puissant, oui, mais pas n’importe comment et à n’importe qu’elle prix, la javel étant tout de même hautement toxique pour les voie respiratoire (il y a des informations venant d’un passé pas très lointain qu’il vaut mieux ne pas oublier, nous l’avons utilisé seulement hors présence des enfants en attendant le réapprovisionnement des produit désinfectants) Privilégier le lavage des mains au savon plutôt que le gel hydrologique. Le savon agit sur le virus en détruisant la membrane lipidique dont il est formé...
Prévenir, être vigilant, se tenir prêt à une éventuelle contamination, je peux le concevoir, mettre en place des protocoles d’accueil hospitalier pour des enfants qui n’ont pas était jusque-là contaminé…cela me parait surdimensionné !
Cette crise je la voie comme une occasion supplémentaire de se rassembler, chacun dans la couleur de sa profession pour repenser, recentrer notre accompagnement sur l’enfant ses besoins, la famille ses aspirations…l’agencement des espaces, l’utilisation des extérieurs(comment optimiser cette proposition pour la rendre encore plus riche), notre regard, notre position….et en aucun cas pour stresser ou faire preuve de comportements anxiogènes qui traduirai une projection subjective des personnes par apport a ce virus.
Il nous a fallu plusieurs années de lutte pour faire briller la lumière dans ce qui était encore il y a quelques années un accompagnement sur médicalisé, sur hygiénique, pour recentrer le travail des équipe sur les véritable besoins de l’enfant (besoins sensoriel et moteur) et de sa famille.
Rebondissons ensemble et redessinons, encore une fois le paysage de la PE, afin que cette période nous incite à utiliser les extérieurs, à nous rapprocher encore plus de la nature.
Que ce temps particulier ne nous conduise pas vers une régression des pratiques dont on aura du mal à sortir. Mais que bien au contraire, qu’il nous rapproche dans la réflexion d’une organisation pragmatique, objective, qui tient compte de notre savoir, de nos expériences que nous conjuguerons, aux informations scientifiques, et a la raison.