Pourquoi restituer la journée de l'enfant ? Par Pierre Moisset
Sociologue, consultant petite enfance
La restitution de la journée est un thème fréquent de débats professionnels ainsi que de journées pédagogiques. En effet, cette restitution apparaît tout autant comme un impératif professionnel que comme un exercice insatisfaisant. Insatisfaisant parce que, en tant que professionnel, on a fréquemment le sentiment de ne pas satisfaire la demande parentale et de livrer une information trop factuelle (les heures de sieste, la prise du repas, les selles) qui n’est guère enchanteresse pour le professionnel lui-même.
J’ouvre avec cette chronique une série de trois épisodes consacrée à la restitution. Mais d’abord, pourquoi restitue-t-on la journée de l’enfant aux parents ?
La question pourrait paraître absurde, et l’on est tenté d’y répondre avec humeur : mais parce que les parents ont besoin de savoir ce qu’a vécu leur enfant ! Parce que cela permet d’être dans la continuité éducative, voire la coéducation !
Soit, mais, à y bien regarder, la question se pose tout de même. Songeons simplement que, une fois l’enfant rentré à l’école maternelle, plus personne ne se souciera vraiment de restituer sa journée aux parents. Pourtant cet enfant n’est pas beaucoup plus âgé et il est accueilli dans un endroit où il est censé s’épanouir encore un peu et rentrer dans les apprentissages.
Alors pourquoi cette différence ? Parce que l’école maternelle (même si jusqu’à très récemment n’était pas obligatoire), en tant qu’éducation nationale, considère qu’elle a une action légitime et suffisante auprès de l’enfant. Et donc qu’elle n’a pas ou peu de « comptes à rendre » aux parents et pas d’information à leur demander.
Tandis que les professionnels de la petite enfance ont le sentiment, d’une part, de « devoir » une information et un vécu aux parents, et avoir « besoin » d’eux pour agir au mieux auprès de l’enfant accueilli. Pourquoi ? Parce qu’ils travaillent dans ce que l’on peut appeler une « institution ouverte »*, je vais y revenir.
Alors on pourrait dire que la différence s’explique tout de même par le fait que, durant la petite enfance proprement dite, les enfants sont vraiment petits, qu’ils n’ont pas ou très peu de vie autonome et que les professionnels font en sorte de les accueillir au mieux et, pour cela, de se rapprocher ou de se coordonner avec les « meilleures » normes sensées s’appliquer aux enfants : celles de leurs parents.
Sauf que ce n’est pas vrai. Que ce soit au sein d’un EAJE ou chez un assistant maternel, l’accueil de l’enfant diffère forcément et significativement de ce qu’il vit chez ses parents. Et cela fait partie de l’accueil. Plus encore, la qualité de l’accueil ne se mesure pas à sa conformité aux demandes parentales (qui parfois sont loin d’être précises et explicites), mais au fait qu’il propose un nouvel univers bienveillant et épanouissant à l’enfant. Quant à l’autonomie ou, du moins, les capacités précoces d’apprentissages et d’entrée en liens des très jeunes enfants, les neurosciences nous y sensibilisent de plus en plus.
Soit, mais alors que veut dire le fait que l’accueil de la petite enfance est une institution ouverte ? On peut le résumer ainsi : dans sa relation aux usagers-parents, les professionnels de la petite enfance auront trois grands enjeux : le contrôle (gérer les conflits et tensions), la relation de service (démontrer et donner à voir la prestation réalisée) et la relation (être dans une simple relation humaine de partage). Nous développerons ces points dans la chronique du mois suivant.
* Je parle ici d’« institution ouverte » en référence au travail de François Dubet, « Le déclin de l’institution », ouvrage paru en 2002. Pour une approche synthétique par l’auteur lui-même, voir Cairn.info