Les sur-chaussures en crèche : protections ou entraves ? Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure.
La méthode ? Vous mettez des sur-chaussures (propres) sur vos propres chaussures avant d’entrer dans les lieux où les enfants jouent et vous les déposez dans une corbeille ou un sac à linge sale en sortant car elles sont alors considérées comme sales. Souvent elles sont présentées dans des paniers à l’entrée de la crèche et un panneau ou une étiquette indique s’il s’agit de sur-chaussures propres ou sales. Il ne faut évidemment pas se tromper ! Bien que, face à la dépense, certaines crèches réutilisent les sur-chaussures jetables jusqu’à ce qu’elles soient déchirées et ne lavent pas systématiquement les paires de sur-chaussures à chaque utilisation.
Apparues au début des années 2000 dans la vague de l’hygiénisme sécuritaire qui a déferlé sur l’accueil de la petite enfance, les sur-chaussures sont censées protéger les enfants. Mais de quoi ? Des maladies apportées par les chaussures ? Quelles sont-elles ? Personne ne sait. Des saletés de la rue présentes sur les semelles de chaussures des uns et des autres ? Sans doute y en a-t-il, car la rue n’est pas propre. Mais alors cela veut dire que les enfants de moins de trois ans ne doivent pas être en contact avec la rue ? Pas de sorties au parc, de promenades, pas d’herbe, pas de terre, pas de flaques d’eau, d’escaliers, bref pas d’exploration ailleurs que dans les bras ou dans la poussette ? Cela semble bien limité. Et donc comment apprendre ? A se mouvoir et à connaître, à reconnaître, à savoir comment le monde s’agence ?
Heureusement il y a la crèche, un lieu où l’enfant peut faire tout ça puisqu’il est propre, lui. Propre mais plein de microbes, c’est tout le paradoxe. Plein de virus et de bactéries transmis principalement par les gouttelettes de salive car tous les objets passent de bouche de bébé en bouche de bébé et par les mains car ils touchent tous à tout. Un bébé enrhumé, et c’est plein de bébés qui ont le nez qui coulent . Un bébé avec l’œil sale et qui coule et voilà plein de bébés avec des conjonctivites. Un bébé qui tousse et nous avons une épidémie de bronchiolites ! Et tout ça malgré l’utilisation des sur-chaussures…
Bref on sent bien que les sur-chaussures ne sont en aucun cas la solution à l’hygiène en crèche. A quoi servent elles alors ? Peut-être à réduire le travail des personnes qui effectuent le ménage de la crèche, car il est évident que les sur-chaussures faisant alors office de patins, elles frottent et lustrent le sol de la crèche. Mais un bon tapis à l’entrée et des parents éduqués à s’essuyer les pieds ne serait-il pas d’un effet, sans doute moindre, mais suffisant ? Et bien moins cher ! C’est ici que certains objectent que les parents n’imaginent pas que leur bébé soit sur un sol où l’on marche quand il commence à se déplacer en se retournant, en rampant, ou à quatre pattes. Mais est-ce plus propre chez eux ? Le ménage est-il fait chaque jour ? Il n’y a ni animaux, ni tapis susceptibles de servir de base à des acariens ? Chaque personne enlève-t-elle ses chaussures dès l’entrée ? Pour les plus rigoureux sans doute, mais cela ne représente pas la majorité. Certains diront que les petits ne sont pas laissés au sol ou restent enfermés sur un tapis qui leur est réservé dans un parc, ce qui peut aussi se produire à la crèche, encore sous prétexte de protection (des agressions des plus grands même parfois). Mais comment exercer sa motricité, alors que l’on sait que c’est avant la marche qu’elle se structure ? Comment apprendre, alors que l’on sait que c’est par l’expérimentation que les connexions synaptiques s’organisent dans le cerveau ? Que d’obstacles à l’accès aux apprentissages !
Les sur-chaussures sont aussi des obstacles pour les parents, alors même qu’ils peuvent aussi se satisfaire de cette protection supplémentaire pour leur enfant. Mais quel parent n’est pas pour plus de protection aujourd’hui ? A l’entrée il faut trouver où poser le bébé afin de se libérer les mains pour enfiler les sur-chaussures. Il faut être certain de conserver son équilibre d’un pied sur l’autre lorsqu’aucun siège n’est proposé ou n’est disponible pour les enfiler ou les ôter. Et cela prend du temps ! Qui n’a pas vu ce parent préférant passer l’enfant pardessus le comptoir ou la barrière, ou bien ouvrir cette dernière et pousser l’enfant à aller seul, car il n’a pas envie, ou pas le temps de mettre les sur-chaussures ? Les sur-chaussures seraient donc des obstacles physiques. A mon sens elles sont aussi des obstacles moins visibles, plus symboliques. Une manière de différencier les professionnels de la crèche des parents. Les premiers n’ont pas de sur-chaussures, ils ont leurs chaussons, ils sont chez eux. Les seconds ne le sont pas, ils doivent mettre des patins, montrer patte blanche en quelque sorte. Une façon de dire que la crèche n’est pas faite pour eux, qu’ils n’y sont que de passage, qu’ils ne doivent pas rester trop longtemps. Une manière aussi de rejeter ce qui est extérieur à la crèche, considéré comme sale.
C’était la même motivation à l’époque de l’hygiénisme social à la fin du 19ième siècle. Les tours (sorte de plateforme mobile comme à la poste pour les paquets) permettaient aux parents de déposer les bébés sans entrer dans les crèches. Ils étaient alors déshabillés, lavés et changés car tout ce qui provenait de l’extérieur était considéré comme sale et potentiellement contaminant. Les pratiques des crèches ont pendant longtemps laissé les parents à la porte des crèches. Aujourd’hui encore, leur accueil est réglementé dans de nombreux lieux : par des horaires, des barrières visibles ou symboliques, des comptoirs ou encore des sur-chaussures…A méditer !
Mais s’essuyer les pieds sur des tapis adaptés dans les entrées des crèches, cela me semble assez simple tout de même. Et les jours de pluie on peut toujours enlever les chaussures, on les laisse avec le parapluie.
Entre protection et entrave quelle est donc la place de la sur-chaussure en crèche ? Certains ne se posent pas la question : ils n’autorisent tout simplement pas la présence des parents dans les lieux d’accueil. Ce qui prouve bien que la réflexion ne se situe pas du point de vue de l’enfant.
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