Où sont les cadres pédagogiques ? Par Laurence Rameau
Puéricultrice, formatrice, auteure
Penser que former les professionnels travaillant auprès des jeunes enfants est suffisant pour répondre à ces missions est une erreur. En effet, les professionnels que nous formons intègrent des connaissances, des savoirs et des savoir-faire, mais le savoir-être demande souvent plus de temps et surtout un modèle permanent auquel se référer.
Or, si les cadres habituels, le plus souvent les éducateurs de jeunes enfants, ne sont pas (ou plus) présents auprès des enfants et des autres professionnels, alors les savoirs théoriques et pratiques des accompagnants ont du mal à s’exprimer correctement. Ils se heurtent à un défaut de savoir-être et deviennent même encombrants lorsqu’ils font barrière à une nécessaire capacité d’adaptabilité. Faute de modèle permanent, les professionnels ont tendance à se référer à leurs cours, dans lesquels ils ont appris le bébé « parfait », né dans une famille « parfaite », c’est-à-dire correspondant en tout point à une représentation idéalisée et fausse de la petite enfance. Ils ont alors du mal à appliquer les méthodes apprises lorsqu’ils rencontrent un bébé « normal », qui crie, qui pleure, qui ne dort ou ne mange pas, parfois même qui ne joue pas ou devient agressif… Et ce bébé « normal » a toutes les chances d’avoir des parents « normaux », c’est-à-dire qui ont des idées différentes sur l’éducation et les pratiques mises en application avec leur enfant…Pour les professionnels, cela ne se traduit pas des successions de problèmes, de plaintes et de recherches pour savoir comment faire avec de tels enfants, si imparfaits et de tels parents, si mauvais ! Ce n’est pas le manque de savoirs qui leur fait défaut, mais l’insécurité qu’ils ressentent dans de telles situations.
Il faut un pilote dans l’avion. L’absence de personne faisant autorité, assumant et prenant la responsabilité des choix des actions éducatives, tout en rappelant que le travail d’éducateur consiste à accueillir et accompagner au mieux tous les enfants, à tout moment, et en toutes circonstances, conduit à de tels défauts. Ce ne sont évidemment pas les enfants qui vont mal, mais l’environnement et les pratiques qui doivent être plus adaptées. De la même façon, ce ne sont pas les parents qui ne sont pas bons, mais leurs visions et leurs différences, qui doivent être mieux acceptées. Et pour cela il faut du temps, de l’énergie, des explications et surtout un modèle de savoir-être en la personne du cadre pédagogique.
Prenons l’exemple des micro crèches dans lesquelles il n’est pas rare que les cadres, référents techniques, ne soient présents qu’une ou deux fois par semaine dans la crèche. En dehors de ce temps de présence, les professionnels sont, certes autonomes, mais aussi sans modèle pédagogique. Leur sécurité disparaît et leur guidance se fait au mieux à distance, ce qui est insuffisant. Malgré tous les efforts de chacun, et particulièrement ceux du référent technique, on se trouve dans la situation d’un pilote qui ne cesse de monter et descendre de l’avion, sans jamais arriver à le faire décoller. Et même s’il y arrivait, il lui faudrait descendre en route, ce qui n’est pas recommandé. C’est épuisant pour tous, et gratifiant pour personne. Les problèmes de communication avec les parents ou de comportements des enfants s’enveniment et se crispent, et les référents techniques passent plus de temps à faire les pompiers que les pilotes.
Un autre exemple est celui des directeurs d’EAJE, lorsqu’ils sont surchargés de travail administratif, sans rapport avec la pédagogie et les pratiques éducatives. Ils sont alors éloignés du terrain opérationnel de l’accompagnement, partie peu visible de leur travail, pour répondre à une demande administrative rapide et concrète, particulièrement remarquable par leurs propres supérieurs. Sans cadre intermédiaire chargé de l’organisation pédagogique, le risque de chute de l’avion est aussi important dans ces crèches que dans les micro crèches.
Par ailleurs, certains éducateurs de jeunes enfants ne souhaitent pas occuper les postes de cadres pour ne pas avoir à guider les professionnels ou à endosser des responsabilités pédagogiques. Dans ce cas il faut tout de même qu’un autre professionnel assume ce rôle d’encadrement, ce qui nécessite alors que plusieurs éducateurs de jeunes enfants soient employés dans la crèche, ce qui n’est pas toujours possible, soit faute de financement, soit faute de candidatures.
Bien traiter c’est aussi bien accompagner. Nous avons tous à l’esprit que les professionnels doivent être bien traités pour être eux-mêmes en situation de reproduire cet état avec les familles. Cette bientraitance commence par une sécurisation. Nous avons tous besoin, à des degrés différents, et selon notre profession, d’être sécurisés dans nos actions professionnelles. Dans la petite enfance, cela se fait in situ, le plus souvent et avec un modèle de savoir-être qui permet à chacun de faire évoluer ses pratiques en ayant la bonne référence.
Un parent qui n’arrive pas à se séparer de son enfant et part en courant lorsque celui-ci a le dos tourné, agace un professionnel insécurisé. Mais lorsque ce même professionnel est à l’aise dans son métier et comprend ce qui se passe pour le parent, alors il sait accompagner l’enfant en lui disant que son parent est parti vite, mais que lui est bien là et que la journée va bien se passer. Il a compris que son rôle n’est pas de changer les façons de faire des parents, mais d’agir lui-même pour que l’enfant soit le mieux possible. Le professionnel insécurisé va quant à lui raller sur le parent en question, parfois même en présence de l’enfant, et essayer de le faire changer de procédé en lui faisant des remarques plus ou moins claires et culpabilisantes, alors même qu’il n’a rien demandé… Ce professionnel n’a pas encore atteint le savoir-être nécessaire pour comprendre son rôle, sa mission. Il a besoin d’un cadre qui puisse le lui apprendre, le lui expliquer et surtout le lui montrer. Et c’est seulement à cette condition qu’il deviendra un très bon professionnel de la petite enfance.
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