Avant, j’avais des principes… Par Anne-Cécile George

Infirmière-Puéricultrice, directrice de crèche

petit garçon
Entre la puéricultrice d’hier et celle que je suis devenue aujourd’hui, il y a un gouffre. Quand j’ai fait ma spécialisation pour devenir puéricultrice, je n’avais pas d’enfants. Lors de la formation, on effleure la théorie de l’attachement, on ne s’attarde pas trop sur le soutien à la parentalité, on glisse, on surfe sur Loczy et on en occulte beaucoup d’autres. Un an, c’est court. Surtout quand on axe la moitié du temps sur le soin donné à l’enfant. Car la puéricultrice est avant tout une soignante, elle est infirmière. Sortie fraichement de l’école, avec de vagues notions de psychologie et nullipare par-dessus le marché, je donnais de « bons conseils » formatés aux parents que je côtoyais et j’y croyais ! Je squeezais le contexte, la famille, comment s’était déroulés la grossesse, l’accouchement, les premiers mois, mais surtout je ne savais pas une chose : c’est qu’avec toute la meilleure volonté du monde et une connaissance experte du milieu, personne n’était à l’abri de ses propres émotions. Celles-là même à l’origine de la faiblesse parentale.
J’avais en tête qu’en tant que puéricultrice, lorsque j’aurais des enfants à mon tour, ce serait finger in the nose. Je mettrais en œuvre tous mes conseils emplis de bons sentiments et j’y arriverais ! En gros, j’avais 98 sacro-saints principes et rien ni personne pas même le petit d’homme, ne pourrait m’influencer dans mes méthodes éducatives.
En vrai, je me fourrais le doigt dans l’œil jusqu’à la moelle. Passées les premières désillusions de parents (à savoir : bébé pleure, malgré l’application de mes propres conseils, il se réveille la nuit, il grandit et mord les autres enfants, il grandit encore et dit « putain» avec tout le plaisir éprouvé lors de la transgression… pourtant… pourtant.), mes 98 principes ont été revus, ré-étudiés et re-considérés.

Plus j’évolue dans le milieu, plus je m’imprègne des connaissances sur le développement de l'enfant, les études sur les neuro-sciences apportant son lot de certitudes mais aussi de culpabilité en tant que maman : ai-je raté des étapes ? N’ai-je pas induit tels ou tels comportements chez miss-chipie ou bébé-fonceur (surnoms donnés à mes chérubins) ?
Ai-je toujours eu les réactions appropriées ? Si oui, comment expliquer :
1. Que miss-chipie ait osé échanger le bonnet tricoté par mes soins contre deux cartes pokémon ?
2. Que bébé-fonceur ait toujours, à 4 ans passé, une profonde admiration pour ses matières fécales, quitte à les malaxer et à en badigeonner son camarade de classe ?
Le plus difficile n’est pas de relativiser les actes pulsionnels de ses enfants, qui décrits par Catherine Guéguen dans son ouvrage « Pour une enfance heureuse », découlent d’une immaturité du cerveau encore en construction, mais bien de faire accepter à l’entourage que rien ne sert de frapper, torturer, flageller son enfant pour arriver à ses fins. Ecraser, dominer le petit d’homme pour lui imposer une rigueur auquel il est difficile de se conformer sans la maturité. En faire de petits adultes bien sages. Polis. Jolis. Muets. Discrets. Effacés. Effacer la vie qui déborde, le dynamisme qui gicle, la spontanéité qui désarme.

« Je trouve que tu n’étais pas aussi souple avec miss-chipie… On dirait que tu lui laisses tout faire ».
C’était au dernier repas de famille, et je comprenais que j’avais évolué. Dans le bon sens.

Auparavant je me cachais derrière « il faut lui mettre des limites, poser un cadre rassurant », ce qui est vrai. Mais comment positionne-t-on le curseur pour poser des limites ? Quel ton faut-il employer ? Comment trouver les mots justes ? Je dois avouer que je n'ai pas toujours eu la patience et l'écoute requises. Plus par méconnaissance, que par la fatigue de la jeune-maman-dévouée.
Désormais, je les observe et me rends à l’évidence : le meilleur indicateur est l’enfant, lui-même. Quand miss-chipie s’est adressée à moi un matin, alors que je la pressais de s’habiller pour aller à l’école : « Ecoute maman, je sais que c’est difficile pour toi de patienter. Mais là, tu vois… je joue ».  C’est sûr, elle a des priorités qui ne sont pas les miennes. Nous ne vivons assurément pas dans la même dimension. La mienne est une dimension de stress, d’urgence, d’organisation réglée comme du papier à musique, pas de place à l’imprévu. L’école commence à 8H50, à 8H53 je suis dans ma bagnole à écouter ma messagerie, à 9H00 je fais le tour des sections pour dire bonjour à l’équipe, à 9H32 je suis devant l’écran d’ordinateur à terminer la facturation commencée la veille. Miss-chipie a une vie bien chargée également, articulée entre l’animation d’une micro-société de playmobil, la gestion des conflits entre Barbie et Ken, l’écriture de lettres à la petite souris pour lui démontrer que les billets sont plus légers à porter que les pièces de monnaie, et…l’école.
Mais, preuve en est, que je ne m’y prenais pas trop mal : elle avait posé des mots sur les émotions que je ressentais, chose que je m’efforce de faire à chaque fois qu’un énervement, une frustration pointe le bout de son nez. Alors voilà, j’étais pressée. Et c’était vrai.
Je ne dis pas qu’il est toujours aisé de garder le contrôle de soi. Mais, il faut s’efforcer de penser que ce sont nous les adultes. Nous qui avons le pouvoir de contrôler nos émotions. De prendre du recul. Et d’agir calmement pour apaiser.
Article rédigé par : Anne -cécile George
Publié le 17 mai 2016
Mis à jour le 04 août 2017