Les absents à la crèche, ça compte !
Avant toute chose, ce sont les parents qui manquent aux enfants. Et ils le manifestent par des pleurs, au moment de la séparation du matin ou au cours de la journée. Parfois de manière plus indirecte, par leurs comportements qu’il faut alors décrypter (morsures à répétition, recherche constante de l’adulte, demandes réitératives de lire toujours le même livre…). Mais aussi par de simples interpellations comme les fameux « papa ?!», « maman ?! » que les enfants adressent aux professionnels.
Répondre de manière ajustée, créative, individualisée mais aussi groupale à ces sollicitations est essentiel pour accompagner les jeunes enfants. Ceci les aide à mieux vivre l’instant présent à la crèche tout en ouvrant un espace pour penser l’absence de l’autre.
• Un rituel rassurant
Face aux demandes répétitives des enfants accueillis à la crèche : « maman ?! » , « papa ?! », Saïda, EJE, répond de manière individuelle selon la situation : « maman travaille », « papa est à la maison », « maman est à la maison » ou désormais plus souvent « papa (ou maman) télé-travaille à la maison ». Les enfants ont parfois également besoin qu’on leur parle de leur fratrie, Saïda précise alors par exemple « Timéo (ton frère), est à l’école »… Saïda a même inventé une chanson, (co-inventée avec d’autres professionnels de crèche et librement inspirée d’un autre chant) : « Mon papa, est parti au travail. Ma maman, est partie au travail. Et pendant ce temps-là, moi je suis à la crèche, et je chante, et je joue, et je m’amuse aussi. »
Ce rituel, l’air de rien, offre aux enfants un support de réassurance tout en maintenant présents à l’esprit les êtres manquants. Certains enfants s’en saisissent particulièrement en lui réclamant cette chanson, et parfois même en inventant leur propre version !
Les petites ou longues absences des professionnels, régulières, imprévues ou définitives
• La rythmicité des absences/présences des professionnel(le)s sur la journée font également partie du cadre de la crèche. Il ne faut pas oublier que chaque jour de crèche pour un enfant est marqué par le renouvellement d’adultes présents /absents dans l’espace d’accueil, ne serait-ce qu’en fonction des horaires des professionnel(e)s (matin, soir, pauses déjeuner…). Si ces modalités d’organisation sont tout à fait habituelles et nécessaires, elles n’en sont pas moins sources de discontinuités pour les tout-petits, qui n’ont pas toujours les informations suffisantes et la maturité psychique pour se représenter ces changements de repères au cours de la journée.
Un emploi du temps de la journée
A la crèche des Cerisiers, l’équipe a souhaité afficher sur la porte d’entrée les informations du jour. Ainsi, les présents/absents et les plages horaires sont communiquées aux parents, qui à leur tour peuvent en parler avec leur enfant, photos à l’appui : «Christine n’est pas arrivée, elle est du soir. C’est Daphné qui va t’accueillir. » Ou encore « Ah, aujourd’hui Christelle est absente. Elle se repose dans sa maison. Magali est arrivée tôt, on va lui raconter comment s’est passée ta nuit ! ».
• Les professionnels peuvent aussi être absents sur des durées plus ou moins longues, quelles qu’en soient les raisons. Ces absences font partie de la vie de la crèche. Quand cela arrive occasionnellement, ou régulièrement mais de manière repérable pour l’équipe comme pour les enfants, on peut les mettre en mots. Les professionnels pensent parfois à communiquer tout simplement aux tout-petits ces changements, qu’ils peuvent alors entendre, mieux comprendre, voire anticiper, bien que les représentations de la temporalité ne soient pas encore celles de l’adulte ou de l’enfant plus grand.
Anticiper et mettre en mots
A la crèche Les trois Ours, une auxiliaire de puériculture s’adresse aux enfants : « Lundi, je serai en vacances, je penserai bien à vous ! ».
Une autre peut dire: « Demain c’est mercredi, c’est le jour où je ne travaille pas à la crèche, je serai dans ma maison, je te dis à jeudi ! C’est Tania qui prendra bien soin de toi ».
Ou bien encore : « Aujourd’hui, Cindy est malade. Elle se repose dans sa maison. C’est moi qui te donnerai le repas.»
Dans un autre établissement, l’équipe a eu l’idée de faire une affiche avec les photos des professionnels et d’y associer possiblement trois pictogrammes différents: la mer pour les vacances, le thermomètre en cas de maladie, et une maison en cas d’absence régulière, par exemple lorsque la professionnelle travaille à temps partiel. Les enfants peuvent ainsi se repérer plus facilement.
• Il existe par ailleurs une difficulté bien connue des lieux d’accueil de la petite enfance, qui est celle des départs et du turn over des professionnels. Parfois, ces départs sont tellement fréquents, qu’on finit par ne plus en parler. Or, il peut aussi être utile de parler, ou de représenter le départ d’une professionnelle qui a particulièrement compté pour les enfants. Cela peut soutenir le processus de séparation chez le jeune enfant comme chez l’adulte qui a pris soin de lui et compte souvent parmi les figures d’attachement.
Des photos, des pictogrammes pour parler et faire parler
Natacha est une professionnelle très investie par les enfants, les familles et l’équipe. Elle souhaite partir vivre en Province, et a donc annoncé son départ de la crèche. Pour aider les très jeunes enfants à se représenter le jour de son départ et le temps restant, l’éducatrice a eu l’idée de confectionner une pancarte avec sa photo. Les 10 jours qui restent avant son départ sont représentés par des pictogrammes d’oiseaux que la professionnelle décroche jour après jour. Sa photo restera encore quelques semaines après son départ de la crèche : certains enfants pointeront du doigt la photo, suscitant ainsi le dialogue autour du départ de Natacha, même en son absence.
Quand les enfants sont absents de la crèche
Parmi les enfants absents, il y a bien sûr les enfants malades, ceux qui n’ont guère été épargnés par les virus, les microbes et les bactéries, soit toute la bobologie de la vie quotidienne à la crèche. Et comme la contagion fait malheureusement partie du jeu, les absents pour un même motif médical sont en général comptés à la pelle. On peut alors souvent entendre les professionnelles informer leurs collègues : « Le papa de Titouan a appelé, il ne sera pas là aujourd’hui », ou exprimer ouvertement « Tiens, Léa n’est pas encore arrivée, je pense qu’elle ne va pas venir… ».
Ces paroles comptent car elles viennent signifier la présence de l’enfant dans la tête des adultes. Ces mots comptent également aux yeux des enfants présents, aussi jeunes soient-ils : il y a des absents, mais on en parle. On peut même en informer les enfants. Car certains pairs comptent plus que d’autres, faisant parfois « repère », binôme de jeu et d’imitation, voire copain pour les plus grands. Cela peut signifier aussi pour un enfant : « si je suis absent, on va tout de même parler de moi », donc « penser à moi »…
Certaines équipes ont souhaité intégrer les enfants absents aux rituels du quotidien.
Un « appel » qui intègre les absents
A la crèche des P’tits Loups, Fatima propose tous les matins la chanson du bonjour, lorsque l’accueil des enfants prend fin. « Par la fenêtre ouverte, bonjour, par la fenêtre ouverte, bonjour le jour. Bonjour, Jérémie (elle s’adresse d’un geste vers lui), bonjour Jasmine, bonjour Elisa… ». Les absents sont alors également nommés.
Dans une autre structure, les éducatrices ont collé deux petites maisons sur la vitre de l’espace de vie : une maison représente la crèche, l’autre le foyer des enfants. Lorsqu’un enfant arrive à la crèche, la professionnelle prend la photo de l’enfant qu’elle nomme et le déplace sur la maison crèche. Les enfants absents sont bien visibles, leur photo restant sur la maison « foyer ». Cela permet d’en parler : soit sur l’initiative des professionnelles, soit sur celle des enfants qui parfois montrent du doigt les photos et invitent ainsi les adultes à en discuter avec eux.
• Il y a aussi les enfants qui partent vers de nouvelles aventures, par exemple ceux qui déménagent, ou qui prennent le chemin de l’école. Si les équipes pensent naturellement à dire au revoir aux enfants concernés et ritualiser leur départ, elles ne pensent pas toujours à en parler au reste du groupe, avant le départ de l’enfant, ou une fois l’enfant parti, ce d’autant plus si les tout-petits n’ont pas encore complètement accès au langage. Pourtant, le départ d’un enfant peut être marquant pour certains. La dynamique réelle et émotionnelle du groupe s’en retrouve parfois changée, et la place est souvent bien vite « attribuée » à un nouvel enfant.
La force des photos souvenirs
La crèche des Marronniers accueille les enfants en inter-âges. La photo du groupe d’enfants accueillis l’an dernier dans l’espace de vie est restée accrochée. Lors d’un de mes temps d’observation, Adèle, âgée de 2 ans, me montre la photo, pointe du doigt les enfants partis à l’école (et non ceux qui sont restés à la crèche). Adèle m’invite ainsi au dialogue des absents/présents. Je prends alors le temps d’échanger avec elle: « Awa est à l’école. Je me souviens, tu la voyais tous les jours l’an dernier à la crèche. Est-ce que tu vois encore Awa ? » Adèle répond « oui, Awa, au parc ». Nous parlons ensuite des enfants aux côtés desquels ou avec lesquels je la vois souvent jouer désormais. Au travers des absents, Adèle me parle aussi d’elle « Adèle à l’école ». Je reprends : oui tu es à la crèche, mais bientôt toi aussi tu iras à l’école ».
Par ailleurs, lorsqu’un enfant déménage en cours d’année, certaines équipes choisissent de garder sa photo encore quelques temps, histoire de prolonger, ne serait-ce que quelques jours, la narration autour de son départ. Cela n’empêche pas l’accueil d’un autre enfant, bien au contraire, lui offrant une place bien différenciée, qui n’est pas seulement celle du berceau libéré.
Ne pas banaliser les absences
Ainsi, à la crèche, l’absence c’est de l’omniprésence ! Quand ces absences ont lieu trop fréquemment, qu’il s’agisse des enfants ou des adultes, on peut avoir tendance à les banaliser, à ne plus en parler, cela devient une habitude, pour l’équipe, mais pas forcément pour les enfants qui se retrouvent alors en manque de mots pour penser, et se les représenter.
Pouvoir en parler, a minima, offre la possibilité d’accompagner les jeunes enfants dans ces petites et grandes épreuves de séparation du quotidien. En équipe, créer quelques supports à cet effet peut soutenir la communication autour des absents, dont chaque enfant sera libre de se saisir, ou pas, selon ses besoins. Laisser une place pour les absents, sans toutefois nier les problématiques d’organisation, de chiffre, de besoins de mode de garde, c’est aussi sans doute, faire la part belle à un accueil de qualité.
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