Les parents-rois. Par Françoise Näser
Assistante maternelle, auteure
C'est aussi la génération « kleenex » : je t'utilise et je te jette. Signer un engagement réciproque pour réserver une place chez une assistante maternelle, super ! Oups, on avait peut-être oublié de préciser qu'on avait fait en parallèle une demande de place en crèche ? Or, justement, on a reçu une réponse positive, figurez-vous, quelle bonne surprise ! Alors l'engagement réciproque, la parole donnée, le contrat moral ? Eh bien, on n'en a que faire, n'est-ce pas ! On sait très bien que l'assistante maternelle hésitera à saisir les Prud'hommes pour une indemnité aussi minime (2). Alors confettis du bout de papier ! Un petit coup de peigne dans les cheveux lustrés et on oublie très vite ce « petit » incident de parcours. Pour l'assistante maternelle, sélectionnée dans un premier temps, puis rejetée sans ménagement par manque d'utilité, c'est un aller simple pour Pôle Emploi.
On cherche une nounou, on fait le tour des offres sur le marché, on trouve la perle rare, on teste et on l'adopte. « Elle est vraiment super cette nounou : elle fait plein de choses avec les gamins, ils adorent aller chez elle ». Et puis, sans prévenir, la situation change : on obtient quelques heures d'accueil à la halte garderie, ou bien Mamie propose son aide, un jour par semaine, puis deux. On aménage le contrat de l'assistante maternelle qui voit son salaire se réduire comme peau de chagrin. Que faire ? Un dilemme pour elle : refuser l'avenant au risque de perdre le contrat (et c'est le retour à la case chômage), accepter l'avenant en tremblant que Mamie ne passe au temps plein ? Cette nounou qu'on adorait au début, finalement, est-elle vraiment si bien que ça ? On pourrait très bien s'en passer, non ? Attention : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage !
Et ces parents-rois sont adeptes des technologies les plus modernes, bien entendu. Encore une histoire de narcissisme, sans doute. Toute la panoplie des écrans peuplent leur quotidien : des SMS en pleine nuit pour prévenir d'un changement d'horaire pour le lendemain matin au licenciement signifié par textos : « contrat terminé le 10 du mois. Papiers suivront. Cordialement », tout est envisageable. Des mails à toute heure du jour : « ah bon ? Vous éteignez votre portable ? » Et bien sûr, une surveillance rapprochée de leurs bambins : « vous nous tenez au courant, hein ? Vous nous enverrez des petites vidéos de leur journée, n'est-ce pas ? » et à peine sortis de chez la nounou : « allô ? Je n'ai encore rien reçu, tout va bien ??? ». A nos très nombreuses compétences, il nous faudra donc ajouter bientôt donc celle de vidéaste sur notre CV...
Lorsque la prétention de ces parents-rois va jusqu'à estimer que seul le confort de leur enfant est à prendre en compte sans jamais admettre qu'il n'est pas seul chez nous, que son sommeil n'est jamais assez réparateur « il est sans doute gêné par les autres enfants » ou que les siestes sont au contraire trop longues « vous la laissez trop dormir, on n'arrive plus à la recoucher le soir! », que les repas sont trop copieux « il a pris du poids, non ? » ou pas assez « il faudrait prévoir un plan B au cas où elle n'aime pas ce que vous avez préparé », que les sorties sont trop fréquentes « il se fatigue » ou pas assez « elle s'ennuie », les activités trop nombreuses « vous les sur-stimulez » ou insuffisantes « il ne sera pas prêt pour l'école », on peut parfois désespérer de ces parents-employeurs, éternels insatisfaits.
Il y a des parents-rois, à n'en pas douter, et nous souffrons toutes à un moment ou à un autre de notre parcours de leurs exigences impossibles à satisfaire, de leurs lubies et de leurs caprices, et il y a les autres. Une grande majorité de parents-employeurs loyaux, humains, cordiaux. Des parents-employeurs qui respectent notre vie privée et notre famille, qui s’enquièrent de notre santé, qui compatissent à nos petits et grands malheurs, qui nous paient rubis sur l'ongle, qui souhaitent que nous nous formions pour mieux accueillir les enfants et qui se montrent sous leur meilleur jour durant toute la durée de l'accueil jusqu'au délicat moment de la rupture du contrat et parfois même au-delà. Des employeurs modèles, des parents suffisamment bons (3). Ils existent, je les ai rencontrés.
(1) Rapport Giampino, page 173
(2) En cas de non-respect de l'engagement réciproque, la partie qui dénonce cet accord est redevable à l'autre d'une indemnité égale à un demi-mois du salaire mensuel brut prévu.
(3) Allusion à La mère suffisamment bonne de Winniccot
Hélas je l'ai vécu !