Compétences sociales et émotionnelles du jeune enfant. Le point de vue de Catherine Gueguen
Adopter une attitude empathique et bienveillante
En France, on connaît bien les neurosciences cognitives - le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer a même créé un comité scientifique avec des experts sur le sujet. Nées dans les années 70, elles s’intéressent aux mécanismes cérébraux de ce qui est intellectuel : écrire, lire, compter, penser, mémoriser, etc. Mais ce n’est que depuis la fin du XXe siècle qu’existe les neurosciences affectives et sociales, qui étudient les mécanismes cérébraux des émotions, des sentiments et des capacités relationnelles.
Elles nous disent que la relation idéale - empathique, soutenante, aimante - est la condition fondamentale pour que le cerveau puisse se développer au maximum de ses capacités. L’idée est donc d’être à la fois écouté et à l’écoute. C’est-à-dire être soi-même entendu et compris dans nos émotions et pensées, et laisser l’autre s’exprimer dans tout ce qu’il a à dire dans une attitude empathique où l’on sent et comprend ce qu’il vit. Si on prend l’habitude d’avoir cette attitude au sein d’une équipe, on gagnera l’adhésion de chacun de ses membres - une fois qu’on se comprend, la solidarité se crée et c’est une très grande force. L’idéal au sein des équipes est de se soutenir mutuellement pour pouvoir faire face au travail difficile qu’est l’accueil des jeunes enfants.
L’empathie c’est donc sentir et comprendre ses propres émotions (auto-empathie) et les émotions d’autrui puis vouloir apporter du bien-être à celui qui est en détresse, c’est la sollicitude empathique. Quand on est professionnel, il s’agit de ne pas confondre les émotions des enfants avec ses propres émotions : la colère de l’enfant par exemple, c’est la sienne, pas la nôtre. Si l’on porte la souffrance des enfants, il sera difficile de l’aider et on peut alors se retrouver soi-même en difficulté - voire même en burn out. Bien sûr, chez les parents, c’est quelque chose de très compliqué à faire puisqu’ils souffrent de la détresse de leurs enfants.
Aider l’enfant à exprimer ses émotions
Quand un enfant tape, griffe ou mord, c’est généralement parce qu’un de ses besoins profonds n’est pas satisfait (besoin d’attention, d’affection, de calme, de jouer, etc.)et que son cerveau émotionnel et archaïque l’a alors poussé à agir de la sorte. Non parce qu’il est méchant ! Il faut arrêter de lui dire « Tu n’es pas gentil », considéré par la communauté scientifique comme une humiliation verbale, nocive pour son cerveau extrêmement fragile et malléable à cet âge. Quand l’enfant tape, mord, il vit une vraie tempête émotionnelle. Il ne le fait pas exprès ! Il s’agit donc d’abord de l’apaiser au lieu de le punir, qui n’aurait d’autre effet qu’intensifier son niveau de stress.
Il ne s’agit pas de le laisser tout faire sans rien dire ! On lui dira : « On ne mord pas. » Puis on l’aidera à mette des mots sur ses émotions : « Tu étais en colère ? Tu t’ennuyais ? Tu avais besoin qu’on s’occupe plus de toi ? »… L’enfant ne saura pas forcément exprimer son émotion, mais il pourra au moins se connecter au panel d’émotions qui lui est présenté. Puis un encouragement : « Je te fais confiance, tu vas apprendre à ne plus taper. »
Toutes les recherches sur le cerveau de l’enfant disent que : apaiser, aider à exprimer ses émotions et encourager font maturer le cerveau et en particulier les circuits et les structures cérébrales qui permettent de faire face à ses émotions et impulsions.
Evidemment il faut aussi s’occuper de celui qui a été victime, là aussi en l’aidant à exprimer ses émotions : « Cela t’as mis en colère ? es-tu Surpris ? Inquiet ? »… Un accompagnement qui demande de prendre le temps.
Créer un cercle vertueux en montrant l’exemple
Les professionnels ont parfois l’impression de ne pas avoir le temps… Mais ce n’est jamais une perte de temps de s’occuper d’un enfant qui mord ou qui pleure ! Car les autres enfants sont spectateurs et observent comment on prend en charge une personne en détresse - avec sollicitude. Si les professionnels qui les accueillent montrent le comportement adapté, ils les imiteront. Cela se passe au niveau des « neurones miroirs ». Et progressivement, ce sont eux qui iront consoler l’enfant avant même l’intervention des adultes.
La vie sur le lieu d’accueil c’est aussi apprendre l’entraide, la coopération, l’empathie. Les professionnels sont de puissants modèles ! Mais pas que pour les enfants, il faut proposer aux parents de faire la même chose et adopter le même comportement entre collègues. C’est ainsi que toute la société va progresser. Nous avons en réalité un pouvoir extraordinaire sur les autres car nos actions peuvent impacter le fonctionnement des molécules cérébrales, des circuits neuronaux, et même l’expression de nos gènes…
Le maternage - prendre soin, rassurer, sécuriser, consoler - n’est pas réservé aux petits. A n’importe quel âge on peut en avoir besoin. Les parents maltraitants ont souvent besoin d’être maternés eux-mêmes pour ensuite être capables de prendre soin de leur enfant : c’est un cercle vertueux. En effet le maternage peut modifier certains gènes et permettre aux personnes d’être plus résilientes vis-à-vis du stress, et agir sur l’hippocampe, la partie du cerveau qui régit les capacités d’apprentissage et de mémorisation.
Prévenir les violences éducatives ordinaires : un devoir urgent
Beaucoup de gens ont encore recours à la violence physique en croyant bien faire : ils reproduisent généralement ce qu’ils ont eux-mêmes subi et ne savent pas faire autrement. Les professionnels ont un rôle de soutien à jouer auprès d’eux (et de tous les autres) pour les aider à trouver d’autres solutions - un rôle de co-éducation. Mais on sait qu’ils ne sont pas toujours assez nombreux, car il faut du monde pour être vraiment présent auprès des enfants comme des parents.
La recherche scientifique, notamment les travaux de Rebecca Waller qui a examiné 30 études sur le sujet, démontre aujourd’hui les conséquences des éducations punitives et sévères sur le développement des enfants. Elles peuvent rendre les enfants et adolescents agressifs, anxieux, dépressifs, durs, insensibles et parfois les conduire à de nombreuses difficultés psychologiques voire psychiatriques avec addictions aux drogues, à l’alcool, et même entraîner des suicides... Il est donc vital d’arrêter d’humilier et de punir les enfants !
Dans le monde entier, les enfants subissent quotidiennement des punitions corporelles et humiliations au sein de leur famille, des institutions ou à l’école. Ainsi 53 pays dans le monde, dont 32 en Europe, ont adopté une loi pour interdire et dénoncer ces pratiques. En Suède, le premier pays à l’avoir fait il y a déjà une quarantaine d’années, c’est toute la société qui a changé. Cela nous montre le chemin d’une vraie humanité. Mais on a encore un droit de correction en France, alors même que c’est le pays des Droits de l’Homme. D’où les efforts d’associations telles que Stop VEO et de certains députés qui militent pour que la Loi abolisse enfin les violences envers les enfants.
*A l’occasion de son intervention sur « Le développement des compétences sociales et émotionnelles chez le jeune enfant » lors des Girafes Awards qui se sont tenues le 25 juin 2018.
Pour aller plus loin, suivre notre formation en ligne : Comprendre et accompagner les émotions de l'enfant.
Les études pour aller plus loin
Rebecca Waller, Oxford (2013), Clinical Psychology Review, 33 : 593-608
Allan Schore, directeur département de psychiatrie, Los Angeles
Michael Meaney, Montréal
Leblanc E and al., Frontiers in Psychology, 8, 2147, 1-13
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