Témoignage de Laure, EJE : « La VAE a permis ma construction professionnelle »
J’ai 48 ans, et suis issue d’une formation artistique : j’ai suivi le 1er a3, et des cours du soir en arts appliqués en 1986. Je suis entrée dans la fonction publique territoriale en 2002. Mère de trois enfants, j’ai d’abord occupé un poste d’agent social puis d’agent d’entretien en cantine. C’est là que j’ai pu observer le travail des Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem), et que l’accompagnement des jeunes enfants s’est révélé à moi comme moi une évidence.
Je demande donc à travailler dans la crèche municipale et entame la formation au CAP petite enfance. J’y découvre les rythmes du jeune enfant, son développement psychomoteur, l’écoute, le soin, des pistes pour les activités, l’organisation des postes de travail et surtout des informations sur les autres métiers du médico-social, secteur que je connais peu. J’intègre comme prévu la crèche en 2008 et je commence à appliquer sur le terrain mon apprentissage théorique.
Pendant ces deux premières années, j’assimile ou digère la collectivité. Effectivement en formation on parle du respect du rythme de l’enfant, mais en collectivité je me rends bien compte que cela n’est pas faisable. D’ailleurs toutes mes collègues m’expliquent gentiment qu’il y a une certaine dichotomie (merci Arnaud, je ne connaissais pas ce mot) entre formation théorique et travail de terrain, que je m’y habituerai avec le temps (pas si sûr…).
Je suis très motivée, je donne le meilleur de moi-même, alors je calque mon travail sur mon apprentissage CAP et le travail des Atsem en préscolarisation (il faut dire que je n’ai pas d’autres références à ce moment précis). Les activités sont nombreuses, je m’investis dans ce rôle d’« ateliériste » qui rejoint ma formation de base en arts plastiquez. J’appelle deux par deux les enfants autour d’une table créative : peinture ou gommettes, et lorsque l’enfant ne veut pas, j’essaie quand même de le motiver en croyant bien faire ! « Allez, fais-le pour Maman, ce soir on lui donnera »… me suis-je entendue dire !!!
Dans cet environnement institutionnel, je semble être conditionnée par un groupe à fonctionner dans un sens précis, de manière presque robotisée, autour d’une pensée unique qui fait en quelque sorte avancer la machine. Tout est organisé depuis des années, et il est hors de question de remettre le système en question parce que cela marche si bien ! Il est vrai que, à vue de nez, du haut de mon CAP petite enfance, les enfants ne semblent pas malheureux !
Je fais remarquer à mes collègues que le rythme des enfants n’est pas toujours respecté et que cela me gêne un peu. La collectivité oui, mais à quel prix ??? A ce moment précis, je ne connais pas encore les véritables enjeux autour du respect du rythme de l’enfant car pendant la formation, on m’a juste donné les chiffres et vaguement l’échelle des rythmes ! Un enfant de 12 mois dors tant de temps reparti sur un certain créneau horaire… Mais nous avons des enfants qui réclament plus ou moins, que fait-on pour eux ?
Une première VAE pour obtenir des réponses
C’est alors que j’entends parler de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) d’auxiliaire de puériculture, que certaines professionnelles avaient commencée mais n’avez pas eu la patience de terminer. Ce type de proposition me convient car je souhaite évoluer dans ma carrière. Elle éclairera peut-être les zones d’ombres qui me questionnent tant. Je m’y inscris et entame le premier volet de cette fabuleuse aventure autour du concept « Individualiser l’accueil de l’enfant en collectivité ».
Afin de compléter mes connaissances et de mieux me préparer, je demande l’accompagnement à l’écriture du livret à l’Institut Lenval de formation des auxiliaires de puériculture. C’est là que je découvre les notions de prendre soin, d’observation individualisée, de motricité libre avec la pédagogie Piklérienne, de l’importance de la continuité du soin, du principe d’attachement, de référence, etc. J’obtiens finalement ma VAE.
Forte de cet enseignement et d’un diplôme supplémentaire, j’effectue sur le groupe quelques changements qui vont bouleverser la routine. Je n’assoie plus les enfants qui n’en ont pas encore acquis seuls la compétence. Réponse de l’équipe : pour quelle raison ne devrait-on pas faire ce qui a toujours été pratiqué ? J’explique les raisons de ce changement à mes collègues, mais cela est très compliqué. On me rétorque que les enfants pleurent et qu’ils manifestent un désir que nous sommes en mesure de satisfaire - une frustration qui n’est pas nécessaire chez le bébé. J’explique que les tensions qu’il développera dans cette position ne lui permettront pas de conforter un développement en adéquation avec ses véritables besoins moteurs, et limiteront son exploration sensorielle et son développement cognitif.
Petits films, schémas, résumés de conférences font leur travail d’information. En effet les professionnelles ne résistent pas longtemps au changement dès lors qu’il est étayé par des considérations scientifiques, médicales, ou d’ordre psychologique - encore faut-il bien expliquer les fondements de ces modifications.
Une deuxième VAE pour approfondir la réflexion
Mais je souhaite allez encore plus loin, j’aimerais à ce moment-là de ma vie professionnelle prendre connaissance des différents concepts psychologiques qui m’aideraient davantage dans la proposition éducative engagée. Avec l’approbation de ma hiérarchie qui m’encourage dans cette voie.
Je rentre en VAE EJE, très rapidement, car sur le fond je suis déjà dans cette démarche d’individualisation de l’accueil, de déstructuration de certaines pratiques au profit d’autres plus en lien avec l’autonomisation et l’éveil… C’est à ce moment et dans cette dynamique de lecture, de rencontres et d’écriture que je prends véritablement conscience de l’importance de notre travail au quotidien et des dérives que peut entraîner un travail non réflexif. De l’importance de l’accueil du parent, de sa place dans l’établissement, de l’importance de la relation tissée avec lui en tant que prime-éducateur de son enfant. Je prends en considération la sécurisation de l’enfant au travers des repères, des rituels que l’ont peut mettre en place dans son proche environnement.
J’interpelle mon équipe et la direction sur le projet éducatif qui n’est plus en lien avec le travail que nous construisons en équipe au niveau des neuroscience affectives et sociales (en effet je me forme au langage des signes, à la verbalisation des émotions, à l’éducation positive...).
Je prends connaissance de lectures telles que Loczy ou le maternage insolite de Myriam David et Geneviève Appell, ce qui m’amène à réfléchir au planning afin de décharger les professionnelles de ces questions organisationnelles afin de leur laisser plus de temps pour l’observation.
Je découvre l’Itinérance Ludique avec Laurence Rameau, l’œuvre de Maria Montessori et le libre choix d’activités. Je repense alors en globalité l’environnement qui est proposé chez les moyens et les grands.
Je travaille davantage sur des projets d’équipes et j’écris, je filme, je photographie pour rendre vivante notre action éducative auprès des parents qui sont tout d’abord un peu déstabilisés par ce « manque de production ».
Je propose les jeux en version individualisée sur des plateaux, en tenant compte des étapes de construction et de compréhension de la proposition. Je ne néglige pas le besoin moteur de l’enfant qui va de pair avec le travail de sa pensée qu’il élabore à travers le jeu, par hypothèses et expérimentations diverses. Je laisse dans ce sens la salle motrice ouverte en libre accès (l’élaboration de la pensée à travers la concentration est sensiblement rattachée aux besoins de dépense physique chez le jeune enfant).
S’enrichir encore et toujours
Aujourd’hui encore après avoir fait un voyage à Reggio Emilia, je ne vois encore plus mon travail comme il y a encore quelques mois, chaque découverte me permet d’évoluer avec mes collègues dans la réflexion, autour du sens de notre posture et de notre proposition.
Je prends en considération l’importance de l’expérimentation et du travail de restitution aux parents, du travail de l’équipe, autour d’une documentation réalisée en lien avec le travail pédagogique.
Bien sûr tous ces changements bouleversent la routine mais avec le temps, la formation, et aussi la reprise du projet, c’est une véritable révolution institutionnelle qui s’opère et s’organise autour du respect et de l’individualisation de l’accueil du jeune enfant. Parce que je souhaite avant tout proposer un environnement qui permette à l’enfant d’expérimenter son potentiel moteur, créatif et d’émerveillement, à travers un environnement riche de sens et respectueux de son être. Lui permettre de prendre conscience de ses compétences, de trouver ses limites, de découvrir ses pairs dans un environnement favorisant la construction du lien.
Parce que je souhaite voir l’enfant que j’accompagne comme un fabuleux partenaire qui enrichit chaque jour l’éducatrice maladroite que je resterai toujours face à lui. Lui, qui est capable de construire sa pensée par des ressources et une potentialité extraordinaires.
L’éducateur, à mon sens, se construit par apport à la demande de l’enfant, en lien direct avec l’observation fine qu’il a de ses comportements. Il ajuste en permanence ses compétences à répondre aux besoins tant physiologiques qu’émotionnels du jeune enfant en individualisant la réponse. Il se trompe, se corrige, réfléchit autour du travail qu’il engage quotidiennement. Adapte sa proposition éducative et créative en fonction de son observation quotidienne. Il doit continuellement faire des liens avec les neurosciences, la communication positive, ses lectures, ses stages de perfectionnement, les supervisions, etc.
Après la théorie - essentielle car elle représente le socle de notre profession -, voici la culture du terrain : engager une curiosité et une réflexion quasi permanentes, sans être jamais sûr de rien, afin de pouvoir remettre en question ses propres convictions, devant cet enfant doué par nature qui nous montre naturellement le chemin. L’enfant est un expérimentateur doué pour une recherche scientifique et ludique unique : celle de la découverte de la vie.
Je souhaite aujourd’hui continuer cette exploration en réalisant un voyage à Loczy et pouvoir me rendre compte sur le terrain de l’expertise entreprise par les équipes sur place autour des travaux d’Emmi Pikler.
Côté associatif, je travaille avec la Fédération Nationale des Educateurs de Jeunes Enfants (FNEJE) PACA à l’organisation de nombreux évènements, qui je l’espère conforteront certaines professionnelles dans le sens qualitatif qu’elles donnent à leur travail. Je tiens d’ailleurs à préciser que la FNEJE est une formidable équipe, elle m’aide à rester active et dynamique dans ma réflexion professionnelle, par des échanges riches qui soutiennent ma démarche réflexive.
La VAE m’a permis de donner du sens à mes actions. Elle concrétise, par l’écriture du livret, les réflexions et les observations que j’ai pu faire sur le terrain. Par la construction de liens avec les parents, les équipes et la hiérarchie, par le partage des connaissances, elle a aussi profondément bouleversé l’individu que j’étais pour reconstruire celui que je suis aujourd’hui. Elle a été l’artisane de ma construction professionnelle.
EJE pour ma part cela sera, EJE de terrain et/ou expérimentatrice pédagogique et créative au service de l’enfant !
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