Qui sont les psychopédagogues d’aujourd’hui ?
Apparue fin XIXe - début XXe pour signifier les rapprochements entre les méthodes d’enseignements et la prise en compte des comportements humains, la psychopédagogie a fait partie de la formation initiale des enseignants d’école primaire jusqu’en 1990. Cette discipline était dispensée et évaluée par des professeurs ayant une formation en philosophie. Son contenu était très large : la personnalité, l’intelligence, la motivation, le contexte scolaire, la gestion d’un groupe, etc. Elle donnait lieu à une épreuve écrite de dissertation sur une situation éducative en faisant appel à des connaissances en psychologie. Lorsque les premiers diplômes de travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés et éducateurs techniques) ont été créé en 1967, une épreuve écrite de psychopédagogie de même nature a été instituée. Celle-ci perdure, y compris pour les futurs éducateurs de jeunes enfants.
Essor et déclin de la psychopédagogie
Il n’y a jamais eu vraiment consensus sur la définition de la psychopédagogie. Est-ce l’étude scientifique des méthodes utilisées pour l’éducation, comme le pensaient les pionniers qui, au début du XXe siècle, croyaient à une pédagogie issue de la méthode expérimentale ? Est-ce une approche clinique s’appuyant sur la théorie psychanalytique telle qu’elle a été développée dans les années suivant la seconde guerre mondiale et à laquelle Françoise Dolto a un temps participé ? Est-ce une forme d’accompagnement par la médiation (littérature, théâtre…) telle qu’elle est pratiquée avec des enfants et adolescents en difficulté scolaire ? Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir été beaucoup présent, en particulier dans la dénomination de laboratoires de recherche universitaire, le mot « psychopédagogie » s’est effacé au profit de l’intitulé « sciences de l’éducation ». Déjà en 1912, en Suisse, l’Institut des sciences de l’éducation Jean-Jacques Rousseau (haut lieu de la pensée pédagogique au XXe siècle) avait failli s’appeler « Institut de psychopédagogie ». En 1967, en France, des débats avaient eu lieu avant la création d’un cursus de sciences de l’éducation, pour lequel la proposition de « licence et maîtrise de psychopédagogie » n’avait pas été retenue. Puis, le recours à la notion de psychopédagogie et à la fonction de psychopédagogue s’est un peu perdu, en France plus que dans les autres pays francophones, jusqu’à une visibilité récente.
Plusieurs profils de psychopédagogues
En assumant un point de vue subjectif constitué à partir de ma formation universitaire en psychologie et sciences de l’éducation aboutissant à un diplôme dans lequel la psychopédagogie est mentionnée, j’établis une distinction entre trois catégories : les psychopédagogues classiques, les psychopédagogues spécialisés et les nouveaux psychopédagogues.
• Les « classiques » appartiennent à un de ces trois groupes : les chercheurs en sciences de l’éducation qui produisent du savoir sur l’articulation entre la psychologie et l’éducation au sens large, les psychologues cliniciens, qui exerçent la fonction de psychopédagogue dans un cadre institutionnel (surtout en CMPP : centre médico-psycho-pédagogique) ou en cabinet libéral, et enfin les enseignants spécialisés. Pour ces derniers, le terme d’aide psycho-pédagogique ayant disparu au fil des réformes des RASED (réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficultés), l’intitulé de rééducateur psychopédagogue a laissé place à celui d’« enseignant spécialisé chargé des aides à dominante rééducative/relationnelle ». Tous exercent la fonction de psychopédagogue mais en gardant leur statut de chercheur, de psychologue ou d’enseignant. En effet, il n’existe pas de titre reconnu de psychopédagogue, donc pas de contrôle non plus.
• Les « spécialisés » : parmi les psychopédagogues déjà cités qui ont un bagage théorique commun, se distinguent ceux qui maîtrisent la connaissance d’une discipline ou d’un public spécifiques. Les uns choisissent d’approfondir la psychopédagogie de la musique, des mathématiques, du sport ou des langues (en lien ou non avec la didactique, approche plus technique de l’enseignement) tandis que d’autres développent une approche psychopédagogique des personnes en situation de handicap, des adultes ou des jeunes enfants par exemple. Une autre voie, en plein développement, issue des neurosciences, est la neuropédagogie ou la neuroéducation, axée sur la connaissance du fonctionnement du cerveau au service des apprentissages. La notion de neuro-psychopédagogie commence aussi à émerger. Ainsi, la psychopédagogie est-elle peut-être en train de se réconcilier (à tort ou à raison) avec son ambition d’origine, qui était de développer une pédagogie scientifique ?
• Les « nouveaux » exercent essentiellement en libéral ; ils proposent un accompagnement dit « psychopédagogique » en fonction de leur propre parcours professionnel et de leur formation complémentaire. Ils proposent leurs services auprès des enfants et des adultes en utilisant des outils empruntés à différents courants, l’épanouissement personnel étant leur dénominateur commun. Dans ce cadre, on assiste à l’émergence de praticiens en psychopédagogie positive, dont la certification délivrée par des organismes privés n’a aucune filiation avec l’histoire de la psychopédagogie dans l’enseignement en France. D’autres approches co-existent, comme la psychopédagogie du bien-être développée au Québec, qui est plus une pédagogie du soin, et la psychopédagogie de la perception appelée aussi somato-psychopédagogie, dont les références psychocorporelles rappellent plus les fondements de la psychomotricité que les questions d’apprentissages.
D’où en est la psychopédagogie de la petite enfance ?
La psychopédagogie appliquée à la petite enfance est ancienne, même si le mot n’existait pas encore. On peut la faire remonter au XIXe siècle, avec les apports des fondatrices de l’école maternelle française, Marie Pape-Carpantier et Pauline Kergomard. Du côté de la crèche, la pionnière en France est Irène Lézine, psychologue connue pour les tests de développement psychomoteur qui portent son nom (l’échelle Brunet-Lézine). En 1964, elle a publié « Psychopédagogie du premier âge », livre de conseils issus de ses travaux et de ses observations de terrain. Y était abordé ce qu’elle appelait les « routines de la vie quotidienne » (sommeil, alimentation, habillement, toilette, propreté) et les « acquisitions de la vie quotidienne » (mouvements, éducation sensorielle, jeux et jouets, langage, sociabilité). Plus tard, en 2002, en Belgique, un groupe de travail sur les modes d’accueil du jeune enfant a abouti à un texte de presque deux cents pages : « Accueillir les tout-petits. Oser la qualité. Un référentiel psycho-pédagogique pour des milieux d’accueil de qualité. ». L’approche est plus globale car elle part d’apports théoriques et de vignettes cliniques autour des liens et de la socialisation pour arriver à des propositions concrètes sur l’activité de l’enfant et le sens du projet éducatif. Quelques autres publications rendent compte de l’approche psychopédagogique pendant la période préscolaire.
Présence de la psychopédagogie dans les contenus de formation
Pour résumer, la psychopédagogie de la petite enfance porte sur l’ensemble des pratiques éducatives et tout particulièrement l’éveil, le jeu et les apprentissages. Elle s’appuie sur la connaissance des fondamentaux de la psychologie et sur celle des courants pédagogiques pour définir des comportements professionnels adaptés aux besoins des jeunes enfants. La psychopédagogie figure depuis longtemps au programme du diplôme d’infirmier-ère puériculteur-trice sous l’intitulé : « Psychopédagogie du jeune enfant : éveil et activité du jeune enfant ; rythme de vie ; stimulation sensori-motrice ; éveil musical ; livres ; graphisme ». En 1986, un numéro du manuel « Cahiers de puériculture », qui longtemps a fait référence, s’appelait « Psychopédagogie de l’enfant ». On y trouve un condensé des courants en psychologie, rien sur les courants pédagogiques, mais beaucoup d’idées sur l’éveil du jeune enfant, à savoir dans l’ordre « Activités sensori-motrices - Danger des stimulations non significatives - Jeux et jouets - Marionnettes et marottes - Activité corporelle - Manipulation - Graphisme et peinture - Livres pour enfants - Éveil musical ». Le référentiel de compétences du DEAP (auxiliaires de puériculture) et du CAP AEPE (accompagnants éducatifs petite enfance) mentionnent juste la transmission de notions de psychopédagogie, qui sont inégalement développées d’un centre de formation à un autre. Bien sûr, celles et ceux qui travaillent le plus cette dimension pendant leurs études sont les EJE.
Vous avez dit « psychopédagogue » ?
Dans la langue française, l’usage des mots « pédagogie » et « éducation » a toujours eu besoin d’être contextualisé, au risque d’être source de confusion. On pourrait se demander si, avec les tout-petits, psycho-éducateur(trice) ne conviendrait pas mieux que psychopédagogue. Mais le terme est déjà utilisé, tel quel au Québec, par les « consultants en psycho-éducation » en Suisse, par les « praticiens en psycho-éducation » en Belgique, avec des référentiels de compétences distincts, et pas tellement axés sur la petite enfance. Les combinaisons de mots autour de « pédagogie », « éducation » et « psychologie » semblent sans fin. Alors, peut-être est-il normal que les nouvelles générations de psychopédagogues ne ressentent pas le besoin de se situer par rapport à l’histoire de leur discipline, ni de se questionner sur le rapport avec les sciences de l’éducation dans leur ensemble ou avec la psychologie de l’éducation en particulier. Finalement, « psychopédagogue » est une profession parmi d’autres, pour laquelle il appartient à chacun(e) de bien définir sa propre identité, sans s’autoproclamer trop vite expert et en cultivant une démarche réflexive.
Pour aller plus loin
Hervé Terral, La psychopédagogie, une discipline vagabonde, Revue française de pédagogie n°17, 1994, pp. 109-121 (
Accueillir les tout-petits. Oser la qualité. Un référentiel psycho-pédagogique pour des milieux d’accueil de qualité.
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