Un entretien avec Martine Long, juriste, auteur du Service public de la petite enfance

Martine Long est une universitaire, docteur en droit public, spécialiste du service public . Elle vient de publier chez Berger-Levrault un ouvrage consacré au service public de la petite enfance. A un moment où la concertation sur le service public  est terminée et où le gouvernement s’apprête à  dévoiler son projet, il nous a semblé utile de recueillir son point de vue, érudit mais pragmatique sur la construction d’un service public pour la petite enfance.
 Les Pros de la Petite Enfance : Alors que vient de se terminer la concertation sur le Service public de la petite enfance et que le gouvernement va annoncer  les premières mesures , votre livre tombe à pic…

Martine Long : Oui mais c’est un peu un hasard. J’anime des formations depuis plusieurs années pour les professionnels du secteur de la petite enfance  dans le cadre du CNFPT et j’ai pensé qu’il était utile de dresser un état des lieux global où il n’est pas question que de réglementation. J’ai souhaité aussi faire un constat des réalités de terrain et aborder les questions de gouvernance.
Aujourd’hui le contexte est tellement complexifié que l’idée de mon ouvrage  était de voir comment on peut véritablement construire  un SPPE. Je voulais identifier non seulement les enjeux , mais aussi donner des pistes de réflexion notamment en ce qui concerne les outils et les modes de gestion.

Vous êtes une spécialiste du service public et vous doutez clairement de l’appellation service public de la petite enfance
Oui au sens stricto  sensu du  terme, un service public est une activité d’intérêt général assurée ou assumée par un acteur public, c’est-à-dire dont l’origine de création est publique même s’il peut y avoir une délégation dans un cadre contractuel. Ce qui n’est et ne sera pas toujours le cas. Certes en une majorité de crèches sont gérées par des collectivités territoriales, mais actuellement il y a aussi des acteurs associatifs, ce sont donc des acteurs privés non lucratifs qui assument une activité d’intérêt général. Et des acteurs privés qui le font dans un but lucratif. Donc il serait, c’est vrai, plus juste de parler de service universel de la petite enfance surtout s’il faut travailler avec des acteurs privés.
Mais on peut aussi considérer le service public dans une acception plus large ou du moins plus opérationnelle : dans ce cas,  le service public de la petite enfance  pourrait travailler avec tous les acteurs mais qu’un acteur public ( à  déterminer et ce sont là toutes les questions autour de la gouvernance) puisse avoir un rôle de coordination-régulation-contrôle. Par exemple quand le privé s’implante, il faudrait auparavant qu’il ait recueilli une autorisation de cette autorité  de contrôle et qu’il s’engage dans le cadre d’un référentiel de valeurs et un projet de territoire. Car, actuellement on a ouvert les vannes  sans mettre les outils de régulation de l’offre en face. Donc globalement ce serait un  grand service public avec à l’intérieur des acteurs et outils qui  ne soient pas tous publics. C’est ce vers quoi on tend aujourd’hui.

Vous  affirmez aussi qu’un service public de la petite enfance ne peut être que territorial
Actuellement, le service public de la petite enfance est un service public local facultatif rattaché au bloc communal (communes ou interco.). Le département (PMI)  a par ailleurs un rôle de délivrance  des agréments aux assistants maternels et d‘autorisation d’ouverture des EAJE. La CAF apporte une ingénierie et des financements. Par ailleurs, le programme des 1000 premiers jours a développé ses propres actions. La question est de savoir comment demain on organise ces acteurs afin d’apporter un offre équitable qui garantisse un accès égal, universel et de qualité sur l’ensemble du territoire et pour tous les enfants.
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Cela pose la question de la gouvernance. Ce service public devrait-il être confié aux intercommunalités comme le préconise dans son rapport le conseil de la famille du HCFEA ?
Pour le moment il y a une gouvernance complexe. La confier à l’intercommunalité, oui pourquoi pas ? Mais par exemple toutes les CTG ne sont pas négociées à ce niveau.
En fait, il y a véritablement non seulement un problème de gouvernance  mais surtout un problème d’organisation qui n’est pas facile à résoudre. Si l’on considère  donc que ce SPPE a d’abord un rôle  de coordination-régulation , cela revient au guichet unique. Or dans ce domaine, force est de constater l’échec de monenfant.fr et l’incapacité des RPE à tenir ce rôle d’une part parce qu’ils ne sont pas implantés sur tout le territoire et d’autre part  parce qu'ils n’ont pas les moyens nécessaires.

Le gouvernement veut aller vite et inclure les dispositions  législatives notamment la gouvernance de ce SPPE,  dans le Projet de loi sur le plein emploi qui sera discuté en juillet. C’est jouable selon vous ?
A mon sens, il ne faut pas aller trop vite car il va falloir créer de nouveaux outils. Un outil de coordination au niveau local. Le Comité départemental des services aux familles ( CDSF) pourrait  être un bon outil  s’il y a plus de réunions, plus de moyens et plus de suivi.  Mais  le CDSF est piloté par le préfet  qui n’a aucune compétence petite enfance et animé par la Caf qui défend son positionnement  et  valorise la CTG.  Le CDSF aujourd’hui fonctionne comme un cabinet d’études avec des statistiques  etc., mais ce n’est pas un outil opérationnel. Il n’est pas assez ancré dans le vécu des territoires.
Mon sentiment aussi c’est qu’il y a beaucoup d’acteurs dont il faut coordonner les actions et les missions.  Aujourd’hui il y a beaucoup de flou et de gaspillage. Il faudrait un grand site commun ( monenfant.fr, celui des 1000 jours et ceux des autres acteurs comme les CDSF,  RPE etc.)  avec une stratégie globale.

La question du droit opposable a été tranchée. Il n’ y en aura pas. Qu’en pensez-vous ?
C’est plutôt une bonne décision. Je trouve que l’on berne les gens avec cette idée de droit opposable. Prenons le DAL ( ndlr : droit opposable au logement). C’est très long à mettre en œuvre et cela ne fonctionne pas. Les procédures durent entre 2 et 7 ans. Et les indemnités s’élèvent moyenne  à 200 €, en tout et pour tout. Ce n’est pas sérieux.
Il faut être honnête et travailler sur « on tend vers , on a pour objectif que chaque parent qui le désire puisse avoir la solution d’accueil qu’il souhaite ». Avec le droit opposable on risquerait de créer une usine à gaz et de générer beaucoup de déception.

Votre mot de la fin ?
Il y a aujourd’hui un consensus sur le fait qu’il ne faut pas penser les modes d’accueil exclusivement en termes de conciliation des temps de vie  mais aussi les penser en fonction des enfants et de leur développement. On peut reprocher aux textes actuels de ne pas toujours mettre l’intérêt de l’enfant au coeur du dispositif. La question centrale est : comment faire en sorte que les enfants soient au centre de ces enjeux ?

 
Article rédigé par : Propos recueillis par Catherine Lelièvre
Publié le 22 mai 2023
Mis à jour le 30 septembre 2024