Myriam Pierson-Berthier : « Mon moteur, ce sont les bébés victimes de violences sexuelles. C'est un moteur puissant »
Myriam Pierson-Berthier : Je ne pouvais pas me taire et il me semblait important de partager mes observations avec les professionnels de la petite enfance préoccupés par ces questions. Non seulement pour leur transmettre mes connaissances, mais aussi pour qu'ils se sentent moins seuls.
S'intéresser à ce sujet, c'est se confronter à des résistances très fortes ?
C'est vrai et je suis passée par des moments très difficiles. Quand j'évoquais le sujet avec mes confrères, j'avais beaucoup de mal à me faire entendre. « Oh mais toi, avec tes histoires sexuelles, tu ne vois que ça », me répondaient-ils. Je vivais l'isolement de celui qui voit et j'ai eu des périodes de découragement. Mais à chaque fois, je me disais que cette solitude devait ressembler à celle des bébés et des jeunes enfants victimes et ça me donnait la force de ne pas abandonner. Mon moteur, ce sont eux, et c'est un moteur puissant. In fine, ils ne demandent rien et ils sont vraiment tout seuls, quoi qu'il arrive. Ils ont besoin de nous.
Vous leur avez d'ailleurs consacré votre carrière ?
Dès 1985, j'ai travaillé comme pédopsychiatre au Centre d'action médico-social de Nancy qui s'occupe des enfants de 0-6 ans. Les Centres d'action médico-social précoce (CAMSP) ont la particularité d'être pluridisciplinaires. J'étais le médecin coordinateur de quatorze professionnels aux spécialités différentes et nous travaillions avec la PMI, l'ASE, mais aussi le service de néonatologie de la maternité de l'hôpital. Les enfants venaient pour des troubles du développement moteur, psychique, social et du comportement. Au bout de dix ans, j'ai également fait le nécessaire pour devenir experte judiciaire à la cour d'appel de Nancy.
Médical, médico-social, hospitalier, judiciaire… Votre champ d'intervention est pluridisciplinaire.
Oui et je le suis moi-même. Une des grandes leçons que m'a démontrée ma carrière, c'est qu'on ne peut pas dissocier le corps du psychisme ; l'enfant de sa famille ; l'enfant et sa famille de la société dans laquelle ils vivent ; ainsi que l'enfant, sa famille, la société dans laquelle ils vivent de la culture et de leur héritage culturel. J'ai confirmé mon intuition qu'un bébé seul, ça n'existe pas. Aujourd'hui, on découvre qu'un bébé peut avoir dans son héritage familial des traumatismes acquis dont il est l'héritier.
Le titre de votre livre affirme que les bébés parlent. Quel est ce langage ?
Je me suis formée dès le début de mon parcours professionnel au champ psychosomatique qui fait le lien entre le corps et le psychisme ainsi que le lien entre le bébé et les interactions qu'il entretient avec l'extérieur (la psychopathologie des interactions et son retentissement sur son corps). Un bébé parle avec son corps, ses émotions, ses symptômes… Comme le disait si joliment Françoise Dolto, « chez le bébé, tout est langage ».
Et ce langage est « retranscrit » dans le carnet de santé…
C'est ce que j'ai découvert en croisant les cliniques des tout-petits que je rencontrais au CAMSP et ceux que je rencontrais en expertise judiciaire. Le carnet est un outil autobiographique incroyable, précieux et significatif, qu'il soit ou non rempli. Son étude révèle l'évolution harmonieuse ou, au contraire, les accidents du développement du tout-petit. Au fur et à mesure que mon regard s'aiguisait en tant qu'experte judiciaire pour déterminer les violences ayant subi l'enfant victime, j'observais des similitudes cliniques avec les tout-petits qui venaient au CAMSP. Concrètement, je repérais des signes qui me poussaient à explorer l'hypothèse d'une maltraitance ou d'une agression sexuelle.
Le repérage de ces signes corporels ne faisait pas partie de votre formation initiale ?
Malheureusement non et c'est progressivement que j'ai pris conscience de l'absence de formation des professionnels dont celle des médecins - et notamment de la mienne - dans le champ des maltraitances aux enfants et particulièrement des violences sexuelles. Durant mes quatre années de formation de pédopsychiatrie, je n'en ai jamais entendu parler. À l’époque, ma formation était encore imprégnée par la psychanalyse qui parlait des fantasmes des enfants, ce qui évitait d'évoquer le sujet des violences sexuelles. Combien d'enfants ai-je moi-même non évalués de possibles maltraitances ou pour lesquels je n'ai pas fait de signalement, ignorant complètement mes responsabilités dans ce domaine ? Chez les professionnels aussi, reconnaître qu'un enfant puisse subir des violences sexuelles est encore dur à admettre. Avec un bébé, c'est pire car insupportable.
Pourtant, leur rôle est fondamental !
C'est vrai qu'ils sont les mieux placés pour repérer les signes de maltraitances. Ce point de départ est essentiel. S'ils ne voient rien, il ne se passera rien. Mais valider l'hypothèse d'agressions sexuelles sur un bébé demeure une lourde responsabilité, même pour des professionnels de la petite enfance. Heureusement, certains la prennent. Malheureusement, cela ne veut pas dire que le bébé sera mis à l'abri. On ne compte plus le nombre de classements sans suite et de procédures invalidées alors que les situations sont réelles…
C'est ce que vous avez observé en tant qu'experte judiciaire…
À chaque niveau de la chaîne de repérage, des personnes peuvent bloquer car elles ne veulent pas voir. Les plus difficiles à convaincre restent les médecins (conseil de l'Ordre) et les magistrats. Le vieux postulat de notre société patriarcale qui consiste à ne pas toucher à la famille est encore très puissant. D'où l'importance d'étayer les suspicions des professionnels ou les révélations des tout-petits, de signes cliniques, d'observations fines, d'éléments objectifs comme l'étude du carnet de santé… Plus les arguments seront irréfutables, plus il sera impossible de nier la réalité.
Des arguments irréfutables, c'est le contenu de votre livre ?
Il met en évidence une clinique et des symptômes à travers de nombreux exemples. Ces données fondamentales doivent permettre le diagnostic et la prise en charge précoce des tout-petits victimes d'agressions sexuelles. Même si je crains que mon livre entraîne des réactions violentes par ceux qui ne veulent toujours pas voir, j'espère qu'il suscitera assez d'adhésion et de convictions pour faire bouger les choses dans l'intérêt des bébés.
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