Patrice Huerre : « Le jeu est un ingrédient très riche dans le développement cognitif, psychologique et affectif de l'enfant »
Patrice Huerre : Le jeu est important tout au long de la vie : petite enfance, enfance, adolescence, adulte, vieillard. Depuis les jeux de la Rome antique jusqu'à aujourd'hui, le jeu a d'ailleurs toujours eu une place prépondérante dans la vie collective. Jouer, dans le sens « avoir du jeu », est une compétence psychologique qui permet de ne pas tout prendre au pied de la lettre et de vivre moins mal. Ceux qui n'ont pas de jeu se braquent, se ferment et se retrouvent en difficulté. Mais quand cette capacité de jeu a pu se constituer, elle devient une dimension essentielle de l'humain. D'où l'importance de développer cette aptitude dès la première année de vie tout en sachant que si cette capacité n'est pas constituée à ce moment-là, cela ne veut pas dire que c'est irréparable, heureusement.
À quel moment un bébé commence-t-il à jouer et comment joue-t-il ?
S'il ne rencontre pas de problèmes d'attachement, le bébé joue dès la première année de vie au sens où il explore l'environnement extérieur avec son corps. Jusqu'à six mois, le bébé dépend de son entourage pour survivre et ça se joue essentiellement à deux : l'enfant et l'adulte qui satisfait ses besoins en temps réel. Le bébé découvre alors sa bouche, le plaisir de sucer ses doigts, d’attraper ses pieds… et commence à jouer en reproduisant ces gestes qui le réconfortent. Il découvre aussi sa voix et joue avec les sons qu'elle émet. À partir de six mois, intervient l'objet transitionnel, le doudou, que le bébé peut manipuler. Ça se joue à trois désormais : l'enfant, l'adulte et le jouet. Grâce à cet objet investi par le parent et le bébé, ce dernier peut différer ses besoins et attendre en jouant avec lui. Vers 8 mois, le tout-petit découvre la relation entre l'image que lui renvoie le miroir et sa propre personne, et joue avec cette découverte. Jouer pour le bébé est à chaque fois source de plaisir. Durant cette première année, les conditions nécessaires et universelles qui vont permettre à l'enfant de trouver satisfaction par le biais du jeu se mettent en place.
Après cette première année, quelles sont les grandes étapes du jeu ?
À partir d'un an, le bébé gagne en autonomie. Il se déplace, marche, ses gestes sont plus précis. Ses découvertes varient et s'enrichissent au fil des mois. Sa palette de jeux s'élargit. Cela passe par l'exploration de ses capacités motrices et du corps de l'autre qui est une manière de découvrir le monde par les réactions qu'elle induit. Le tout-petit est aussi capable de jouer sans jouet faisant appel à des images, une sorte de cinéma intérieur qui lui permet d'atteindre la satisfaction espérée. Cette étape permet l'émergence du langage verbal. Avec les premiers mots qu'il possède, de nouvelles possibilités s'offrent à lui dans la relation aux autres. Il commence à exprimer son point de vue et ses besoins. Il peut aussi rendre compte de son monde intérieur.
C'est vers deux ans que l'enfant commence à jouer avec ses peurs ?
Oui parce qu'à partir de deux ans, son monde intérieur devient de plus en plus sophistiqué et des pensées nouvelles apparaissent. Les peurs en font partie. Là encore, le recours au jeu va être un moyen pour le tout-petit de les détourner et de les apprivoiser notamment avec les jeux de cache-cache. Entre deux et trois ans, les expériences relationnelles se diversifient au fur et à mesure de l’acquisition de nouvelles compétences psychomotrices et langagières. Le jeu va être le moyen de partager avec ses parents, ses frères et sœurs ou les autres enfants de la crèche ou de l'assistante maternelle des sensations, des émotions. Se cacher ne se limite plus à se dissimuler derrière le doudou. Le tout-petit investit désormais l'espace. Ces nouvelles explorations lui permettent de tester ses capacités, de faire ses propres expériences et de progresser par essai et par erreur avec les autres mais aussi seul. Avec ses jouets, le tout-petit invente des histoires, construit des univers, rejoue la peur éprouvée… La prime, c'est le plaisir d'avoir découvert ou réussi quelque chose de nouveau grâce au jeu qui est un ingrédient très riche dans le développement cognitif, psychologique et affectif de l'enfant. Et un moteur extraordinaire pour apprendre. C'est aberrant d'arrêter de jouer pour être sérieux parce que jouer, c'est très sérieux !
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