Portage et « mise au tapis » : un travail d’acrobate ! Par Monique Busquet
Psychomotricienne
Pourtant ce portage, indispensable, n’est pas suffisant à la construction de son équilibre et développement. La façon dont nous lui proposons le « tapis », le « jeu seul » (au sens de Winnicott, c’est-à-dire en « présence de l’adulte ») est également importante. Et au-delà de nos façons de faire, nos pensées, intentions et émotions ont aussi un impact. L’enfant perçoit ce que nous ressentons et pensons autant quand nous le portons que quand nous le posons.
Qu’est ce que je pense quand je porte un enfant ? Est-ce que je pense qu’il en a besoin ? Est-ce que j’ai envie qu’il se sente bien ? Est-ce que je le porte parce que c’est inscrit dans le projet de mon établissement ? Est-ce que je pense qu’un bébé ne peut être bien que dans les bras ?
Et qu’est-ce que je pense quand je le pose au sol, après ce moment de portage et câlin ? Est-ce que je perçois qu’il a été suffisamment porté et rassuré ? Est-ce que je ne peux pas faire autrement ? Est-ce que je suis fatiguée de le porter ? Est-ce que je pense qu’il exagère de « réclamer les bras » pour rien ? Est-ce que je pense qu’il faut quand même qu’il s’habitue à être au sol ?
Est-ce que je lui fais confiance dans sa capacité à jouer seul ? Est-ce que je pense qu’il est possible qu’il y trouve du plaisir ? Est-ce que je pense que c’est une chance pour lui de pouvoir expérimenter aussi ses capacités, ses propres ressources en dehors de mes bras ?
Le travail de professionnel de la petite enfance est un art complexe, subtil et délicat : permettre à l’enfant de « charger ses batteries » et de s’éloigner pour explorer. Se savoir essentiel pour l’enfant accueilli, mais tout en lui faisant confiance pour trouver ses propres ressources. Souvent, nous le comprenons sur un plan mental. Mais diverses émotions viennent se mêler, et parfois s’emmêler. Plaisir ou non à porter les enfants ? Plaisir ou déplaisir avec cet enfant en particulier ? Fatigue ou énervement ?
Et de façon plus générale, quels messages « implicites » je lui transmets ? Qu’est-ce que je pense de cet environnement qui est proposé à l’enfant, du simple tapis de jeu au « monde » qui l’entoure… ? Est-ce que je le plains : « oh le pauvre ! la vie, c’est dur ». Est-ce que je vais plutôt être exigeante avec lui : « il faut bien qu’il s’habitue ! » Ou est-ce que je le soutiens et l’accompagne dans ses explorations et découvertes dans la joie et le plaisir : « oh, c’est chouette ! »
Il n’y a pas de recettes, de modes d’emploi, de consignes à suivre : « il faut, vous devez, faites comme ceci… ». Il peut y avoir des savoir-faire, des indications pratiques comme rester à côté du bébé au tapis, « le temps qu’il lui faut, et suffisamment pour qu’il n’associe pas mise au tapis à être « laissé seul », lui proposer un hochet avant de le poser au sol, hochet qui fera continuité. Mais personne ne peut dire quel serait le bon seuil, la bonne durée, comme parfois cela m’est demandé.
La bien-traitance dans la relation à l’enfant se nourrit de savoirs, savoir- faire, savoir être, d’émotions, sensibilité et pensée, d’observation et décodage, d’engagement et prise de recul, pour des réponses ajustées à chaque enfant. Chaque professionnel tisse des modes d’être et de faire avec chaque enfant, dans une rencontre et des échange uniques : participer à construire des racines et permettre aux ailes de chaque enfant de se développer !
Chapeau à vous quand vous tricotez ainsi une juste proximité, un équilibre fait de déséquilibres. Chapeau à vous dans ce difficile travail de se savoir responsable, de faire de son mieux, sans culpabiliser de ne pouvoir faire plus. Chapeau à vous qui tâtonnez chaque jour et trouvez ces ajustements avec votre cœur, votre corps, votre tête …
Bonne reprise à vous tous ! Bon courage pour ce travail si délicat !
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