« Petit Opéra Bouche » : un spectacle qui initie les tout-petits à l’art du vivant
C’est ainsi que l’année dernière « BambinO », un opéra spécialement conçu pour les tout-petits, a été proposé à plusieurs crèches de la ville. Cette année, trois spectacles ont tourné dans les structures d’accueil : « Archipel », de la compagnie Acta, « La Boîte à murmures » du Théâtre de l’Autre côté, et « Petit Opéra Bouche » de Voix Libres. « Ce sont des spectacles assez novateurs sur le langage, les notes, les musiques… explique-t-elle. S’ils peuvent surprendre les adultes, les enfants y sont plus ouverts car ils se projettent beaucoup dans l’imaginaire ».
Ce jeudi-là, les enfants de la crèche collective municipale des Francs-Bourgeois à Paris découvraient donc « Petit Opéra Bouche », solo vocal de 25 minutes interprété par Charlène Martin, musicienne issue du jazz contemporain et de la musique improvisée.
L’histoire de la vie au fil des sons et des gestes
Quand les enfants viennent s’asseoir, ils découvrent dans un silence interrogateur une femme mystérieuse… Vêtue d’une très longue robe rouge en velours, qui rappelle (dans l’esprit des adultes) les rideaux d’une scène de théâtre, des figurines d’oiseaux perchées sur ses épaules, elle tient dans sa main un livre. La « Dame Bouch’Opéra », comme elle se nomme, commence alors à raconter une histoire avec le classique « Il était une fois ». Mais nous embarque alors dans un étrange voyage où les phrases se muent en associations de mots, les mots en sons, les sons en mouvements, entre parlé et chanté… Si tout semble au départ dénué de sens, on distingue des éléments de langage, on reconnait ces sons et ces mouvements, pour voir petit à petit se profiler une histoire.
Cette histoire c’est celle de la vie. La première partie représente la vie in utero, quand le foetus vit au rythme des formes, des mouvements et des bruits du corps de sa mère. Le deuxième temps est celui de la naissance, quand le bébé s’ouvre au monde et aux personnes qui l’entourent. Enfin, vient la période où l’enfant grandit et découvre son corps, le monde de la nuit et du rêve.
Si l’artiste choisit de raconter l’histoire en déformant le langage, c’est justement pour mieux toucher les enfants… « Cela fait écho à cette langue accidentée, où les mots sont déstructurés, mélangés, qu'on entend quand ils font l’acquisition du langage » détaille Charlène Martin.
Les petits, même s’ils se retournent parfois pour regarder ce que font les uns et les autres, restent attentifs. Quand le mot de la fin est donné, la majorité d’entre eux applaudissent. Spontanément et avec ferveur ! L’artiste les invite alors à s’approcher pour regarder de plus près la robe, les oiseaux, le livre … les marqueurs visuels qui les ont aidés à rentrer dans l’histoire.
Un public très réceptif
La représentation à peine terminée, l’effet sur les enfants et l’équipe se fait déjà ressentir dans la crèche. « C’était très surprenant comme spectacle, déclare Michelle, EJE. Pour nous, adultes, il y a des choses ne voulaient rien dire. Mais on comprenait la trame principale. Du côté des enfants, ils étaient très captivés ! Certains d’entre eux en avaient encore plein les yeux après, on en a entendu chanter… »
La crèche des Francs-Bourgeois était déjà familière des représentations artistiques. Elle accueille régulièrement le réseau Marionnettes, un regroupement de professionnels qui tourne dans les quatre premiers arrondissements de Paris, pour des séances de contes, de kamishibaï... Le quartier lui-même se prête bien à l’éveil artistique, souligne Erika Lenoir, la directrice. « Le Marais comporte beaucoup de théâtres pour enfants, et nous avons pas mal de parents issus de mieux artistiques. Quelques-uns viennent même jouer de la musique. » Les journées pédagogiques de la crèche sont aussi parfois l’occasion d’exercices pédagogiques tels que l’élaboration d’une histoire : comment trouver des personnages, des lieux… « Il ne s’agit pas de réussir quelque chose car avec les enfants, les résultats sont imprévisibles, rappelle Charles Gambelli, EJE directeur adjoint. Il faut simplement partir de leur imagination. »
Pour autant, faire venir un spectacle en crèche ne s’improvise pas. « D’habitude, les enfants vont voir un spectacle ailleurs. Là, on vient proposer d’inhabituel dans leur lieu habituel, souligne Charlène Martin. C’est une alchimie complexe. » Il est important pour elle d’informer les adultes avant la représentation, qu’ils puissent eux-mêmes préparer les enfants à y assister. Faire des rituels de silence ou des exercices de respiration avant de rentrer dans la salle, par exemple. « Ça peut faire une grande différence pour le spectacle, avoue-t-elle. Cet après-midi, c’était magique ! »
Quand elle s’est mise au spectacle très jeune public il y a quelques années, Charlène Martin a toute de suite été séduite par cette nouvelle aventure. « En découvrant le réseau petite enfance, j’ai vu des choses très originales, très belles, mais aussi très exigeantes, raconte-t-elle. En tout cas c’est très intéressant car c’est un monde esthétiquement plus ouvert où l’on se permet de prendre beaucoup plus de risques. Et j’aime ce public de jeunes enfants car ils ne sont pas encore dans l’analyse, ils sont réceptifs à l’improvisation, au temps, à la poésie, aux sons… Ce sont des absorbeurs d’informations ! »
Impulser la créativité des parents
La proposition artistique ne s’arrêtait pas là. Un ateliers enfants-parents à la crèche était organisé après le spectacle. Une dizaine de parents - des mamans comme des papas - se sont ainsi prêtés au jeu auprès de leurs enfants.
Une fois regroupés en cercle, Charlène Martin leur propose une série de petits exercices. Respirer lentement en reproduisant les sons du spectacle : les vagues, le vent, les animaux, les voitures… Puis, debout, il s’agit de manipuler le ballon sonore : lever un ballon invisible avec ses bras en produisant le son A, O, I, U avec un ton ascendant, puis l’abaisser en produisant les sons sur un ton descendant. Les participants se rassoient pour un jeu où chacun est invité à donner un son : « poum », « tchac » … que tout le monde reprend en chœur. Mis bout à bout, ils créent ainsi une phrase de sons. L’atelier se termine par un petit temps de réflexion : dans chaque binôme, le parent et l’enfant se concertent pour associer un membre du corps à quelque chose : cheveu-lion, bouche-chocolat, yeux-orange, oreilles-lapin … constituant tout un poème sonore.
La séance semble avoir beaucoup plu aux parents. « C’est génial, car c’est important pour les enfants et ça donne des idées de jeux pour la maison, dit la Maman de Lou. Moi-même je suis comédienne, alors j’achète tout de suite ! » « Ces ateliers sont des moments particuliers à vivre avec les parents, ou avec les assistantes maternelles, considère Charlène Martin. Au début souvent ils me regardent un peu comme une folle … mais finalement ils se laissent aussi embarquer, avec le sourire et le rire ! » Elle explique avoir toujours œuvré pour l’éducation artistique, les projets de création, la sensibilisation et la formation des publics. « Je milite pour ça ! Sinon, cela risque d’être perdu… »
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