Le « bec » du verre. Par Jean-Robert Appell
Educateur de jeunes enfants, formateur à l'Association Pikler-Loczy
Ces verres sont en général proposés aux enfants parce qu’ils favorisent l’autonomie : l’enfant boit tout seul. Et c’est bien de faire tout seul ! Là est le malentendu.
L’autonomie est une valeur forte dans notre société : que ce soit dans la vie en général ou dans le travail, les individus doivent être autonomes, cela est parfois noté dans les évaluations des professionnels. Pour l’enfant, c’est se séparer de ses parents, grandir, et gare à celui qui « fait le bébé ». Et lorsque l’autonomie se fait tôt, c’est encore mieux, c’est un signe de performance. Les verres à bec suivent pleinement cette logique.Même si il faut prendre l’étymologie avec beaucoup de précaution, celle d’« autonomie » nous aide; du Grec autos (soi-même) et nomos (la loi), faire sa propre loi. Et comme nous sommes soucieux d’un minimum d’éthique, nous rajouterons : dans un cadre donné.
« Il faut être autonome », présenté comme une exigence pose problème puisque par définition, l’autonomie est une conquête de l’individu. Nous ne rendons pas l’enfant autonome, nous lui proposons un environnement affectif, matériel, organisationnel qui va lui permettre de prendre son autonomie, la conquérir. C’est un vrai plaisir lorsque la conquête se fait dans un processus de développement ou d’apprentissage, cela peut être une vraie souffrance lorsqu’elle est exigée par la société. De façon très paradoxale, nous pouvons maltraiter un individu sous prétexte d’autonomie, cette autonomie mal comprise peut se transformer en esseulement. Un enfant peut faire tout seul et se sentir très seul.
Il est courant de dire que l’on accompagne l’enfant vers l’autonomie, comme une sorte de Graal que l’on atteindra un jour. Trop compliqué ! Peut-être, pouvons-nous dire que nous accompagnons l’enfant dans son autonomie, dans l’accompagnement d’un processus dans lequel il sera un partenaire actif qui décidera du moment pour lui de faire seul.
Bon, j’ai un peu généralisé, le verre à bec ne nous emmène pas aussi loin.
Par exemple : il est possible de proposer à boire de l’eau au verre à un petit bébé dans les bras de l’adulte. Celui-ci tiens le verre par le fond afin de laisser la possibilité à l’enfant de le prendre avec ses mains, ce qu’il ne manquera pas de faire quand il le décidera. L’adulte va contrôler le débit et parer les mouvements parfois un peu brusques du bébé. Progressivement, avec le temps, l’enfant va contrôler les mouvements et les ajuster pour boire. Plus l’enfant « prend la main », plus l’adulte allège ses propres mouvements jusqu’à enlever sa main. Cela prendra le temps qu’il faudra mais l’enfant, à son rythme va devenir autonome pour boire seul. Lorsque cet enfant passera à table, il n’aura pas besoin de verre à bec, il maitrisera son verre de façon autonome, il sera pleinement autonome pour boire au verre. Accompagné par l’adulte, il aura été « décideur » de sa prise d’autonomie. Il aura sans doute beaucoup de plaisir à faire seul dans ces conditions. Le plaisir est un véritable moteur du développement et de cette conquête de l’autonomie. Souvent, l’enfant réclame de faire seul.
Etre autonome, ce n’est pas être seul, c’est être accompagné dans ce processus ou c’est avoir été accompagné pour le devenir.
L’enfant qui boit seul avec un verre à bec n’est pas si autonome que ça, la preuve, si vous lui donnez un verre normal, il y a de fortes chances qu’il soit surpris par la quantité d’eau qui lui arrive sur le visage. Et vous, les adultes lisant, vous buvez avec des verres à bec ?
Tout à fait d’accord ! Mes enfants ont eu tout petits des minis verres Duralex qui leur ont permis de boire très tôt au verre normal, à la bouteille.., !