Enfance en couleurs, une crèche multiculturelle
Enfance en couleurs, c’est le projet imaginé et concrétisé par Yana Salivon, une jeune femme d’origine russe arrivée en France en 2000, un diplôme d’éducatrice de jeunes enfants (EJE) en poche, malheureusement non reconnu en France. Elle commence par travailler dans une halte-garderie comme assistante éducative, mais encouragée par sa directrice, elle prépare en alternance son diplôme français d’EJE, qu’elle obtient. Au sein de cette structure, Yana prend confiance en elle et découvre ce qu’implique l’accueil de familles de milieux très différents.
En 2009 sa vie prend un autre tournant : elle arrête de travailler pour des raisons de santé et se lance avec son mari - d’origine libanaise - dans la réalisation d’un projet qu’elle avait en tête depuis longtemps : ouvrir une petite structure d’une vingtaine de berceaux qui accueillerait tout type de familles. Avec l’aide de la Ville de Paris, la Région Ile-de-France et la Caf, ils créent l’Association pour la diversité culturelle et sociale Enfance en couleurs et font appel à l’architecte Didier Heintz, puis à une de ses élèves Clara Simay, pour concevoir la crèche qui ouvre ses portes en novembre 2011. « « Tout est possible » m’avait dit mon ancienne directrice. Et c’est vrai, même si on est déraciné de son foyer d’origine, il y a toujours des personnes qui nous permettent d’avancer », assure Yana Salivon.
Une structure qui fait la part belle aux langues
L’équipe encadrante est d’emblée diversifiée : elle russe, des assistantes éducatives serbe et sénégalaise, une cuisinière russe, une EJE martiniquaise. Tout comme le public accueilli qui compte des familles françaises comme des familles d’origine russe, anglaise, américaine, italienne, allemande, espagnole… « Mais ce n’était pas voulu, il n’y a pas de critères pour travailler ou être accueilli ici, précise Yana Salivon. La diversité que nous prônons n’est pas liée qu’à la nationalité, mais à toutes nos différences qui font ce que nous sommes. » En tout cas, elle prévient toujours les parents que leurs enfants vont entendre d’autres sonorités. En effet la directrice n’hésite pas à parler russe avec certaines de ses collègues et les professionnelles ont l’habitude de lire des livres et chanter des comptines aux enfants dans d’autres langues que leur langue maternelle. La différence n’est pas un frein à leur compréhension puisqu’ils regardent en même temps les images. « Cela fait même travailler un peu plus leur imaginaire », souligne-t-elle.
Pour Yana Salivon, le partage des cultures se fait aussi autour des repas. Cette semaine était d’ailleurs dédiée à l’alimentation avec des ateliers « cuisines du monde ». Chaque famille avait apporté la recette d’une spécialité de son pays ou de sa région d’origine, ou encore de sa famille. La cuisinière réalisait les plats salés et les enfants encadrés par les professionnelles, les plats sucrés. « Tout est différent, explique-t-elle : les ingrédients utilisés, la manière de cuisiner, mais aussi la façon de manger. Par exemple, le plat typique libanais se mange avec du pain, sans couverts. Dans la tradition vietnamienne on mange assis sur le sol, pas sur une chaise. A la maison, tous les enfants n’ont pas les mêmes habitudes et nous sommes attentives à ces subtilités. »
S’ouvrir à différentes pédagogies
A enfance en Couleurs, les professionnelles s’inspirent des pédagogies Pikler Loczy, Montessori. L’autonomie de l’enfant est favorisée et la communication non-violente la règle. Quand Yana a découvert ce principe pédagogique, elle a réalisé qu’il ne fallait pas recevoir la critique comme une agression, mais comme l’expression d’un besoin. « C’est utile avec les enfants, mais aussi avec les parents car certaines familles sont fragilisées et peuvent en conséquence avoir des réactions un peu vives. Si on n’a pas cette souplesse c’est compliqué. » Pour la directrice, un accueil bienveillant ne signifie pas éviter les conflits, mais comprendre l’origine des difficultés.
Mais l’équipe apprend aussi des familles et a par exemple découvert les fondements de l’éducation bienveillante grâce à une mère qui la pratiquait avec son enfant. Au départ intriguées, les professionnelles de la crèche avaient l’impression d’un manque d’autorité et de limites. Pour en expliquer le concept, cette maman leur a fait découvrir le livre « Pour une enfance heureuse » de Catherine Guéguen. Ce fut le déclic. La manière dont la mère élevait son enfant est devenue très claire pour Yana Salivon et son regard sur les enfants comme les parents a changé. « C’est aussi ça la diversité : observer les pédagogies employées par chacun. Pour accueillir et comprendre l’autre, il faut aussi se connaître soi-même. » Et comme elle le rappelle, les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Mais pour les orienter dans le choix des livres pour et sur les enfants, une bibliothèque est à leur disposition au sein de la crèche - on y trouve notamment les ouvrages d’Isabelle Filliozat.
Un accompagnement quotidien des familles
Par ailleurs, la crèche encourage l'allaitement maternel et les mamans sont invités à allaiter leur bébé sur place. Yana se donne comme rôle d’offrir un cadre sécurisant pour les familles, notamment quand la barrière des langues peut poser problème. Et souvent les parents ont choisi spécifiquement cette crèche pour son ouverture culturelle. « Ils souhaitent que leurs enfants grandissent dans un environnement mélangé et cela montre qu’ils pensent déjà à ce qui constitue une vraie richesse pour leur avenir. » L’association organise régulièrement des temps de rencontre : un apéritif de bienvenue à la fin de la période d’adaptation, un café des parents une fois par mois, et même chaque année, un séjour linguistique et éducatif de quelques jours avec des familles membres actifs de l'association. Des occasions qui favorisent les échanges et la création de liens entre les familles et les professionnels et les familles entre elles. « Beaucoup d’amitiés naissent ici » se réjouit Yana Salivon.
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