Bébés archéologues : quand la petite enfance rencontre l’archéologie
Dans le cadre de « Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture », le multi-accueil collectif Camille Pelletan et le service Archéologie de la ville de Martigues avaient collaboré au projet « Ulysse, escale sur la Petite Mer ; un itinéraire d’art contemporain en pays de Martigues », en partenariat avec le Fonds régional d’art contemporain Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Lors de cet événement, l’exposition « Fragments de la coexistence des mondes » de l’artiste Jean-Jacques Rullier, sur le site archéologique de Saint-Blaise, avait accueilli plus de 300 visiteurs pour la fête de fin d’année des quatre structures de la petite enfance du quartier de Jonquières à Martigues. Les tout-petits et leur famille avaient pu découvrir des œuvres d’art contemporain au milieu des vestiges archéologiques, l’occasion de s’initier à deux univers nouveaux, a priori rarement abordés par le monde de la petite enfance. En réalité, culture et petite enfance ne sont pas si étrangers l’un de l’autre puisqu’un projet sur l’art abstrait avait déjà été réalisé en 2012.
De l’archéologie pour les tout-petits
La volonté de la crèche de s’ouvrir à une autre discipline que l’art et celle du service Archéologie de toucher un autre public plus singulier ont encouragé ce rapprochement. Jusqu’alors, ce dernier ne s’adressait qu’aux enfants âgés d’au minimum 8-9 ans (soit à partir du CM1), ayant acquis des repères spatio-temporels leur permettant de se situer dans les différentes périodes historiques et zones géographiques. Néanmoins, il fallait procéder autrement pour sensibiliser un public plus jeune encore, en s’emparant notamment des divers outils de la petite enfance proposés par la crèche. La conceptualisation devait laisser place à l’expérimentation et aux sensations pour une autre compréhension.
Ainsi, tout au long de l’année 2017-2018, un nouveau projet concernant exclusivement l’archéologie a été mis en œuvre pour des enfants de 4 mois à 4 ans du MAC C. Pelletan. Il constituait la suite spécifique d’une démarche globale de démocratisation culturelle grâce à laquelle enfants, parents et professionnels ont été sensibilisés à une discipline scientifique qui étudie l’Homme de ses origines à nos jours.
La terre, la fouille et la gastronomie antique
Cette coopération s’est articulée autour de trois thèmes facilement abordables pour les très jeunes enfants : la terre, la fouille et la gastronomie antique ; des thèmes qui se sont déclinés toute l’année entre ateliers pédagogiques et visites de sites archéologiques. La volonté de valoriser le travail des plus petits aux plus grands s’est ensuite concrétisée par une rencontre avec les parents en fin d’année durant les Journées Nationales de l’Archéologie dédiées aux enfants, le vendredi 15 juin 2018.
L’enfant libre explorateur
Selon la devise du MAC Camille Pelletan, « le jeu c’est sérieux », la libre exploration chère à la petite enfance a été le principe de base pour faire de tous les bébés de grands explorateurs. Mais ne pouvant appréhender, avec ce très jeune public, les notions scientifiques propres à l’archéologie, il a fallu travailler de manière plus ludique et sensorielle. La terre, un des plus anciens artisanats de l’Humanité est devenu un jeu de découverte de l’argile, sa texture, sa couleur, sa plasticité. La fouille, moyen de compréhension du passé pour l’archéologue, est abordée par les postures et la gestuelle du fouilleur mais aussi comme une chasse au trésor. La cuisine antique, héritage de nos ancêtres méditerranéens encore présent dans notre quotidien, est un terrain d’aventures à défricher pour nos petits gourmands. Les thèmes de l’archéologie se sont ainsi avérés propices aux apprentissages fondamentaux de la petite enfance.
La règle étant la liberté de choix, d'action et de participation, l’enfant chercheur a expérimenté par lui-même ces thématiques en acceptant de manipuler, de chercher sans toujours trouver ou bien encore de tester et de développer ses goûts. C’est pourquoi chacun de ces trois axes a fait l’objet d’une série de déclinaisons en tous genres favorisant son expérimentation : le malaxage de la pâte à sel, par exemple, plus souple que la terre, avec ou sans outils, avec plus ou moins d’eau… Les professionnels n’étant que des accompagnants, ils ont incité l’enfant à agir librement tout en préservant son rythme individuel de prospection. Par conséquent, le tout-petit a été accompagné en vue uniquement de faciliter ses gestes pour la fabrication d’une urne gauloise : d’abord fabriquer des boules qui ont été ensuite transformées en galettes pour le fond ou en boudins superposables pour le montage du vase.
De multiples apprentissages
L’enfant a pu assimiler en même temps que la technique du modelage décrite par les archéologues (le colombin, le placage…) la notion de chaîne opératoire, c’est-à-dire l’enchaînement de geste précis, pour aboutir à un résultat. La pédagogie étant l’art de la répétition, celle de la gestuelle permettait l’acquisition de réflexes. Aussi ces différentes étapes du modelage ont servi d’imprégnation par le corps de la technicité du montage d’une poterie, d’abord cylindrique puis évasée ; idem pour les créations à la barbotine ou les empreintes positives et négatives dans la glaise.
A défaut de la maîtrise du langage, la compréhension s’est faîte, encore et toujours, par le corps, en particulier pour les plus petits. La collecte en famille de matériaux naturels (coquillages, galets, bouts de bois) pour la décoration des urnes, démarche issue de l’archéologie expérimentale, a été l’occasion pour l’enfant d’appréhender globalement son environnement naturel ou quotidien. D’une certaine manière, la prospection par l’enfant de son environnement (ville, nature, territoire) s’est rapprochée de la démarche philosophique de Pierre Gassendi au XVIIe s., « ambulo ergo sum », « je marche donc je suis ».
Eveil des sens et stimulation de la motricité fine
De plus, la visite de la vitrine archéologique de l’Île de Martigues en libre accès grâce aux archéologues a favorisé la mobilisation par l’enfant de ses cinq sens : la vue avec la confrontation directe à une architecture gauloise très différente d’aujourd’hui (l’archéologie étant d’abord une science de l'observation) ; le toucher avec l’expérience de la chaleur d’une lampe à huile, la manipulation d’une meule en basalte et de la mouture de céréales qui en est produite mais surtout la possibilité de poser ses mains partout, sur les murs de terre séchée, sur le bois des portes, sur les pierres des fondations, sur les os d’animaux jetés dans la rue ; l’odorat avec les embruns marins ; le goût avec la dégustation, comme à l’époque des Gaulois, d’olives, de raisins et de miels ; l’ouïe avec le vent dans les mâts des bateaux et le cri des goélands, sans oublier les musiques et les contes mythologiques. Ces séances ont aussi suscité un atelier pédagogique sur le fragment et la reconstitution d’un tout : la recherche de morceaux d’objets cassés à assembler pour reconstituer un ensemble, comme un puzzle en 3D, est une démarche d’archéologue. Cet atelier a également été ergonomique puisque pour voir et toucher les objets qui jonchent le sol archéologique reconstitué de la vitrine, l’enfant doit être tantôt debout, tantôt accroupi, à genoux voire allongé. La visite des sites archéologiques de Saint-Pierre-les-Martigues , notamment en plein air, et de la vitrine archéologique de l’Île ont dans ce sens optimisé la mobilité et la motricité.
Conséquemment, la gestuelle de la fouille a été abordée au travers de différents objets, de plus en plus petits, cachés, qu’il s’agissait de mettre au jour au cours de différents ateliers : recherche tactile dans de petites boites aménagées et fermées, investigation dans divers matériaux (semoule, sable magique ou sable à modeler puis terre), à mains nues puis avec outils (brosse à dents, pinceaux, pelles, tamis, seau etc.). Ce sont tous ces petits gestes qui ont favorisé l’assimilation de la motricité fine pour la petite enfance.
La fête de fin d’année : en clôture du projet
Enfin, la fête de fin d’année organisée avec les parents sur le site archéologique de Saint-Pierre a été le point d’orgue de toute les actions menées pendant l’année, comme les ateliers autour des herbes et épices romaines (servant aux dessins, collages, petits-pains ou cocktails), reprenant ainsi les animations relatives aux cinq sens, en particulier avec la dégustation d’un buffet antique.
Les sites archéologiques comme la crèche demeurent donc des lieux de vie, d'apprentissage mais aussi de bien-être, d’épanouissement et de créativité, lieux de tous les possibles.
Les parents acteurs de leur territoire
Lors de la réunion de début d’année scolaire, un jeu participatif a été proposé aux parents afin de leur faire découvrir le thème de l’archéologie et son application hebdomadaire. En lien avec la déclinaison des 3 axes choisis, ils ont été incités à réfléchir sur les capacités d’épanouissement de leur enfant et d’exploration de tous leurs potentiels. L’accompagnement à la parentalité s’est ensuite fait par la collaboration, via la communication multi-supports : réunions, échanges individuels, newsletters, nombreuses rencontres festives et repas conviviaux (saturnales ou solstice d’hiver, ateliers créatifs autour de la poterie, visites des sites de l’Île et de Saint-Pierre, Journées Nationales de l’Archéologie ou fête de fin d’année…). Les parents se sont alors investis d’un vrai rôle d’acteur dans la crèche en coconstruisant et en participant aux actions pédagogiques et culturelles.
Les échanges parents/pro et entre parents favorisés
A l’occasion de ces temps forts, les parents ont pris le temps de dialoguer avec les professionnels et de constater les progrès des petits : ouverture vers les autres (enfants et adultes), confiance en soi, autonomisation… Ils ont également pris conscience des potentiels de leurs enfants à valoriser hors de la crèche. Ces moments ont encore permis aux parents d’échanger entre eux, la crèche devenant la place du village, entre humour et bavardages, notamment autour du choix des recettes qui ont composées le banquet antique : tapenade d’olive verte à la menthe, houmous de pois-chiches au gingembre, caviar d’aubergine au cumin, apothermum sucré au poivre (semoule au lait) et savillum au miel (cheesecake) etc. Ces plats issus des cuisines grecque, romaine et gauloise constituent l’héritage culinaire du bassin méditerranéen. Ils ont a fortiori permis une mixité sociale, réunissant des familles aux racines riches d’influences diverses.
Parallèlement à ses objectifs éducatifs, la crèche, grâce à l’archéologie, a également atteint son aspiration à faire découvrir aux adultes leur territoire et contribuer au travail de sensibilisation au patrimoine cher au service Archéologie de la ville dont l’objectif demeure la quête de nouveaux publics à initier.
Les professionnels, des équipiers tout-terrain
En plus du partenariat originel (crèche et service Archéologie), le projet s’est enrichi de la participation des mamies du foyer de l’Âge d’or, de la diététicienne des EAJE et de la cuisine centrale de la ville de Martigues. Ce travail d’équipe a instauré un vrai soutien, une réelle écoute, pour ne pas dire entente, créant plus de cohésion entre professionnels et avec les parents.
De même, la co-construction du thème établie en amont a rassuré et aidé à user les freins de la résistance et des préjugés. Le fait d’impliquer tous les agents dès la conception du projet afin qu'ils le portent, a favorisé une plus grande liberté en aval pour créer, une réelle spontanéité et d’innombrables initiatives lors des réalisations. Les professionnels ont pu apprécier l’approche et l'importance de la médiation en archéologie. Les ATSEM et les auxiliaires ont donc goûté au rôle de passeurs de connaissances en faveur des tout-petits. Ils se sont même étonnés de s’être impliqués dans les recherches sur le sujet.
Aussi, le thème de l’archéologie, original mais déstabilisant, créatif et fédérateur a révélé l’imagination et le dynamisme des professionnels. Ceux-ci ont même eu le sentiment de revenir aux fondamentaux, au cœur de métier. Ici, le thème de l’archéologie a été abordé par une pédagogie détournée à la fois pour l’enfant et le professionnel.
Rendre l’archéologie accessible aux tout-petits
De plus, du côté des archéologues, la médiation en archéologie s'est enrichie d’une transmission plus sensorielle, voire intuitive, qui a pu s’adjoindre d’un volet artistique.
A l’instar de l’adaptation des outils de médiation en faveur des publics non ou malvoyants ou en situation de handicap notamment cognitif, la priorité a été de recourir à des méthodes développant la compréhension par les sens. Contrairement aux collections des musées, les vestiges peuvent ici être touchés. Mais, il a fallu engager l’écoute (différente de celle d’un discours scientifique) et également le goût et l’odorat… Tout ceci a permis aux archéologues de rendre leur discipline accessible à tous les enfants, depuis les crèches jusqu’aux étudiants et de donner à « voir ce qui n’existe plus ».
Pour conclure, la mutualisation des savoir-faire de chacun, l’expérimentation et l’expérience de tous, ont favorisé le partage des connaissances professionnelles.
Ce projet des « bébés archéologues » a par conséquent offert une visibilité et une reconnaissance du travail des professionnels, a valorisé l’image de la collectivité par l’illustration d’un service public de qualité au service des citoyens et donc du lien social.
In fine, le MAC Camille Pelletan de Martigues, grâce au service Archéologie, a su exploiter les richesses patrimoniales de son territoire méditerranéen, pour ce faire il a été le porte-étendard du multiculturalisme au profit des professionnels, des enfants, des parents et des familles de toutes origines socio-culturelles.
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