La crèche Joliot Curie fait la chasse aux perturbateurs endocriniens
Un projet local de santé publique
Tout a commencé en 2016 quand la mairie de Limoges a souhaité se lancer dans un projet de santé publique - une thématique chère au maire Emile Roger Lombertie, ancien psychiatre en milieu hospitalier. Les élus signent la charte Limoges « ville santé citoyenne » et plusieurs actions se mettent alors en place, comme le remplacement des boulots (très allergisants) par d’autres arbres aux abords des écoles et des crèches ou encore un programme de limitation en sel, sucre et gras dans les cantines scolaires.
Les perturbateurs endocriniens qui font de plus en plus parler d’eux deviennent aussi une vraie préoccupation. Comme l’explique la municipalité sur son site, il s’agit de « substances chimiques qui interfèrent avec le système endocrinien (ensemble des organes et tissus qui sécrètent des hormones) et engendrent des dysfonctionnements au niveau de la croissance, du développement, du comportement ou encore des fonctions reproductrices ».
A cette époque, le multi-accueil Joliot Curie (comprenant une soixantaine de berceaux) venait d’être rénové et les professionnels se sont demandés si les locaux en contenaient beaucoup. Ils proposent donc d’entamer une démarche d’audit et de réflexion au sein de leur établissement. Soutenu par l’Agence Régionale de Santé, le projet prend donc racine au sein de la crèche pilote, avec déjà pour objectif de s’appliquer ensuite au plus grand nombre.
Première étape en janvier 2017 quand deux spécialistes viennent établir un diagnostic de la crèche : Anne Lafourcade et Olga Di Arte, ingénieures libérales en chimie et santé environnementales. L’idée est de constituer une cartographie de la structure avec les éléments concernés par l’exposition aux perturbateurs endocriniens pour cibler ce qui doit être retiré en priorité, puis remplacé. Suite à leurs observations et relevés, elles définissent 147 points d’amélioration.
Des ustensiles et des produits plus écologiques
Tout ce qui concerne la cuisine occupe une grande place dans le projet. Côté ustensiles, les poêles en téflon sont remplacées par des poêles en revêtement pierre, qui ne contiennent pas ou très peu de perturbateurs endocriniens. Et toute la vaisselle en plastique mélaminé utilisée pour les enfants a disparu : les assiettes sont maintenant en porcelaine, les verres et les biberons en verre, les couverts en inox. De même pour les bavoirs en plastique remplacés par des bavoirs en tissu.
Côté lavage, la quantité de produit utilisé pour le lave-vaisselle a été diminuée à son minimum grâce à un régulateur électronique qui en réduit le débit. Même si le produit utilisé contient toujours des composants chimiques, efficaces contre les micro-organismes. « C’est toujours la difficulté, souligne Charles Lamy : on doit composer entre l’envie de ne pas avoir de perturbateurs endocriniens et les mesures d’hygiène drastiques imposées aux EAJE. » Les professionnels de la crèche tâchent en tout cas d’utiliser des produits éco-certifiés et testent même l’action nettoyante et désinfectante d’un produit à base d’acide lactique (d’origine naturelle donc). Enfin côté aliments, la crèche s’approvisionne depuis cette année en yaourts, pommes et pommes de terre bio – qui comme tous les autres aliments sont transformés directement par le cuisinier.
Plus compliqué en revanche de remplacer les tapis en plastique par des tapis en tissu, bien moins hygiéniques. Mais la crèche a mis en place un protocole de désinfection avec un appareil qui nettoie les sols à la vapeur. « S’il est pratique à l’usage, on pourrait l’utiliser souvent et ainsi réduire l’utilisation de produits chimiques » estime le directeur. Et depuis le diagnostic, les professionnels s’emploient à aérer beaucoup plus souvent chaque pièce de la crèche - au moins 4 fois par jour. Ce qui permet de diminuer le risque d’inhaler les perturbateurs endocriniens contenus dans les meubles en formaldéhyde (appelé aussi méthanal ou formol). Et par la même occasion de lutter contre la pollution de l’air au dioxyde de carbone.
Une réflexion sur les jeux et activités proposés
Les professionnels se penchent également sur la manière de réduire l’exposition des enfants aux perturbateurs endocriniens contenus dans les jouets, une tâche loin d’être simple. « On s’est rendus compte explique Charles Lamy que la législation n’imposait pas aux fabriquants de détailler les composants des jouets, contrairement aux exigences pour les denrées alimentaires. » La crèche essaie maintenant de choisir des jouets en matière stable, comme le métal. Mais comme elle ne peut pas non plus se passer des jouets en plastique, elle privilégie ceux qui sont constitués de plastique recyclé éco-labellisé. Elle est aussi attentive aux colles et vernis utilisés sur les jouets en bois.
Concernant les activités, elle proscrit la peinture à paillettes qui contient énormément de perturbateurs endocriniens et cherche des alternatives. Elle teste donc actuellement des recettes de peinture faites maison, par exemple à base de produits alimentaires - des ateliers à la fois plus sains et amusants pour les enfants.
Des effets bénéfiques sur le long terme
« Nous n’avons pas de visibilité immédiate sur nos efforts, précise le directeur, la science ne permet pas encore d’en prouver les bénéfices à court terme. » Mais limiter l’exposition aux perturbateurs endocriniens dès le plus jeune âge permettrait de réduire plus tard le risque de malformations - dont les pédiatres ont constaté l’augmentation des cas ces dernières années. Comme Charles Lamy le rappelle, ce n’est pas tant la dose, mais la durée d’exposition à ces substances qui est dangereuse pour la santé. « Nous sommes vraiment dans une démarche de prévention ».
Prochaine étape : étendre, dans la mesure du possible, ces dispositions aux douze autres crèches municipales de la ville et plus tard aux écoles.
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