Plaidoyer pour les haltes garderies. Par Julie Marty-Pichon
EJE, professeure des écoles,autrice.*
Cette structure c’est 16 agréments en plein centre-ville où on peut venir à pied facilement, elle jouxte l’école maternelle et en face se trouve la plus ancienne crèche associative de la ville. Ces deux structures se sont d’ailleurs créées à quelques années d’intervalle à l’époque où en milieu rural, des professionnelles de la petite enfance avaient pu convaincre la mairie de leur mettre un local à disposition et d’attribuer une subvention pour le fonctionnement.
Elle a accueilli mes deux filles entre 2008 et 2014. L’équipe a toujours été très professionnelle. Les projets étaient nombreux et fédéraient les parents. Il y avait une vraie ambiance familiale où chacun pouvait partager ses difficultés sans jugement. On faisait ensemble sans aucune distinction. Une structure qui rompait l’isolement des familles et qui créait du lien social de qualité.
La question que tout le monde se pose c’est « comment en est-on arrivé là ? » et pourquoi le politique a laissé faire ?
Être élu local, ce n’est pas si simple qu’on le pense, j’ai moi-même fait des erreurs en tant qu’élue sur ce territoire. Et l’une de mes plus grandes erreurs concerne cette structure, j’étais marie-adjointe aux Solidarités et à la petite enfance, j’avais 28 ans. En 2010 la directrice-fondatrice de la halte-garderie part en retraite. Elle était fonctionnaire territoriale et mise à disposition par la mairie à l’association gestionnaire de la structure. Quand elle est partie s’est posée la question de la remplacer par une EJE fonctionnaire territoriale ou une EJE salariée directement de l’association. Il y avait une autre EJE dans l’équipe et ensuite que des professionnelles ayant le CAP petite enfance. Le taux d’encadrement était de 1 adulte pour 4.
On m’a alors chargée de voir comment on pouvait réduire le coût de cette structure en personnel. Le taux d’encadrement était « confortable », on pouvait réduire les heures du personnel mais par contre il fallait avoir des diplômées supplémentaires pour rester dans le cadre réglementaire. L’EJE de terrain est passée directrice, les salariées à temps partiel ayant le CAP petite enfance ont vu leur temps de travail augmenté, et un mi-temps d’auxiliaire de puériculture a été embauché par l’association. Dans le même temps une des professionnelles qui avait le CAP petite enfance décidait de faire sa VAE d’auxiliaire. On était bon réglementairement que ce soit au niveau du taux d’encadrement et des diplômées. Et comme demandé, j’avais réduit la charge financière qui devait ensuite être transférée à la communauté de communes.
J’ai l’occasion aujourd’hui de dire combien j’ai eu tort de ne pas avoir soutenu le remplacement poste pour poste du départ en retraite de la directrice. D’abord cela a généré un profond sentiment de tristesse et sûrement de « dégoût » pour cette directrice qui voyait se déliter le projet qu’elle avait créé et puis ça a mis à mal cette équipe qui devait s’adapter à ces changements. J’étais jeune élue, je pensais bien faire avec les directives qui m’avaient été données. Je m’en excuse.
Une mauvaise gestion associative ?,La première chose qu’on m’a répondu quand j’ai voulu en savoir davantage, c’est qu’il y avait une mauvaise gestion et que l’association n’arrivait plus à maintenir le service. Sur ce point, je ne me prononcerai pas, tant qu’on n’est pas à l’intérieur d’une structure et qu’on n’a pas tous les tenants et les aboutissants, on ne peut pas juger. Cependant quand on s’aperçoit qu’il y a une mauvaise gestion, peut-être un problème de management de l’équipe, des baisses de fréquentation des enfants et des familles et qu’on pense politiquement que cette structure a sa place dans le paysage local de la petite enfance, n’est-on pas censé tout mettre en œuvre pour la sauver ?
Pour le coup, j’ai travaillé dans un mouvement d’éducation populaire qui a accompagné plusieurs crèches associatives qui avaient de sérieux problèmes de gestion. J’ai accompagné ces structures parce que les élus avaient décidé qu’ils ne les fermeraient pas.
La première dans le Tarn, une halte-garderie devenue multi-accueil au sein d’un centre social géré par la CAF. La CAF décide de ne plus gérer conformément aux directives de la CNAF des années 2011 et de demander à la collectivité de reprendre la gestion. La Mairie reprend le multi-accueil tout en sachant que la structure n’allait pas bien et fait appel à nous pour les aider, consciente que cette structure était importante sur le territoire. Taux d’occupation d’à peine 50% pour un agrément de 20 enfants, une équipe surdimensionnée, des locaux datant de 1969, des pratiques pédagogiques archaïques et pourtant en un an, la structure reprenait des couleurs et le projet était remis sur les rails.
La deuxième en première couronne de Toulouse, un multi-accueil. L’association est en liquidation judiciaire mais la Mairie décide de trouver un repreneur. Elle fait appel à nous. Là encore, une équipe épuisée par la situation de voir leur outil de travail disparaître, des locaux difficiles à aménager et un taux d’occupation largement en dessous des attendus. Là encore, les élus n’ont rien lâché et avec notre aide, la structure a pu continuer sa mission.
Malgré toutes les difficultés que rencontraient ces deux structures, un seul point commun : la volonté des élus de les sauver.
Alors que s’est-il passé dans ma commune ?
Notre territoire ne compte pas moins de 25000 habitants et ma commune est certes la plus grosse commune en termes d’habitants, plus de 10000, de la communauté de communes mais elle a le potentiel fiscal le plus faible du territoire. Des familles qui ont besoin d’une halte-garderie, il y a en a donc normalement beaucoup.
Si c’était un manque de communication envers les familles de l’existence de la halte-garderie : pourquoi ne pas avoir lancer un plan de communication (réseaux sociaux, panneaux lumineux de la ville, bulletin municipal et communautaire, information via le relais petite enfance…) et surtout entreprendre d’aller vers les familles pour expliquer l’intérêt de la structure et convaincre des familles qui parfois peuvent avoir peur de confier leurs enfants à des tiers ?
Si c’était un problème de gestion et de management d’équipe : pourquoi ne pas avoir proposé un accompagnement par un Dispositif Local d’Accompagnement (DLA) possible pour les associations ? Ou demander un audit extérieur par un organisme spécialisé ? Ou encore reprendre la structure en régie directe et faire ce qu’il fallait pour assainir la situation ?
Si c’était un problème de vieillesse des locaux : pourquoi ne pas avoir étudié la faisabilité d’une réhabilitation ou la construction de nouveaux locaux ? Tout en sachant que s’il y avait eu un repreneur, cette structure existant avant la mise en place du référentiel bâtimentaire, elle aurait pu continuer à fonctionner en l’état tout en faisant les petits travaux nécessaires pour être conforme au 1er janvier 2026.
Dans tous les cas, je reste convaincue, après toutes les réponses qu’on a pu faire à mes questions ces derniers jours, qu’il n’y a pas eu de volonté intrinsèque des élus locaux de sauver notre halte-garderie. On me dira qu’on ne pouvait pas faire d’ingérence dans l’association gestionnaire en tant qu’élus. Je réponds que quand on a la compétence et qu’on octroie une subvention, on est en droit si on souhaite que ce projet existe de proposer des alternatives et parfois d’imposer des choix politiques car il en va de mise en œuvre d’un service public pour les jeunes enfants et leurs familles.
Quand on sait aujourd’hui la difficulté de créer des places d’accueil étant donné le contexte entre autre de pénurie de professionnels et alors que le rapport du Conseil de la famille et du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du Haut Conseil de la Famille, de l’Enfance et de l’Age (HCFEA) écrit en 2018 qu’il faudrait « relancer des structures type halte-garderie qui proposent un système de réservation à la demi-journée », ici on vient d’en détruire 16 qui pouvaient accueillir jusqu’à 80 enfants par an…
Cette halte-garderie était une structure de centre-ville, elle remplissait une mission de lien social sur le territoire, elle permettait aux mères de sortir de l’isolement de la maison et aux jeunes enfants de vivre la collectivité à petite dose et de faire l’expérience de la séparation avec « maman » le plus généralement. Aujourd’hui elle n’est plus…
Entre profonde tristesse et colère, en ce début de mois de juillet, j’ai plus que jamais mal à ma crèche !
*Autrice de « J’ai mal à ma crèche : ce que vous devez savoir sur l’accueil des bébés en France »
Janvier 2024, Editions Eyrolles
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