Les moments forts du Colloque national « Petite enfance : investir dans les professionnels pour développer le potentiel de tous les enfants »
La matinée, très dense, fut ouverte par le secrétaire d’Etat en charge de l’Enfance et des Familles. Un discours-bilan de l’action conduite depuis maintenant 4 ans. Adrien Taquet est revenu sur la Conférence des familles des 5 et 6 octobre derniers, un rendez-vous important qui a permis « de rappeler la cohérence d’une action pour les familles (…) fondé sur deux piliers complémentaires ». Ces deux piliers : « la construction d’une offre de service universel et adapté aux besoins et attentes de toutes les familles » (allongement du congé paternité, démarche des 1000 premiers jours, réforme des services aux familles…) et « faire de l’accompagnement solidaire les familles les plus fragiles le premier levier de lutte contre les inégalités de destin » (majoration des aides à l’accueil du jeune versées aux territoires et aux familles les plus fragiles prise dans le cadre de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, plan de formation Ambition Enfance Egalité). Le secrétaire d’Etat a aussi souligné que « pour la première fois, depuis 15 ans, cette Conférence des familles a reconstruit une place, un moment, une méthode pour organiser la dynamique interministérielle et partenariale qui est indispensable à une conduite efficiente de la politique familiale ». Il a ensuite expliqué que ce moment était également important car c’est à cette période que des outils nouveaux ont été mis en place (protocole pour un usage raisonnable et raisonné des écrans, Charte de la Parentalité en Entreprise, tour de France des solutions d’accueil en horaires atypiques). Adrien Taquet a enfin réaffirmé sa volonté d’agir jusqu’au bout de la mandature, comme l’a expressément demandé Emmanuel Macron à ses ministres. Aussi, il a évoqué le comité de filière Petite Enfance « la première enceinte exclusivement dédié aux professionnels de la petite enfance » dont l’objectif est de « construire ensemble les réponses opérationnelles aux défis très concrets que rencontrent les professionnels au quotidien ». Et de conclure : « Oui nous devons investir dans les professionnels, ce sont eux le meilleur gage d’une qualité d’accueil du jeune enfant et cela est notre objectif commun. »
Investir dans les professionnels de la Petite Enfance : une stratégie trois fois gagnante
Selon la prix Nobel d’économie Esther Duflo, qui s’est exprimée juste après le secrétaire d’Etat, « avoir un investissement dans les personnels de la Petite Enfance est une proposition gagnante, gagnante, gagnante : gagnante pour les enfants et les adultes de demain, gagnante pour les mamans qui vont se joindre au marché du travail (…), gagnante et pour les professionnels de la petite enfance qui pourront trouver dans ces carrières un chemin de développement personnel. » Pour sa part, Gøsta Esping-Andersen, Professeur de sociologie et d'économie à l’Université Pompeu Fabra (Barcelone), a souligné la nécessité d’avoir des professionnels avec une qualification universitaire. Il a aussi insisté sur le fait que les jeunes enfants devaient participer aux programmes éducatifs à temps plein, au minimum 30 heures par semaine, et que pour les moins de 3 ans, il ne peut y avoir plus de six enfants par pédagogue. De son côté, Olivier Thévenon, Directeur de la Direction de l'éducation et des compétences (OCDE), s’il est d’accord sur le fait que la formation initiale est essentielle, il estime également que la formation continue l’est tout autant. Marc Gurgand, Directeur scientifique à JPAL Europe a, quant à lui, axé sa présentation sur les difficultés. « Ce n’est pas pour être pessimiste car je suis entièrement d’accord avec les principes généraux exposés et je les défends moi-même constamment mais c’est intéressant de bien s’interroger sur la réalité de ce que ça veut dire de former les professionnels et l’effort considérable et soutenu que cela implique de faire changer les pratiques quotidiennes en profondeur pour des professionnels qui sont pris dans un métier extrêmement difficile (…) », a-t-il soulevé. Enfin, Nathalie Casso-Vicarini, Fondatrice et Déléguée générale d'Ensemble pour l’éducation, qui connaît bien le terrain puisqu’elle est aussi EJE a rappelé : « Nous sommes dans un métier de l’être (…) La qualité de la relation est au cœur de nos préoccupations de tous les jours car c’est l’intérêt premier de l’enfant (…) S’occuper des enfants nécessite beaucoup de compétences et beaucoup de savoir-être. Plus on mettra d’efforts dans ce domaine là plus notre société grandira (…) ». Et a poursuivi : « On a besoin d’une intelligence collective ». « Ne soyons pas seuls et n’ayons pas trop d’enfants », a-t-elle également plaidé.
Formation, revalorisation des salaires, service public de la petite enfance… un peu de prospective
Elsa Hervy, déléguée générale de la FFEC, la première à prendre la parole sur la table ronde « Définir une vision d'avenir ambitieuse pour les professionnels de la petite enfance à horizon 2030 » a tout d’abord affirmé que contrairement « au constat des organisateurs du colloque », la FFEC ne trouve pas que la qualification des professionnels de la Petite Enfance en France soit « honteuse » par rapport aux autres pays. Selon elle, en effet, « il faut prendre l’intégralité des statistiques européennes ». Et ajoute : « (…) le niveau de diplôme ne fait pas à lui seul les compétences. L’important est d’avoir des compétences en petite enfance. » Elle a aussi partagé sa vision de la formation : « Pour 2030, nous devons aux enfants et aux professionnels de la petite enfance de repenser globalement notre modèle de formation avec 2 priorités : améliorer encore et toujours l’accueil, veiller au bien-être des professionnels. » Elle a aussi abordé la question de l’investissement dans la Petite Enfance et de la nécessaire revalorisation des salaires, car « la formation ne peut pas tout ». Pour rappel, lors de La Rentrée de la Petite Enfance, le 23 septembre dernier, Vincent Mazauric alors DG de la Cnaf avait déclaré : « Le fonds national d’action social ne manque pas de ressources ». Une information qui n'était pas passée inaperçue. Aussi, Elsa Hervy, n’a pas manqué de faire remarquer : « La France a les moyens financiers de se doter d’une politique ambitieuse pour la Petite Enfance en 2030. » Et a insisté : « Pour la FFEC, c’est maintenant qu’il faut le dire – le répéter – la branche Famille n’est pas la réserve pour rembourser les dettes publiques, elle est la dépense la plus utile pour la France … et la plus rentable ! » A bon entendeur… Et justement, c’est Pauline Domingo, Directrice du département enfance, jeunesse, parentalité de la Cnaf, qui est intervenue juste après. Elle a évoqué la prochaine COG, la démarche Premiers Pas et les résultats de ces travaux qui « s’inscrivent dans les annonces récentes autour du service public de la petite enfance » : « L’ambition est d’offrir avant l’entrée à l’école, une expérience de socialisation progressive, ludique, stimulante avec les parents et dans d’autres espaces que la maison pour tous les enfants, à un prix raisonnable et que cet accueil soit régulier, hebdomadaire, progressif (…) de 4 demi-journées par semaine en groupe pour le développement optimal des enfants.» Elle a ensuite parlé des conditions de réussite : il va falloir créer des places mais pour cela il faut des professionnels. Pauline Domingo estime qu’à « très court terme, il faut avancer sur la pénurie de professionnels » et qu’il faut se doter d’un « plan de Gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) ». Autre pré-requis : la qualité d’accueil. Elle a distingué qualité structurelle et qualité procédurale (qualité des interactions). Et invite à la mise en place d’une instance de réflexion sur l’amélioration de cette qualité procédurale. Enfin, elle a évoqué le « non recours » aux modes d’accueil et propose d’outiller les professionnels, voire même d’avoir de nouveaux professionnels formés qui puissent accompagner les familles en question. Pour sa part, Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, a relevé deux enjeux. Le premier, celui de la qualité. A ce sujet, elle a abordé le plan de formation Ambition Enfance Egalité qui a déjà permis plus de 40 000 départs en formation et dont l’objectif d’ici à fin 2022 est de 200 000 départs. Le second enjeu est celui de l’accessibilité aux modes de garde. Elle a cité ici plusieurs dispositifs dont le bonus mixité, les crèches Avip ou encore l’Appel à Manifestation d’Intérêt Accueil pour tous. Enfin, Marlène Martin, directrice du pôle Petite Enfance de #Leplusimportant, a présenté certaines des pistes développées dans le livre blanc que le think thank a sorti avec Edumiam et Gribouilli. « La vision ambitieuse que l’on porte, c’est se centrer sur les besoins de l’enfant et de construire le système autour de ces besoins », a-t-elle partagé. Puis, a évoqué la question du recentrage sur les 0-6 ans (0-3 ans et 3-12 ans à l’heure actuelle en France) et le changement de regard nécessaire sur les professionnels de la Petite Enfance, sur ces « métiers difficiles mais passionnants ».
L’attractivité, la valorisation des métiers : des enjeux d’importance pour la Petite Enfance
Les professionnelles du lien ont répondu présentes pendant la crise sanitaire et notamment pendant le confinement. Pour Stéphane Fustec, Président du Conseil National Paritaire du Dialogue Social des salariés et assistants maternels du particulier employeur (CNPDS), qui a ouvert la 3 table ronde**, un des premiers constats à tirer de cette crise, c’est « l’urgence d’avoir une reconnaissance des métiers du lien ». Il a ensuite mentionné la nouvelle convention collective nationale unique du secteur des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile, qui offre des droits individuels mais aussi collectifs (droit à la santé au travail, droit aux activités sociales et culturelles, droit à une indemnité de départ volontaire à la retraite basée sur l’ancienneté dans le secteur). Il a aussi indiqué qu’en 2020, plus de 70 000 départs en formation avaient eu lieu dans le secteur. Patrick Chamboredon, Président de l’Ordre national des infirmiers, a quant à lui souligné : « avoir des instances comme les ordres, ça permet de changer la société ». Alors faudrait-il s’en doter d’un ? Sandra Onyszko, porte-parole de l’Ufnafaam, est sceptique sur l’instauration d’un ordre et juge plus adéquat « un curriculum commun à tous les professionnels ». Car observe-t-elle si « la charte Giampino est un début, ce n’est pas suffisant. (…) On travaille plutôt sur nos différences que sur ce qui nous rassemble. » Elle a également signalé : « cela fait déjà 10 ans que l’accueil individuel baisse. » Et a insisté sur le fait que l’accueil individuel ne doit pas être envisagé que comme défaut à l’accueil collectif. « On ne peut pas sensibiliser au recrutement si on ne met pas en valeur », a-elle dit. Et a ajouté que les assistantes maternelles et gardes d’enfants à domicile sont encore plus invisibles que les professionnels de l’accueil collectif. « On a des problèmes d’accès à des passerelles. Il faut faire des carrières pour faire venir les jeunes », a fait aussi remarquer Sandra Onyszko. Elle a enfin regretté « le problème d’accessibilité financière », la PSU a été rénovée alors que le complément de mode de garde très peu, « ce qui a apporté plus de différences pour les familles et la différence, c’est aussi un choix pour les familles du mode d’accueil ». Pour sa part, Anne Grenier, Directrice générale des crèches Eponyme, a notamment témoigné sur le système de management collaboratif mis en place au sein de ses structures, les grandes difficultés à recruter, les coûts annexes à la formation (remplacer les personnes qui partent en formation) et sur le risque de turn-over. L’AMF était également présente par la voix de Clotilde Robin, co-Présidente du groupe de travail « Petite enfance ». Elle a commencé par rappeler : « La Petite Enfance n’est pas une compétence obligatoire et pourtant nous en sommes les premiers gestionnaires ». Le groupe de travail Petite Enfance a à cœur, signale-t-elle, de « ne pas privilégier un mode de garde plutôt qu’un autre » et « la qualité de la prise en charge ». « Nous demandons que la pénurie ne soit pas une baisse de l’exigence de la prise en charge que nous souhaitons », a-t-elle fait savoir. Et a informé : « Nous sommes plutôt d’accord avec le cri d’alerte de la FFEC sur le besoin de repenser le modèle économique et de travailler sur la formation, qui doit être beaucoup plus transversale et partenariale. »
Le soutien à la parentalité au cœur de toutes les préoccupations
En introduction de la 4e table ronde « Accompagner à la parentalité pour mieux développer les capacités des tout petits », Sophie Marinopoulos, psychologue, psychanalyste, vice-présidente de la commission des 1000 premiers jours a tout d’abord parlé des lieux d’accueil gratuits, anonymes, Les Pâtes au Beurre ouverts aux familles, dont elle est la fondatrice. Elle a expliqué pourquoi les lieux en général qui prennent soin des parents sont essentiels. « Le point fondamental de nos histoires de vie, c’est le lien, la relation. La crise des liens, des relations est aujourd’hui extrêmement préoccupante, nous avons oublié qui nous sommes », a-t-elle mis en garde. « Le soutien à la parentalité, la préoccupation à la parentalité, c’est dire je suis là pour toi si tu as besoin », a-t-elle poursuivi. Elle s’est aussi indignée sur le fait que soi-disant la prévention est au cœur des priorités mais qu’au final rien ne change. Et elle le constate depuis le début de sa carrière, il y a 40 ans. « Prenons soin de nos liens, si l’on ne veut pas détruire notre humanité », a-t-elle conclu. Daphné Bogo, directrice adjointe de l’enfance et de la famille au Conseil départemental de la Seine Saint-Denis a quant à elle donner des exemples de dispositifs mis en place (notamment « Fais-moi une place), tout en précisant que dans son département, les usagers sont des « non usagers » et que la principale difficulté est de trouver « comment faire venir les familles les plus éloignées des modes de garde ». Selon Thierry Couvert Leroy, délégué national Enfants & Familles à la Croix-Rouge, « l’accompagnement des parents est un point stratégique de la prochaine stratégie ». « Les parents sont les premiers éducateurs, leur place est centrale », a-t-il également rappelé. Aussi la Croix-Rouge a développé différents outils à destination des familles comme les podcasts Parent(hèse) qui sont des témoignages de parents, le site Mes Infos Bébé avec essentiellement des contenus imagés ainsi accessibles au plus grand nombre, des formations de pairs par les pairs ou encore un cycle de parentalité. Florent de Bodman, Fondateur de 1001 Mots, a notamment présenté l’accompagnement numérique proposé par son association. Il a aussi évoqué la note réalisée avec Terra Nova « Petite Enfance : que devrait faire le prochain président de la République » (cf Lettre Hebdo n°21) dont l’une des recommandations est de tripler les financements des dispositifs de soutien à la parentalité.
Le mot de la fin est revenu à Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, président de la commission des 1000 premiers jours. Il a évoqué les neurosciences et la période clé des 1000 premiers jours. « Si ces 1000 premiers jours sont bien organisés affectivement, comportementalement, verbalement et socialement, les enfants seront bien partis dans l’existence », a-t-il affirmé. Et a ajouté : « Ça ne veut pas dire que c’est gagné car la vie n’est pas toujours facile (…), les épreuves sont inévitables, or un enfant bien parti affrontera ces épreuves, car il aura acquis une estime de soi et une confiance en soi. » Il a aussi insisté sur la nécessité d’introduire « la théorie de l’attachement dans tous les métiers de la petite enfance. »
* « Investir dans les compétences des professionnels de la petite enfance, pour l'égalité des chances et le développement optimal des enfants, les différents interlocuteurs »
** « Réussir la montée en compétences des professionnels et renforcer l'attractivité du secteur »
Cet article a été publié dans la Lettre Hebdo n°29
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