Janusz Korczak ou le combat d’une vie pour les droits de l’enfant
Un écrivain et médecin célèbre dans son pays
En 1901, le jeune Janusz Korczak, révolté par la misère humaine, écrit son premier livre « Les enfants de la rue ». Une fois devenu médecin en 1904, il enchaîne activité libérale et postes en pédiatrie à l’hôpital, excepté pendant la guerre où il est enrôlé dans l’armée russe. Au fil des années, il se fait connaître par ses articles sur les conditions de vie des enfants et d’autres sur la puériculture, ses conférences auprès des jardinières d’enfants et des moniteurs de colonies de vacances, ses cours de pédagogie, sa fonction de médecin-expert au tribunal des jeunes délinquants de Varsovie ainsi que tous ses livres, s’adressant aux enfants ou aux adultes, parfois les deux.
En 1922, il a connu un grand succès en Pologne avec la publication d’une histoire, « Le roi Mathias 1er », vite devenu un classique de la littérature jeunesse polonaise avant d’être traduite dans plusieurs langues. Dès 1926, il s’est fait connaitre aussi comme rédacteur en chef d’un journal presque entièrement conçu par des enfants, sous le nom de « La petite revue », qui a connu un grand tirage pendant plus de douze ans.
Plus tard, entre 1934 et 1936, son émission de radio « Les causeries du vieux docteur » sera écoutée par beaucoup de familles polonaises, devançant ainsi de quelques années celle de Donald Winnicott en Angleterre et de quarante ans de Françoise Dolto en France (« Lorsque l’enfant paraît », entre 1976 et 1978).
À son époque, Janusz Korczak était donc un homme public, connu pour sa défense de la cause des enfants et pour la création de deux orphelinats au fonctionnement d’avant-garde : « La maison des orphelins » fondée en 1911 et « Notre maison » en 1919. Dans cette période foisonnante d’idées pédagogiques en lien avec les valeurs du mouvement de l’Éducation nouvelle auxquelles Janusz Korczak adhérait, de nombreux visiteurs sont venus, curieux de découvrir une institution sans châtiments corporels, sans humiliations, avec des règles de fonctionnement associant autant que possible les enfants à toutes les décisions les concernant.
L’inspirateur des textes sur les droits de l’enfant
Sans être la seule personnalité à l’origine de la CIDE, Janus Korczak est considéré comme le père spirituel des droits de l’enfant. Dès 1909, il avait écrit « J’ai choisi de servir l’enfant et sa cause » et avait décidé de ne pas fonder de famille pour pouvoir y consacrer toute sa vie. Près de 60 ans avant la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, dont le 33e anniversaire est fêté ce 20 novembre, il a eu l’idée d’un manifeste universel de défense de l’enfant qu’il exprime dans un livre de quelques dizaines de pages intitulé « Le droit de l’enfant au respect ». Il explique pourquoi il est « conforté dans l’idée que les enfants méritent respect, confiance et bienveillance. » et exprime sa révolte. « Voilà nos revendications : faire disparaître la faim, le froid, l’humidité, l’air vicié, l’exiguité, la promiscuité. ».
Après un chapître sur ce qu’il nomme le manque d’estime et de confiance envers les enfants, il fait le constat suivant : « C’est comme s’il existait deux vies : l’une sérieuse et respectable, l’autre mineure, tolérée avec indulgence » alors que « les enfants représentent un grand pourcentage de l’humanité, de nos concitoyens. Ce sont des compagnons de toujours : ils ont existé, ils existent et ils existeront. » Quelques pages plus loin, il explique que « La hiérarchie des âges n’existe pas plus que les degrés de souffrance, de joie, d’espérance et de désillusion… Lorsque je joue ou je discute avec un enfant, ce sont deux instants de vie qui s’enchevêtrent, aussi mûrs l’un et l’autre… Si nous délaissons le présent de nos enfants en faveur du lendemain, nos craintes finiront par se concrétiser : le toit s’écroulera car nous aurons négligé les fondations. »
Parmi les droits à accorder aux enfants dont ce médecin-éducateur se fait le porte-parole, figurent aussi le droit de vivre dans le présent, le droit de se tromper, le droit d’être triste et le droit d’avoir des secrets. N'oublions pas qu’avant la seconde moitié du XXe siècle, dans les discours et dans les faits, l'enfant n'était pas encore reconnu en tant que personne à part entière.
Être aimé, être respecté, deux droits essentiels
En 1925, Janusz Korczak commence un de ses livres « Quand je redeviendrai petit » avec une phrase souvent citée par les professionnels de l’enfance et de l’éducation : « Vous dites : C’est épuisant de s'occuper des enfants. Vous avez raison. Vous ajoutez : Parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser. Là, vous vous trompez. Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre. Pour ne pas les blesser. »
Sa vie et son œuvre sont marquées par son engagement pour une égalité de considération envers l’enfant et l’adulte, même si la parole du premier doit être entendue différemment. Cette question est bien connue des professionnels des services sociaux et de la justice quand ils doivent prendre des décisions concernant un enfant avant l’âge de la parole. Janusz Korczak, lui, était confiant dans la psychologie naissante pour donner aux adultes les moyens de comprendre l’enfant. Dès 1918, dans « Comment aimer un enfant. », il développe, bien avant la théorie de l’attachement de John Bowlby, que le premier des besoins est celui d’être aimé.
Ce livre publié en français en 1979 contient une longue préface d’un autre polonais, Stanislas Tomkiewiecz (1925-2003), qui est né et a grandi là où Janusz Korczak a terminé sa vie, dans le ghetto de Varsovie. Ce pédopsychiatre qui a fait sa carrière en France auprès des enfants en souffrance est resté un grand admirateur de son compatriote (il a été membre de l’association Korczak) et a œuvré, lui aussi, pour la reconnaissance des droits de l’enfant qu’il a vu proclamer de son vivant. Janusz Korczak, lui, a seulement pu regretter que la première déclaration de 1924 soit juste « un appel au bon vouloir, à la bienveillance » et que le ton ne soit « qu’incitatif et non autoritaire ». Il souhaitait plus que tout que la société reconnaisse aux enfants le droit d’exprimer librement leur opinion, de choisir leur religion, de manifester leurs convictions et de se réunir, ce qui sera clairement énoncé dans les articles 12 à 15 de la CIDE de 1989.
Les Droits de l’enfant en trois dates
En 1924, la déclaration de Genève rédigée par la Société des Nations (avec 42 pays membres) proclame que « l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur, affirmant leurs devoirs, en dehors de toute considération de race, de nationalité, de croyance ». Elle énonce cinq droits fondamentaux : le droit au développement sur le plan matériel et spirituel, le droit d’être nourri, soigné, encouragé, recueilli, le droit d’être le premier à être secouru, le droit d’être protégé contre l’exploitation et le droit à la solidarité.
En 1959, la convention relative aux droits de l’enfant est décidée par l’assemblée générale des Nations Unies qui déclare que « l’enfant est reconnu, universellement, comme un être humain qui doit pouvoir se développer physiquement, intellectuellement, socialement, moralement, spirituellement, dans la liberté et la dignité ». Les cinquante pays s’engagent à mettre en œuvre les dix principes suivants : le droit à l’égalité, le droit au développement, le droit à un nom et à une nationalité, le droit à une alimentation, un logement et des soins médicaux, le droit à une éducation et à des soins spéciaux quand il est handicapé, le droit à la compréhension et à l’amour des parents, le droit à l’éducation gratuite et aux activités récréatives, le droit aux secours prioritaires, le droit à une protection contre toute forme d’exploitation et le droit à la solidarité.
En 1989, un texte plus complet est adopté par l’Organisation des Nations Unies, à l’initiative de la Pologne dix ans auparavant, le pays de Janusz Korczak ayant estimé qu’aucune des deux déclarations précédentes n’était suffisamment contraignante et n’englobait l’ensemble des droits de l’enfant. La CIDE, texte à vocation universelle, comme la Déclaration des Droits de l’homme de 1948, comprend 54 articles dont celui qui porte sur une notion chère à Janusz Korczak, celle de l’intérêt supérieur de l’enfant, en écho à ce que lui, appelait le droit de l’enfant au respect : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
L’article 43 prévoit la constitution d’un Comité des droits chargé de surveiller la mise œuvre de la CIDE par les États qui l’ont signée et ratifiée (soit 194 pays à ce jour).
Pour conclure, la pensée de Janusz Korczak reste bien vivante aujourd’hui et sa réflexion sur la place accordée à l’enfant dans notre société continue à être source de débats. Si beaucoup reste à faire pour préserver les enfants, où qu’ils naissent, des effets de la guerre, de la pauvreté, de la maltraitance familiale ou institutionnelle et de tous les autres facteurs de souffrance, plus personne aujourd’hui ne peut nier le fait que l’enfant est un sujet de droit.
Pour aller plus loin
• J. Korczak, Comment aimer un enfant, préface de Stanislas Tomkiewicz, Robert Laffont, 2006
• J. Korczak, Quand je redeviendrai petit, Fabert, 2013
• J. Korczak, Le droit de l’enfant au respect, Fabert, 2017 (édition comportant le texte complet de la CIDE)
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