Les pratiques professionnelles des assistantes maternelles passées au peigne fin
La méthode utilisée pour cette étude était de type ethnographique. Ses résultats sont donc d'ordre qualitatifs. Entre juillet et novembre 2018, 20 observations ont été réalisées au domicile d’assistantes maternelles situées en Ile de France (6), dans les Hauts de France (4), en Bretagne (6° et en Occitanie (4). Les rencontres avaient lieu par demi-journées et incluaient les sorties et les transmissions aux parents. La grille d’observation et de sujets à aborder lors de ces demi-journées portait sur la façon de gérer les moments clefs (réveil, sommeil, repas, jeux soins, propreté), et de se comporter envers les enfants et les parents (gestes, échanges, regards) mais aussi sur la façon dont les petits se comportaient entre eux et avec leur assistante maternelle.
En clair, la sociologue a joué les petites souris … Et ce n’était pas facile pour les assmat d’accepter ce regard sur leur travail. Les professionnelles ont toutes étaient recrutées par le biais de l’Ufnafaam. Après un premier contact téléphonique, les volontaires pour l’étude ont reçu une fiche informative intitulée « une semaine chez mon assistante maternelle » à remplir comme elles l’entendaient.
Toutes les assistantes maternelles ont joué le jeu, ce qui donne une étude très authentique. Dans son descriptif de méthode, Cécile Ensellem, la sociologue en charge de ce travail, note « les assistantes maternelles nous ont fait découvrir leur univers en nous ouvrant les portes de leur domicile, de leurs armoires, en nous faisant parfois rencontrer leur famille très tôt le matin, en gérant le quotidien et ses aléas tout en discutant avec nous. En effet, dans une logique de co-interprétation nous leur soumettions nos interrogations, quelquefois nos étonnements. »
L’étude comporte 3 grandes parties intitulées : la personnalisation de l’accueil et de l’accompagnement en fonction de l’enfant ; de l’individualisation de plusieurs enfants au monde partagé porté par un cadre ; avec le parent, de la création d’une alliance à la gestion des divergences. Ce qui permet de mettre en évidence les spécificités, les points forts et les difficultés de l’accueil individuel « vu de l’intérieur », ce qui n’avait jamais été fait jusqu'alors.
Donner une attention à chacun pour un accueil personnalisé
L’étude souligne que « la personnalisation de l’accueil est un enjeu fondamental.» Mais n’en masque pas les difficultés : comment prendre en considération la singularité de chaque enfant, personnaliser la relation ? II s’agit pour les assistantes maternelles de jongler entre les besoins de chaque enfant, souvent différents voire contradictoires car tous n’ont pas le même âge. Pour parvenir à ce fragile équilibre, elles doivent prendre le temps d'observer chaque enfant pour ajuster leurs pratiques en conséquence. Un exercice délicat mais qui permet de nouer une « relation privilégiée avec chaque enfant : par des gestes, des regards appuyés, des rires, des échanges voire des conversations avec le plus grands, des petites attentions pour faire plaisir à un enfant … ».
Car si l’accueil chez une assistante maternelle est ce qu’on appelle un accueil individuel …il ne l’est pas au sens strict du terme car les assistantes maternelles en général accueillent plusieurs enfants. Il s’agit donc pour elles d’être vigilantes au rythme de chacun dans les temps collectifs et de rester disponible pour répondre aux sollicitations des uns ou des autres …Une gageure donc qui leur demande une grande disponibilité et attention. Une disponibilité qui explique la sociologue relève de « l’engagement de soi, l’engagement corporel, émotionnel, affectif, intellectuel. »
Il y a dans leur accueil une double dimension relationnelle et affective. La dimension affective prenant le pas quand il s’agit d'accueillir des bébés. Maternage oblige. L’étude note d’ailleurs que les liens créés lors de l’accueil de l’enfant se poursuivent souvent après la rupture du contrat.
Il n’empêche cet accueil, cet accompagnement au quotidien au plus proche des besoins et attentes de chaque enfant et de son niveau de développement peut se compliquer notamment quand la patience manque ou qu’un enfant pose problème. « Perdre patience ou prendre un enfant en grippe est une situation crainte » est-il noté chez toutes assistantes maternelles rencontrées. Que font elles dans ces cas-là ? La plupart (sauf une) disent appeler la PMI car quand la puéricultrice de la PMI est à l’écoute, elle aide véritablement à co-construire avec la professionnelle des réponses adaptées.
Ajustement entre connaissances générales, connaissance de chaque enfant accueilli et expérience de mère
Pour accompagner au mieux chaque enfant tout en assurant la sécurité physique et affective du groupe d’enfants accueillis, les assistantes maternelles s’appuient sur leurs connaissances sur le développement de l’enfant acquises notamment via des formations, le RAM, des collègues ou leurs lectures. Mais d’une certaine façon elles disent aussi revisiter leur propre expérience de mère à l’aulne de leur professionnalité et des savoirs-faire acquis tout au long de leur vie d'assistante maternelle. Enfin et bien sûr elles tiennent compte de chaque enfant accueilli, et de ses capacités individuelles.
L’étude explique ainsi que les assistantes maternelles travaillent « dans une dialectique permanente » entre l’enfant général (son âge), l’enfant particulier (marqué par son histoire et son environnement, sa personnalité etc.)
« Ces ajustements précise l’étude, s’observent dans la manière qu’elles ont de se tenir aux côtés des enfants, de les encourager ou s’intervenir de manière différenciée et adaptées à leur âge. (…) Ce qui demande « une agilité certaine quand les enfants sont 4, à des âges et besoins différents .» On retrouve ces ajustements au moment des repas par exemple, mais aussi des jeux ou des activités plus encadrées.
A noter aussi : les assistantes maternelles observées au cours des différents jeux, soutiennent les apprentissages cognitifs et de motricité … spontanément mais elles sont peu à le formuler explicitement. De façon implicite aussi, la vie quotidienne chez l’assistante maternelle est l’occasion de multiples apprentissages : échanges avec les enfants, désignation des objets durant le repas, politesse, respect des autres …
Autant d’apprentissages qui pourraient constituer un enjeu de préparation à l’école. Mais les assistantes maternelles de l’étude ne sont pas toutes d’accord. Certaines répondent aux demandes des parents et proposent des activités-apprentissage aux plus de 2 ans, les autres estiment qu’ils ont le temps.
Un monde où chaque enfant est unique …mais pas seul !
L’accueil chez l’assistante maternelle est donc un accueil individuel tout relatif, l’enfant y évolue dans un monde partagé avec d’autres enfants. C’est pourquoi note l’étude il vaut mieux parler de « personnalisation de l'accueil que d’individualisation. »
Ce petit monde partagé - où les interactions entre enfants sont importantes - doit être géré. Avec patience mais surtout avec professionnalisme. Les assistantes maternelles dit l’étude ont une « expertise de la relation aux jeunes enfants et de gestion de groupe ». Elles posent un cadre que les enfants s’approprient grâce à des moments ritualisés. Et « c’est ce cadre qui permet de prendre en compte la pluralité des besoins des enfants ». C’est ce cadre qui fait aussi que les enfants se sentent en sécurité auprès de son assistante maternelle, figure d’attachement secondaire.
Cette observation des pratiques au quotidien des assistantes maternelles révèle toute la complexité du métier : gérer, seule, un groupe d’enfants mobilise tant de ressources physiques et émotionnelles que c’est réellement « générateur de fatigue ». Accueillir de jeunes enfants nécessite donc un sens de l’analyse, une réactivité dans deux temporalités : un temps court qui mobilise une réflexivité dans l’action et un temps plus long qui mobilise une réflexivité sur l’action. En clair répondre aux pleurs et aux disputes quand ils se produisent puis réfléchir aux raisons qui les ont provoqués chez ces enfants. Cela demande une sacrée inventivité ! Et cela vient donc ajouter à la fatigue de la personnalisation.
Un accueil au domicile des assistantes maternelles pose un cadre familial mais ne signifie pas toujours que les membres de la famille (le conjoint par exemple) s’impliquent. Il n’y a pas de règle dans ce domaine. Les choses sont un peu floues quand l’assistante maternelle garde aussi l’un de ses propres enfants.
Des sorties nécessaires pour la santé, l’éveil et à la socialisation
Néanmoins toutes les assistantes maternelles rencontrées au cours de l’étude sortent pour se promener ou participer à des activités extérieures. Pour elles ces sorties sont nécessaires au bien-être et à la santé des enfants, à leur développement général, à leur besoin de découverte. Elles constituent plus généralement un soutien à la socialisation.
Au cours de ses sorties et activités au RAM par exemple, les assistantes maternelles se côtoient, échangent, se soutiennent, s’entraident. Ce n’est pas une équipe, c’est un groupe qui s’est choisi. Et c’est très important pour elles. Cela participe à leur professionnalisation et cela évite de les laisser dans un très grand isolement. Tout le monde est gagnant, professionnelles comme enfants.
Composer avec les attentes des parents qui sont aussi des employeurs
Ou la difficile co-éducation avec parents qui sont aussi des employeurs…Les assistantes maternelles n’ont pas une position confortable et la sociologue pose d’emblée la question : comment combiner séduction des parents (elles font aussi bien qu’à la crèche en termes de soutien au développement et mieux en termes d’adaptation aux besoins des parents et de l’enfant) et maintien de son cadre, sous-tendu par des convictions et par une certaine définition du « bon accueil » ? Sans oublier les contraintes ou normes imposées par la PMI. Et sans compter aussi qu’outre ces questions d’éducation, tout peut se compliquer par des questions financières, contractuelles ou d’horaires et d’organisation etc.
Aux assmat donc de jongler entre souplesse stabilité par rapport aux demandes parents. A elles aussi de prouver qu’elles sont professionnelles. De rassurer les parents en leur montrant tout leur savoir-faire. Chacune développe ses propres stratégies : il y a celles qui se mettent en 4 pour satisfaire les parents et celles qui restent campées sur leur position avec fermeté. Et finalement, la plupart du temps, une relation de confiance finit par s’instaurer, durable. Ce qui n’exclut pas des moments de tensions ou l’apparition de conflits ponctuels. La coéducation n’est pas une mince affaire. Et des assistantes maternelles se disent parfois confrontées à des principes et pratiques éducatifs des parents qu’elles jugent contraires à l’intérêt de l’enfant. Gérer alors les divergences devient délicat. Et parfois l’intervention de la PMI peut être un recours … Mais c’est souvent, au moment du contrat que les assistantes maternelles sont vigilantes à ne pas prendre des parents qui sont à l’opposé de leurs valeurs et convictions.
Certains conflits sont définitifs comme la rupture de contrat liées à l’obtention d’une place en crèche. Un moment toujours difficile à vivre pour l’assistante maternelle surtout quand cela survient après plusieurs mois d’accueil où elle s’était investie.
La rupture d’un contrat a un impact financier bien sûr mais également émotionnel.
Un métier qui mérite davantage d’attention
L’un des points de conclusion de l’enquête, plutôt élogieuse sur ce qui a été observée chez les assistantes maternelles rencontrées-professionnalisme et individualisation de l’accueil, proximité, caractère familial-, est de noter que le métier souffre d’une mauvaise image : stéréotypes, sous-estimation des compétences, comparaisons avec la crèche etc. Et forte des qualités intrinsèques de ce mode d’accueil, l'auteur milite pour un plus grand soutien aux assistantes maternelles en termes de formation notamment mais aussi d'accessibilité aux familles.
Consulter l'intégralité de l'étude exploratoire sur les pratiques professionnelles des assistantes maternelles
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