Agnès S, assistante maternelle : « J’ai appliqué les consignes du guide ministériel sur le COVID-19 et j’ai été licenciée pour faute ! »
De la fièvre mais un premier test négatif
Le 25 juin, le petit garçon de 18 mois a présenté des symptômes de fièvre chez lui et ses parents l’ont emmené à l’hôpital. Il a subi un test au Covid qui s’est révélé négatif. Du coup le lundi, fort de ce résultat, les parents m’ont amené leur enfant et je l’ai bien -sûr accueilli.
Deux jours après il a à nouveau une forte fièvre pendant qu’il est chez moi. En appliquant les consignes du guide ministériel, j’ai prévenu les parents et je leur ai demandé de le présenter au médecin. Ils sont en fait retournés à l’hôpital où on les a rassurés : c’était un coup de froid. Le lendemain donc, je l’accueille à nouveau. Mais il a de nouveau des épisodes de forte fièvre accompagnés d’autres symptômes troublants : il ne veut ni boire, ni manger, il tousse et a la diarrhée. Le soir j’en parle à la maman qui me dit – c’était un vendredi - qu’ils retourneraient à l’hôpital si cela se poursuivait pendant le week-end.
J’ai pris des nouvelles pendant le week-end. Ça continuait. Le dimanche, les parents sont retournés à l’hôpital. Pas de diagnostic précis : peut-être un coup de froid ou autre chose. Il n’est pas testé au COVID.
Des symptômes persistants, un deuxième test prescrit, suspension de l’accueil
Le lundi, j’accueille le petit garçon. Mais ça recommence : forte fièvre etc. Là , j’ai dit stop et comme le guide le prévoit, j’ai demandé aux parents une attestation du médecin traitant spécifiant que je peux accueillir l’enfant en toute sécurité, pour lui et pour la petite fille que je garde aussi. Je commençais à m’inquiéter car on sait que les tests ne sont pas toujours fiables et qu’en quelques jours aussi une situation peut évoluer : une personne testée « négatif » peut devenir « positif ». La maman a pris rendez-vous avec le médecin traitant qui a prescrit un nouveau test COVID. A ce moment-là, appliquant stricto sensu les consignes sanitaires du guide, j’ai prévenu la maman par écrit que je suspendais l’accueil jusqu’au résultat du test et l’attestation du médecin autorisant l’accueil.
Et, alors que nous avions de très bonnes relations et que j’accueillais son fils depuis ses 2 mois et demi, elle l’a très mal pris.
Un licenciement pour faute … sans indemnités de préavis et de rupture
Les parents ont contacté la PMI* qui leur a dit que ce qui faisait foi, c’était le contrat de travail et non le guide ministériel qui ne donnait que des recommandations. La maman a fait trainer 15 jours sans me fournir le résultat du test ou un quelconque certificat médical puis m’a fait part de sa décision de me licencier pour faute. Or ce que prévoyait le contrat de travail (accueil d’un enfant fiévreux avec ordonnance médicale) c’était avant la pandémie et le COVID …Moi il m’a semblé que je prenais une bonne décision et que je protégeais l’autre enfant que j’accueillais.
A la PMI on a dit à la famille que le guide n’avait aucune valeur et que vu le contrat cela s’apparentait à un refus de travail. Assez curieusement à moi la PMI a dit qu'on ne pouvait pas me reprocher mon attitude en tant que professionnelle, mais que les parents, eux, pouvaient m’attaquer. Bref, que ce n’était pas du ressort de la PMI puisqu’il s’agissait d’un contrat de droit privé.
Je n’ai pas le sentiment d’avoir commis une faute !
En fait ce qui me reste en travers, c’est la faute ! Qu'ils me licencient s’ils veulent mais pas pour faute ! Moi j’ai suspendu l’accueil pas parce que l’enfant avait de la fièvre mais parce qu’il avait été testé et que dans l’attente du résultat cela me semblait plus prudent. C’est d’ailleurs ce que spécifie le guide ministériel.
Je sais que je ne peux pas contester mon licenciement mais en revanche je vais contester la faute grave. La maman m’a licenciée pour faute, mais vu que je n’ai eu aucune indemnité (ni de préavis, ni de rupture) de facto c’est un licenciement pour faute grave.
La DGCS (ndlr, Direction Générale de la Cohésion Sociale, auteure des guides) que j'ai contactée, en accord avec la Direction Générale du Travail, semble considérer que j’ai agi pour assurer la sécurité de l’accueil dans le contexte anxiogène de crise sanitaire. Mais qu’évidemment ce sera aux tribunaux (ndlr : en l’occurrence les Prud’hommes) de trancher.
Je voulais témoigner juste pour que d’autres assistantes maternelles, croyant bien faire en appliquant les consignes sanitaires du guide, ne se fassent pas piéger comme moi !
* Contactée la PMI de Lisieux nous fait savoir mais qu’elle n’est pas habilitée à s’immiscer dans des contrats de droit privé même si, selon elle, l’assistante maternelle était dans son droit d’appliquer les consignes sanitaires du guide
Les points de vue de la DGCS et de l' Ufnafaam
L’éclairage de Pierre-Yves Manchon, chef du bureau de la parentalité et des familles à la DGCS : « Il est vrai que d’une manière générale se pose la valeur juridique des recommandations ministérielles. Néanmoins, et sans me prononcer sur cette affaire précise, le Code de l’Action Sociale et de la Famille (CASF) stipule que les assistantes maternelles doivent mettre en place les mesures pour assurer la prévention et la santé des enfants.
Dans un cas comme celui-ci, le refus d’accueil de l’assistante maternelle est justifié par l’application d’une consigne sanitaire ministérielle. On est donc bien dans cette obligation de CASF. Si cette application est contestée par les parents il leur faudra prouver qu’elle est infondée. Et dans ce un contexte très particulier de pandémie, il faudra que la faute grave puisse être caractérisée … »
L’avis de Sandra Onyszko de l’Ufnafaam : « Pour moi Agnès a bien agi. C’est un guide ministériel certes, il n’a pas de valeur normative, mais rien ne dit l’inverse. Bien sûr elle ne peut pas contester le licenciement (article 18 de la Convention Collective). Un retrait d’enfant c’est une rupture simplifiée par rapport au code du travail. (Pas d’entretien préalable, pas besoin de cause réelle et sérieuse etc.). Et il est difficile voire impossible de contester un retrait d’enfant. En revanche, elle a tout intérêt à contester la faute grave pour pouvoir toucher ses indemnités. Et dans ce cas, Il n’y a pas faute quand on est présence d’une pandémie ! ».