Les bienfaits de la colère. Par Sophie Marinopoulos
Psychologue, psychanalyste
Surprise par ma demande Violette se redresse comme prise en flagrant délit de faiblesse. De toute évidence, elle n’apprécie pas ma question et me prouve par cette posture, la qualité de son écoute. Oui, Violette a parfaitement entendu la dimension affirmative et provocatrice de mon interrogation. Elle a reçu 5 sur 5 que ma question n’en était pas une. Que je m’étonnais « qu’une grande fille comme elle » ne sache pas « commander » sa colère. En langage adulte nous dirions « qu’elle n’arrive pas à se contrôler ». Et si son premier mouvement est un sursaut de résistance, elle capitule l’instant suivant dans un aveu enfantin qui murmure un minuscule « oui ». Violette est dépassée par ses excès et en souffre, d’où ma préoccupation et ma volonté de l’accompagner dans les sentiments qui l’assaillent. Mon aide vise, non pas d’éviter à Violette de subir sa colère, mais de la reconnaitre en vue de construire des défenses autres. En quelque sorte il s’agit de soutenir Violette pour qu’elle puisse mieux se connaitre dans ses moments impulsifs.
Car la colère est une défense. Une défense utile. Quand l’enfant est contrarié, c’est-à-dire quand il est confronté aux limites qui lui sont imposées (le non d’un adulte) ou à ses propres limites (ne peut réaliser quelque chose), il est pris par une tension telle qu’il n’a qu’une seule solution : l’expulser. La mettre hors de lui, à l’extérieur de son être pour s’en débarrasser. Il fait un grand ménage émotionnel pour se retrouver ensuite. Etre face à des règles ou à ses limites, créent un sentiment désagréable de perte de soi-même qui pousse l’enfant à réagir. Des situations fréquentes quand l’enfant est jeune et confronté à la réalité de son existence.
Ainsi la colère est une expression de soi et une défense psychique. Elle est par cet aspect, normale, pour ne pas dire banale. Elle est donc très utilisée par les jeunes enfants qui n’ont pas encore les mots pour se dire. Avec l’âge souvent vers 6/7 ans l’explosion corporelle de la colère régresse au bénéfice des mots et l’enfant est capable d’avoir une colère verbale. Il devient alors virulent, il argumente sa contrariété, fait face à son parent par un discours de contestation. Autre mode d’opposition, autre joie parentale et là, à chacun ses attentes et exigences d’adulte sur le respect, les bornes à ne pas dépasser.
Aussi face à la colère du jeune enfant, n’oublions jamais que nous sommes des adultes et que c’est lui l’enfant. Trop souvent la colère de l’enfant entraine celle de l’adulte et transforme la relation en une relation d’égalité à savoir deux enfants qui s’affrontent. En perdant son controle, l'adulte perd son statut de parent et donne une dimension anxiogène à la situation. Non seulement l’enfant se sent détruit dans sa colère mais en plus il perd son parent qui devient un « même ». La colère prend alors des allures paroxystiques puisque l’enfant n’est plus contenu par la présence sécurisante de son parent.
Cette piste de compréhension, donne des éléments de réponse à tous ceux, parents ou professionnels de la petite enfance qui se questionnent « qu’est-ce que je dois faire quand il se met dans des états pareils ? ». Il faut pouvoir lui affirmer notre présence d’adulte, et notre capacité à supporter sa colère qui ne nous détruit pas. Il ne s’agit donc pas de faire taire la colère mais de la supporter et de la combattre ensemble. Comment ? En prouvant notre solidité et notre supériorité face à elle. Une manière de reconnaitre à l’enfant qu’il est un enfant et de lui signifier que nous sommes à ses côtés en attendant qu’à son tour, il devienne plus fort que sa colère et « la commande ».
Une belle occasion de penser sur notre société dites moderne qui cherche à annuler les bruits de l’enfance et à aseptiser la vie émotionnelle. Ne sommes-nous pas en train d’affaiblir nos enfants ?
Connectez-vous pour déposer un commentaire.