Petits riens et grandes leçons de ville. Par Didier Heintz
Architecte et Designer d’espaces pour la petite enfance. Cofondateur de l’association NAVIR Enfants, Adultes, Environnement
On trouve bien sûr, aménagés sur presque chaque place, des espaces de jeu et des zones vertes où parents et enfants peuvent se détendre dans des enclos fermés et bien protégés. Mais ces espaces isolés font-ils vraiment partie de la ville ? Car, ailleurs, celle-ci est aussi marquée par le bruit, les mauvaises odeurs, les trottoirs étroits souvent encombrés de voitures mal garées qui empêchent les piétons, et surtout les poussettes, de passer. Sans parler des parents qui tiennent fermement leurs enfants par la main, de peur qu’ils s’échappent vers toutes ces choses passionnantes autour d’eux : rebords de trottoir, revêtements au sol, vitrines, ou bien encore tout un petit mobilier urbain devant lequel, nous adultes, passons indifférents.
Aujourd’hui, samedi 11 juin, il est environ 11 heures du matin, je suis assis à la terrasse d’un café, et tout en dégustant mon expresso, j’observe ce qui se passe autour de moi. Le trottoir n’est pas bien large, la terrasse où je suis prend bien la moitié du passage !
Dans ce café, deux femmes sont assises légèrement sur ma droite et discutent entre elles. Une petite fille âgée de 3 ans environ, à genoux sur sa chaise en face d’elles, s’occupe seule avec les objets posés sur la table - assiettes, verres couverts et je ne sais quoi d’autre. Tranquille, elle s’anime tout à coup, se retourne, jette un regard vers les femmes qui visiblement ne s’occupent pas d’elle, puis se laisse glisser de sa chaise pour se coller à la vitre qui sépare le café des immeubles voisins. Mais que voit-elle donc de si intéressant ? C’est une boutique de chaussures me semble-t-il, sans doute une boutique de chaussures pour enfants, tant les adultes qui sont là s'activent à regarder, à entrer ou à sortir du magasin, accompagnés d’enfants, de grands mais aussi de tout-petits.
Un couple encadré de deux adolescents observe, très concentré, la vitrine. Mais ils doivent se déplacer pour laisser passer une poussette sortant du magasin, pilotée par une femme qui, à son tour, est dérangée par une trottinette abandonnée sur le trottoir par un enfant qui, sans doute, se trouve encore à l’intérieur.
Je suis la scène, fasciné, comme la petite qui reste collée contre sa vitre. Un tout petit, à peine 2 ans, sort alors en courant, suivi de sa maman qui tente de l’attraper, tandis qu’un promeneur essaie lui aussi de faire barrage. Un papa attend là et commence à parler avec un petit qui vient de sortir et lui montre le ballon qu’on lui a visiblement donné…. C’est un véritable ballet d’entrée et de sortie, avec ses arrêts, ses dialogues, ses disparitions et réapparitions. La petite, collée à sa vitre semble de plus en plus attirée et même envoûtée par le spectacle. Lentement, elle veut se diriger vers ce lieu d'animation. Mais la maman réagit et la ramène à sa place.
L’enfant remonte sur sa chaise, vaguement intéressée par les objets de la table, puis découvre un nouveau point d'intérêt dans l’arrivée d’un jeune couple, accompagné d’un petit garçon du même âge qu’elle, qui vient s’installer à la table voisine. Elle les observe puis, mine de rien, se lève et se dirige vers ces nouveaux arrivés, alors que de l’autre côté de la vitre le ballet du va-et-vient continue toujours. Cela ne semble plus l’intéresser ! En réalité elle a provisoirement détourné son regard du rythme de la ville, extérieur à elle-même, complexe et confus par ces entrechoquements, vers une autre zone d’expérience, plus proche et plus intime.
Petit coin de ville, petit coin perdu, n’est ce pas ce qu’on pourrait appeler un coin honni de bousculade ? C'est pourtant avant tout un coin de convivialité active, un coin de « l’entre-deux ». Il y en a tant de ces coins cachés et méconnus, dans chacune de nos agglomérations urbaines. Ici, dans notre exemple, l’animation est générée par le côtoiement d’un commerce et d’un café séparés par une vitre. Ailleurs cela pourrait être par un revêtement de sol à redessiner, une fontaine à remettre en valeur, un trottoir à élargir…
Alors, mesdames et messieurs les architectes, urbanistes et responsables communaux, durant ce mois de l’architecture, ne serait-il pas intéressant pour tous aussi d’analyser de tels espaces, d'y redécouvrir le comportement des enfants, de porter à nouveau un regard bienveillant sur les parents. Puis de répertorier quelques uns de ces espaces et de les réaménager avec de petits riens qui feront la joie des enfants et de leurs parents. Car c'est surtout avec eux, parents et enfants, qu’un tel aménagement de la ville pourra être efficace. !
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